Les Bouleversements culturels
Texte de référence
L’homme toujours en recherche
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Nous vivons une époque où pas mal de vérités sont remises en cause. Une des plus fondamentales a trait à la nature de l’homme qui interroge le sens de la vie. Darwin a ouvert une brèche avec sa théorie de l’évolutionnisme : l’homme fait partie de la nature et du règne animal. Les recherches sur l’ADN posent bien des questions. Ces bouleversements nous inquiètent car nous se savons plus où nous allons. « Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens » : aussi, nous sommes partis à la rencontre d’un paléontologue pour lui poser une simple question : vu les découvertes récentes, qu’est-ce que l’homme ?
Marie-Madeleine - La foi des chrétiens foi est centrée sur ‘Dieu fait homme.’ Aussi, je me demande quelle est la nature de l’homme pour que Dieu ait eu l’audace de se faire homme ? Comment la percevez-vous, vous qui travaillez les origines de l’homme ?
- Aujourd’hui, les paléontologues découvrent que beaucoup de primates, mais aussi d’autres mammifères ou des oiseaux, sont dotés d’émotions comme la peur, la colère, la joie. Ils connaissent aussi des émotions sociales comme l’empathie, l’attachement et même un certain amour. Ils ont même des embryons de culture et présentent des formes d’intelligence élaborées. A tel point que certains auteurs n’hésitent plus à leur attribuer le statut de personnes (Yves Christen, L’animal est-il une personne ? Flammarion 2009). Notre vision de l’homme ne cesse d’être déstabilisée par les conséquences de nos découvertes sur les origines et sur les capacités de l’homme et de l’animal. Par exemple, de récentes découvertes dues à la génétique viennent de modifier notre vision de l’histoire de l’Homme : l’Homo sapiens sapiens que nous sommes serait issu de la rencontre du Neandertal et de l’Homo sapiens, alors qu’on les croyait entièrement autonomes.
M. M. - Ces évolutions posent une question : qu’est ce qui fait l’originalité de l’homme quand on le compare par exemple à des chimpanzés, si proches pas leur comportement de l’homme ?
- Une personne à qui je posais la question : « Quelle est la qualité qui fait que cet animal qu’on nomme ’homme’ est un homme ? », me répondit sans hésitation et sans contestation possible : « L’amour. » « Est-ce si sûr ? », lui ai-je répondu. Comme l’a si bien exprimé Ricœur dans sa conférence lors de la remise du prix Léopold Lucas en 1989 : « Parler de l’amour est trop facile, ou bien trop difficile. Comment ne pas verser soit dans l’exaltation, soit dans les platitudes émotionnelles ? Une manière de se frayer la voie entre ces deux extrêmes est de prendre pour guide d’une pensée médiante la dialectique entre amour et justice. »
M. M. - Alors, qu’est ce qui fait l’originalité de l’homme ? Qu’est-ce qui fait que l’homme est homme, et pas seulement un animal parmi les autres simplement plus évolué ?
- Pendant plus de trois millions d’années, les préhumains nous ont laissé des traces de leur savoir par leurs outils et leur art. L’homme domestique le feu vers 400.000 ans avant Jésus-Christ. Il enterre ses défunts à partir de 100.000 ans. Depuis quelques 40.000 ans (certains pensent remonter jusque 60.000 ans), ‘l’homo sapiens sapiens’ a voulu communiquer ce qui lui tenait à cœur par le langage symbolique et notamment par l’art. On compte aujourd’hui que l’Homo sapiens sapiens a laissé quelques 20 millions de graphèmes sur des parois rocheuses des 5 continents. Ces graphèmes posent une question non encore résolue : « L’origine de l’art est l’un des grands mystères de l’histoire de l’évolution culturelle humaine…. Pourquoi l’art est-il apparu ? » se demande White dans La naissance de l’art aux Editions Tallandier (p.24) La question est loin d’être anodine. Emmanuel Anati écrit que l’Homo sapiens sapiens a vécu par l’art rupestre des expériences intérieures intenses. Il va graver sa quête spirituelle sur des dizaines de milliers de surfaces rocheuses. Ces œuvres d’art révèlent les questions et les inquiétudes qui taraudaient l’homo sapiens sapiens : la mort, la fécondité, la violence et l’importance de la vie spirituelle. En un mot, il s’interroge sur le sens de son existence. L’homo sapiens a su regarder en face l’angoisse qui le travaillait, et l’exprimer grâce au langage symbolique. En créant ces œuvres artistiques, inégalées jusqu’à aujourd’hui, il témoigne qu’il ne se laissait pas écraser par ces questions et qu’il cherchait à changer son rapport au monde violent. Devant ces œuvres d’art de toutes natures, et bien qu’elles représentent essentiellement des animaux, probablement dans un esprit assez proche de ce que nous appelons le chamanisme, « on ne peut qu’être saisi par un profond sentiment du sacré. » écrit Emmanuel Anati dans L’art rupestre dans le monde. L’imaginaire de la préhistoire. Livre d’art Larousse (p.9)
M.M.- Je ne crois pas que cette expérience n’est réservée qu’aux artistes. Je suis assistante sociale travaillant dans un foyer spécialisé de handicapés mentaux lourds Nous formons une équipe solidaire bien que d’horizons très divers. Le service auprès de ces personnes nous unit profondément car nous nous disons dans nos réflexions que nous découvrons qu’il y a quelque chose au fond d’eux de profondément humain. Ce qui nous fait dire que chacune est une personne, qu’elle a quelque chose d’indicible en elle qui apparaît de temps à autre dans un geste d’affection, leur attention à l’autre qui se traduisait par un geste inventé par eux mais quelquefois de façon maladroite… Notre foi en l’homme les fait rencontrer comme homme. Jamais notre équipe composée de 40 personnes n’a remis en doute le sens de leur présence auprès de ces résidents. D’où viennent cet élan et cette fidélité ? Ma foi en Jésus-Christ me les fait considérer comme fils de Dieu, comme frère et sœurs, comme signe de la présence de l’Esprit dans notre foyer.
- Votre remarque est très importante. Une exposition vient d’illustrer que cette façon d’être homme est de tous temps, donc bien actuelle. Les corps peints par Lucian Freud sont marqués par le temps et la vieillesse, corps qui n’ont rien à voir avec les corps plus ou moins dénudés présentés par la pub. Freud regarde en face la réalité et nous laisse entrevoir une lumière qui brille au fond de ces hommes et de ces femmes usés, vieillissants.
M. M. - Si je vous ai bien compris, je pourrais exprimer l’originalité de l’homme d’hier et d’aujourd’hui en ces termes : il a une liberté intérieure qui lui permet de regarder en face la vie telle qu’elle est, ce qui le tourmente, l’interroge, le révolte, réjouit ses contemporains ; il en parle sans langue de bois ni formules toutes faites, mais en créant de la beauté qui n’est pas de l’ordre de l’utilitaire. Il arrive à créer des chefs-d’œuvre car il sait déceler la lumière qui brille au fond de chaque être humain, quelle que soit sa situation, sa culture. Ce regard ne l’enferme pas dans le présent mais ouvre à l’avenir appelle à la création. Cette réflexion me fait penser à la réflexion de Paul Ricœur que vous citiez tout à l’heure : vivre en homme, c’est aimer avec justice. Les chrétiens peuvent se nourrir de cette recherche des hommes et la servir.
Pour approfondir le thème abordé :
- L’art rupestre dans le monde. L’imaginaire de la préhistoire. Emmanuel Anati Livre d’art Larousse « L’aptitude à créer des abstractions, des synthèses, des idées ou des mythes est caractéristique de l’espèce humaine, et c’est dans la production artistique que ces facultés se manifestent. » (p. 13)
- La naissance de l’art. Ed. Taillandier 2006 « L’origine de l’art est des grands mystères de l’évolution culturelle humaine… pourquoi l’art est-il apparu ? » (p.24)
- L’homme premier H. de Lumley, directeur du Muséum national d’histoire naturelle et du musée de l’homme. Odile Jacob 2000
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