Les Bouleversements culturels / Réaction d'expert
Chrétiens d'Irak en 2012
Monseigneur Gilbert Louis en visite aux chrétiens d’Irak
du 29 décembre 2011 au 7 janvier 2012
Nous avons demandé à Mgr. Gilbert Louis s’il accepterait de donner des échos de sa visite en Irak. Nous sommes conscient que de transmettre des notes d’un carnet de voyage et de partager ses impressions devaient éviter de compromettre des irakiens rencontrés lors de ce séjour. Merci à Mgr. Gilbert Louis de nous associer à la souffrance et à la foi de nos frères dans la foi. Si nous désirons entrer en contact avec lui : eveque.chalons@wanadoo.fr
Une ville en état de siège
Nous arrivons vers 8h du matin à BAGDAD et nous sommes le vendredi 30 décembre. Deux hommes du GIGN (ou équivalent), envoyés par l’ambassade de France, nous attendent à l’aéroport. Nous sortons de cet aéroport qui est fort peu encombré de voyageurs, après avoir été soumis à trois vérifications de nos visas. Un homme précède Pascal et un autre se tient derrière moi. Arrivés au parking, nos bagages sont déposés à l’arrière d’un pick-up. Nous montons dans la voiture qui précède, une BMW noire. L’homme qui est assis à côté du chauffeur a pris soin auparavant d’enfiler son gilet pare-balles et de se munir d’une oreillette qui probablement le met en contact direct et permanent avec l’ambassade. L’ambiance est assurée dès le départ ! Ils font vraiment très « pros » et peu bavards ! Après avoir roulé quelque temps, une conversation s’engage. Ils disent être en mission de trois mois à Bagdad. Les français sont-ils bien perçus ici en Irak. « Oui, grâce à Zidane ! » répond le chauffeur, et au fait que nous n’avons pas été engagés dans la guerre au côté des américains. Nous voyons de nombreux véhicules blindés, le long du trajet. Entrés dans Bagdad, nous découvrons les premières traces d’un pays qui a subi l’occupation américaine ; des murs en béton protègent certains bâtiments militaires ou quartiers de la ville. Jusqu’à l’évêché où nos anges gardiens nous déposent sains et saufs et où s’achève leur mission, nous n’aurons été contrôlés que sept fois à des check-points ! A chaque fois, le chauffeur a du fournir les papiers officiels de l’ambassade et le copilote présenter un carton aux couleurs de la France.
A notre arrivée à l’archevêché, nous recevons un accueil chaleureux de Mgr. Jean Benjamin SLEIMAN, archevêque latin de Bagdad depuis juin 2001. Libanais d’origine, francophile, il est à la tête d’une petite communauté, enrichie par la présence de chrétiens chaldéens vivant dans le quartier. Il s’excuse auprès de moi : « Ce n’est pas ici un palais épiscopal cet évêché ! » Est présent à l’évêché pour nous accueillir un prêtre assez jeune qui est le provincial des dominicains en Irak. Leur couvent est situé en face de l’évêché. A 10h, sans perdre de temps, l’évêque nous invite à concélébrer la messe pour les jeunes et les enfants (certains tout petits) dans sa cathédrale. Puis, nous visitons le couvent dominicain où réside celui qui sera notre chauffeur pendant notre séjour et le père qui dirige la revue « Pensée chrétienne ». Il a été professeur à l’université de philosophie et de théologie « Babel Collège », maintenant transférée à Erbil en raison de l’insécurité qui règne à Bagdad. Pendant la période de Saddam Hussein, il a fait cinq ans de service militaire.
Les chrétiens sont-ils encouragés à quitter l’Irak ?
Réflexions de celui qui nous conduit dans Bagdad pendant ces deux jours et demi : « Je suis vicaire épiscopal pour la jeunesse. Une jeune m’a dit : « Abouna ! Des musulmans me demandent la main, que dois-je faire ? Les chrétiens sont chez eux en Irak depuis les premiers siècles de l’Eglise. Ils ne sont pas des étrangers ou des citoyens de seconde zone. Si les chrétiens ont une opportunité, ils partiront. Est-il possible que notre minorité continue à être humiliée ? Dois-je baisser la tête parce que je suis chrétien ? Ils n’arrivent pas à comprendre qu’un chrétien irakien est égal à un musulman irakien. Les musulmans sont défendus par leurs tribus et leurs milices. La loi est absente ! On veut faire sortir tous les chrétiens d’ici. L’Etat ne nous assure pas la sécurité. Cependant, il nous faut rester là où nous sommes. Il ne serait pas bon de faire un regroupement de tous les chrétiens dans une zone sécurisée. Déjà, entre nous les chrétiens, nous ne sommes pas d’accord. Ici, l’Eglise n’a pas une parole forte et unanime. Nous n’existons pas. Il faudrait déjà travailler à une réconciliation entre prêtres. Et pourtant nous ne sommes pas des gens venus après les musulmans. Nous latins, on est rejeté. Un prêtre chaldéen ne peut pas célébrer facilement dans le rite latin, à cause du patriarche chaldéen qui l’interdit. D’ailleurs, beaucoup souhaitent sa démission en raison de son âge et de son immobilisme. Le synode (pratique habituelle chez les chaldéens) n’a pas eu lieu cette année à Rome parce que le patriarche en a reporté plusieurs fois la date.
A 18h, visite à la directrice de l’hôpital St Raphaël qui nous fait parcourir le nouveau bâtiment construit récemment avec le soutien financier de la France et des Etats-Unis (surtout pour le matériel médical qui coûte très cher). A l’Hôpital, (90 lits en tout, 4 salles d’opération, entre 20 et 2 opérations chaque jour) sous la direction de Sr. Anne. Voyant son âge, je me demande qui serait en mesure de la remplacer à ce poste si elle devait partir. Nous rencontrons plusieurs personnes employés à l’hôpital et découvrons la maternité nouvellement construite avec, derrière une vitre, la dernière née bien emmaillotée. « Tout le monde est soigné gratuitement quand il y a des blessés qui arrivent à la suite d’un attentat. L’hôpital est ouvert jour et nuit. » Les sœurs ont conscience de rendre service à la société irakienne
A 19h30, rendez-vous à l’archevêché des Syriens-catholiques où nous attend Mgr. Marc Ephrem Yousif ABBA (ordonné évêque en avril 2011, en remplacement de Mgr. Matoka). Nous y rencontrons plusieurs prêtres dont le Père Ephrem, curé de la paroisse St Behnam (martyr du 4è siècle) depuis 20 ans et les pères Nabil et Karnam, l’un chargé de la communication et l’autre de la pastorale des jeunes à la paroisse de la cathédrale Notre Dame de la Délivrance, là où deux jeunes prêtres sont morts dans l’attentat du 31 octobre 2010. « Les chrétiens continuent à partir parce qu’ils ne voient pas d’avenir ici ! » L’Eglise, grâce à une association de 100 membres, organise une aide pour les familles les plus pauvres : nourriture, couvertures, financement des funérailles. Il y a un problème de location de voitures pour permettre aux enfants de participer à la catéchèse. 400 enfants viennent chaque semaine à la paroisse pour la catéchèse. Nabil est prêtre depuis 4 mois, et Karnam depuis 9 mois. Nous nous rendons ensuite à la cathédrale où, le 31 octobre 2010, une cinquantaine de personnes ont été froidement abattues par des terroristes, parmi elles un jeune enfant dans les bras de sa mère. Des impacts de balles sont partout présents sur les murs. Tout autour de l’édifice, un mur de béton a été édifié pour assurer la sécurité des chrétiens.
A 20h, souper avec Mgr. Sleiman. Au cours du repas, il se lance dans une discussion animée, prétendant qu’en France, des églises ont été transformées en mosquées et qu’il y a des écoles catholiques où l’on apprend à prier à la manière des musulmans. Il admet que l’isolement dans lequel il se trouve conduit à durcir la perception des choses et que les sources d’information dont il dispose ce sont les médias !
Vivre ensemble
Visite du collège St Thomas, tenu par les sœurs dominicaines de Ste Catherine de Sienne. Il y a 31 professeurs y compris la directrice et le personnel, pour 388 étudiantes de 12 à 18 ans, ¾ de musulmanes, ¼ de chrétiennes. Le quart seulement des jeunes filles est en capacité de payer la scolarité. Certaines d’entre elles sont reçues gratuitement. Les sœurs ont surtout le souci d’éduquer les filles au vivre ensemble. Des célébrations, des messes, de la catéchèse, des confessions sont proposées uniquement à celles qui sont chrétiennes. « Deux fois par semaine, une rencontre est organisée par un professeur sur des thèmes comme la fraternité, l’amour du prochain ou autre. Ce qui compte, c’est la relation des sœurs avec les jeunes. Quant aux méthodes, elles nous viennent du ministère de l’éducation, mais nous ne recevons aucune subvention de l’état, aucun soutien du gouvernement. Nous devons même acquitter une taxe selon le nombre d’étudiantes et faire un cadeau à l’inspecteur quand il vient dans l’établissement ! Après la scolarité, les filles vont à l’université en fonction des notes obtenues. Il existe également des universités privées.»
La supérieure générale, Sr. Maria, réside à Qaraqosh. La congrégation a dû quitter Mossoul à cause des menaces de mort que les sœurs ont reçues. Au nord de Mossoul, nous avons une petite maison qui fait orphelinat avec deux sœurs. Dans la plaine de Ninive, nous avons d’autres couvents. Nous sommes également au Liban, en Terre sainte, en Jordanie. Des sœurs étudient aux Etats-Unis, d’autres à Strasbourg ou en Italie. Nous sommes 150 religieuses au total. Nous sommes respectées par les familles musulmanes, parfois plus que par les familles chrétiennes. « Ici, a dit la fille d’un dignitaire, je sentais que j’étais un être humain. On sent la tendresse de Dieu. » Malgré tout, la vie consacrée est difficile à comprendre pour des musulmans. Quelle espérance pour les jeunes ? « Elles ne sont pas en capacité de décider parce que ce sont les familles qui imposent les choix. Pour le mariage, ce sont les familles qui décident la plupart du temps. »
Entretien avec Mgr. Isaac, auxiliaire du patriarche chaldéen, au sujet de l« Babel Collège », l’université pontificale de philosophie et de théologie dont les bâtiments furent réquisitionnés par les américains, et qui a été transférée à Erbil, capitale de la partie kurde autonome. C’est lui qui en est le recteur. « L’université est ouverte à tout le monde et reçoit 80 étudiants, séminaristes, religieux, filles… Il y a une diversité. Pour l’enseignement, tous collaborent : Dominicains, Carmes, Rédemptoristes. Nous avons aussi des prêtres dits « Nestoriens ». A l’assemblée des chefs religieux, l’autre jour, une décision a été prise à propos de la question nestorienne ? Il y aura des cours sur les sectes, l’histoire de l’Eglise, l’œcuménisme. Nous devons préparer le chemin de l’union des Eglises. Nous avons en philosophie des professeurs musulmans. Nous devons développer le dialogue inter religieux afin de dessiner l’image de l’Irak que nous voulons construire. L’Eglise de demain ? 350 jeunes sont préparés à devenir catéchistes. »
Après cet entretien, Mgr. Isaac tient à nous faire visiter le « centre de publication » où sont organisées des réunions d’artistes chrétiens. Nous y rencontrons un artiste, M. Bassami qui réside au centre avec son épouse et son jeune fils nommé « Pantecrator » ! Il nous montre une de ses œuvres et nous en donne une explication : une main, celle du Christ, empoigne une autre main qu’il arrache à la terre, en traversant les murs et les barbelés du monde pour sauver l’homme. En fond de peinture, une inscription : « La croix, rempart contre le mal, vaincra»
Les diverses Eglises chrétiennes sont appelées à travailler ensemble
Dans l’après-midi, nous nous rendons chez l’évêque auxiliaire chaldéen, Mgr. WARDUNI
Avant de prendre la voiture, le Père Majip observe qu’une voiture est stationnée devant le portail du couvent. Il pense immédiatement que c’est une voiture piégée, ce qui nous vaut cette appréciation du Père Youssef : « Nous sommes devenus complètement paranos, surtout les plus jeunes. »
- Quelles sont les retombées du Synode des Eglises Orientales ? « Très peu. Sinon un appel à plus de collaboration entre évêques. » Il évoque ensuite la question des mariages mixtes. Un père chaldéen orthodoxe n’a pas autorisé sa fille à se marier avec un chaldéen catholique ! Il nous fait ensuite visiter l’église rénovée dont Mgr. Warduni est aussi le curé. Elle est éclairée par de superbes lustres fabriqués en Chine. ! Dans la cour extérieure, se trouve une grotte de Notre Dame de Lourdes et une statue de Padre Pio. Mgr. Isaac passe nous chercher pour nous emmener chez lui, dans une maison qui est la demeure familiale. Nous y rencontrons aussi Salam dont le frère est Mgr. Nuna, évêque dans le Nord. Mgr. Isaac vit avec sa sœur dont le mari, nous dit-il sans autre précision, a été tué par Sadam Hussein. Il raconte cette anecdote : « Un jour où ma sœur et moi n’étions pas rentrés chez nous, des voisins musulmans se sont inquiétés et ont veillé toute la nuit pour éviter un éventuel cambriolage. » Conclusion : « Tous les musulmans terroristes ne sont pas des terroristes ! » Il insiste pour que nous montions à son bureau situé à l’étage, fier de nous montrer un exemplaire de la thèse qu’il a rédigée sur le rite pénitentiel dans l’Eglise chaldéenne.
Avant de rentrer à l’évêché, nous passons chez les Petites Sœurs de Jésus. Elles sont trois sœurs à vivre dans ce quartier : Sœur Martine, une française originaire de la paroisse de St François de Sales dont Pascal est le curé ! Une autre sœur, irakienne, travaille dans une boulangerie « chrétienne » au milieu de quarante autres personnes. Elle nous offre à nous et à des voisins venus les visiter un gâteau qu’elle a fabriqué. L’autre sœur travaille dans une fabrique de médicaments.
Nous poussons notre expédition jusqu’à l’angle de la rue où se trouve la demeure des Sœurs de Mère Teresa qui ont en charge un orphelinat de 22 enfants. Un bâtiment assez impressionnant est en construction en vue de remplacer l’actuel. Les enfants sont tous des enfants handicapés, abandonnés pour la plupart car le handicap est plutôt mal accepté chez les musulmans. Je leur chante la chanson du « petit loir » à laquelle ils me répondent par une autre chanson.
Le signe d’amour donné par la Caritas d’Irak
Majid nous emmène à la Caritas Irak. La Caritas, dirigée par un certain monsieur MISSAN, est présente en plusieurs villes par 10 délégations. 140 salariés et 300 bénévoles collaborent à Caritas. Les projets mis en œuvre s’orientent surtout auprès des jeunes enfants sous-alimentés et des femmes : apprentissage à la couture et au tricot, soins à la maison, mais aussi formation à l’informatique. Autre domaine d’activité : l’organisation de rencontres entre chrétiens et musulmans. Le directeur est confiant dans le signe d’amour qui est ainsi donné par Caritas. Il nous donne l’exemple d’une famille tout d’abord très opposée à l’action de Caritas mais qui a été stupéfaite quand Caritas a apporté son aide gratuitement à leur enfant malade ! C’est, pour lui, une manière de changer les rapports dans la société. L’aide de la Caritas va à 80% à des musulmans et 20% à des chrétiens. A la sortie de Caritas, le frère nous déclare : « Ce qu’ils font, c’est une goutte d’eau… tout çà, c’est du bla-bla-bla !!! L’aide ne devrait-elle pas aller en priorité et majoritairement aux chrétiens ? » Et de nous dire qu’il connaît bien la situation de certaines salariées de Caritas : « Chez l’une d’elles, on est venu voler dans la maison. Une autre, son mari a été retenu en otage 120 jours…Or, elles ne reçoivent pas le salaire que le directeur nous a déclaré. » Que faut-il donc faire ? Une fois de plus, nous apparaît le peu de vision commune entre les chrétiens, chacun ayant tendance à porter une critique sur ce que fait l’autre. Cependant des initiatives sont prises çà et là, alors que personne n’est capable de dire dans quel sens est en train d’évoluer la société. Reste le gros problème de l’insécurité et l’instabilité du pouvoir central actuellement. Le Croissant Rouge est traversé lui aussi par les tensions entre chiites et sunnites.
Rencontre avec un bon connaisseur de la région :
Les chiites longtemps mis à l’écart du pouvoir, sous la période de Saddam Hussein, bien que majoritaires sont en train de prendre tout le pouvoir depuis les dernières élections. En Syrie, c’est la situation inverse, ce sont les Sunnites qui ont longtemps été écartés du pouvoir et qui tentent maintenant de renverser le régime de Bachar El Assad. Mais qu’adviendra-t-il ensuite des minorités chrétiennes en Syrie ? Ils risquent d’être victimes des différentes tendances opposées. Dans un premier temps, la France a souhaité qu’Assad fasse les réformes nécessaires qu’il promettait de faire. Puis, étant donné la répression sanglante infligée à la population par le régime, la France a souhaité la chute de Bachar El Assad, tout en exerçant une pression auprès de l’opposition pour que soit pensé un régime démocratique et pluraliste dans le respect des minorités.
A Kirkuk, rencontres étonnantes.
Toute la matinée va être consacrée à une série de visites étonnantes. Tout d’abord, rencontre avec l’Imam sunnite, responsable d’une école coranique. Nous montons à l’étage, dans un salon où nous sommes reçus cordialement avec boissons et gâteaux. L’Iman nous remercie de notre visite. A la sortie, Mgr. Sako nous précise : « Nous avons des relations entre Imams kurdes, chiites, sunnites. C’est nous qui avons la liberté de faire le lien entre eux, sinon ce serait la guerre civile. »
Suit immédiatement la visite d’un Iman chiite rencontré. Il a quitté l’Irak à 25 ans. Son père, âgé de 70, a été arrêté et tué par le régime de Saddam. Alors qu’il avait fuit en Iran, sa femme et son enfant furent arrêtés et emprisonnés pendant un an. Sous l’ancien régime, quand quelqu’un était persécuté, toute la famille était déplacée de la ville. Plusieurs familles ont été déplacées, des villages détruits. « Les agents d’information ne nous ont pas aidés. Nous avons beaucoup souffert. Nous avons été persécutés par le régime de Saddam. Maintenant, nous vivons plus heureux dans une société pluraliste. Chrétiens et musulmans, nous croyons en un même Dieu créateur. Nous n’avons pas d’autre choix que de vivre ensemble. Nous sommes tous frères ! Ensemble nous sommes confrontés aux mêmes défis. S’il y a des attaques contre les chrétiens, il y en a autant contre les musulmans. » Cet Imam s’était montré modéré après l’émoi provoqué par le discours de Benoît XVI à Ratisbonne. « Il est important que les hommes de religion travaillent ensemble pour la paix. » A la question qui lui est posée sur l’origine des aides qu’ils reçoivent, il répond : « Ce sont les fidèles qui nous aident. Personnellement, j’aide 15 familles en difficulté chaque mois. » « Mon fils de 35 ans est allé travailler en Allemagne puis il est revenu ici à Kirkuk… Nous sommes actuellement en période de deuil (d’une durée de 46 jours) en souvenir du grand prophète Hussein… Quand il y a une famille chrétienne qui est attaquée, nous en souffrons beaucoup plus parce que les chrétiens forment une minorité. Nous sommes sur le même bateau. Notre mission est de propager la paix… »
Dans la foulée, Mgr. Sako nous conduit chez un chef de tribu représentant la résistance des arabes. Il réside à Kirkuk depuis 1952Depuis 2003 et habite dans une fort belle maison. « Les arabes ont travaillé d’abord avec les Anglais dans des compagnies de pétrole. Après la chute de Saddam, nous avons souffert. Au début, il n’y avait plus de police, elle avait été démantelée par les Américains. Nous étions un peu loin. L’Irak a été envahi par les Américains, avec l’aide d’Irakiens qui vivaient à l’étranger. Il y a eu un vide d’autorité. Cela a créé une mentalité de vengeance. Des casernes et des boutiques ont été pillées, des gens enlevés. Nous aussi, nous étions en danger. Vers qui se tourner ? Nous, arabes, avons beaucoup souffert et sommes encore marginalisés. Bagdad et le gouvernement central est loin de Kirkuk. Des milices dépendant de partis politiques et non du gouvernement central. Les arabes ont été écartés de l’administration. On attendrait une aide des autres groupes ethniques et du gouvernement afin de ne pas tomber dans les mêmes défauts totalitaires que nous avons connus avec l’ancien régime. La démocratie ? Nous allons changer et seront plus sévères. Ceux qui ont pris le pouvoir n’ont pas fait beaucoup de changements. Des gens ont été arrêtés. Où sont-ils ? Il y a beaucoup de chômage. Ceux qui n’ont pas de travail peut-être sont-ils devenus les acteurs de la violence. On présente les arabes comme des gens agressifs et farouches. On attendait un mouvement positif, or il y a une discrimination. Les gens n’ont pas d’autre choix que la violence. – D’accord avec une action pacifique mais je ne peux pas donner un espoir aux chômeurs. On n’a pas de moyen pour convaincre. Quelle alternative ? Nous avons beaucoup d’orphelins et de veuves. Parler, c’est une chose, la réaliser, c’est différent. On espère ! Nous avons des voisins kurdes. Mon frère a épousé une femme chrétienne d’origine italienne… »
Autre rencontre avec un chef de tribu chiite, dans le quartier où se trouve la cathédrale. « Nous sommes proches des chrétiens. Jusqu’à maintenant, nous remercions, il n’y a pas eu de problèmes. L’évêque est notre frère et Dieu notre Père. A Noël, j’ai donné l’ordre à mes hommes de surveiller les personnes qui étaient étrangères au quartier et d’autoriser le stationnement des voitures de chrétiens devant ma maison. Les visites de solidarité nous encouragent. Vous pouvez donner un témoignage de ce que nous vivons sur le champ. Nous sommes toujours présents dans les joies et les tristesses des chrétiens. Et les gens simples de Kirkuk ont le même sentiment que moi. Quand il nous arrive nous d’entrer dans une église, on ne fait pas cela en cachette, nous n’avons pas peur, à Noël ou autre moment. Il y a quelque temps à Mossoul, disent les gens de la tribu, il a commencé à pleuvoir. J’ai dit : « S’il pleut, c’est que je suis allé à la messe. Cette grâce nous vient du Christ. » On s’était mis d’accord pour une prière afin que la pluie tombe après Noël. En fait, cela a été changé puisque Noël nous a déjà donné la pluie. Votre visite aussi est une bénédiction. Personne ne m’a critiqué quand je suis allé à l’église. Ai-je la crainte d’un terroriste ? A Mossoul, des gens n’acceptaient pas cela. Nous en avons discuté. Comme arabes et musulmans, nous savons que les chrétiens, sont les plus proches de nous. Les problèmes sont politiques, non religieux. Quand ils ont attaqué une église, je suis allé et j’ai dit : « Ne quittez pas la ville. Je vous protège. Venez chez moi. » C’est mauvais d’attaquer les chrétiens qui sont innocents. » Apôtre de la Paix ? « Le pays a besoin des chrétiens. Quand ils quittent l’Irak, nous sommes tristes. Nous ne pouvons pas les encourager à quitter. Sans les chrétiens, l’Irak n’est plus l’Irak. Il ne faut pas les encourager à partir. Il y a beaucoup d’ignorance chez les musulmans sur les chrétiens qui vivent surtout en ville. La base de la paix, c’est l’éducation. » C’est aussi la conviction de Pax Christi. ,
Quel est l’avenir des chrétiens en Irak ?
Au petit déjeuner, nous sommes rejoints par une journaliste allemande parlant fort bien le français, sans l’accent germanique. Elle réside à Bagdad depuis plusieurs années en compagnie d’autres journalistes dont une Française. Revient l’éternelle question : « Que faut-il faire ? Quel est l’avenir des chrétiens en Irak ? A Bagdad, beaucoup de chrétiens, dispersés à travers la ville, ne pensent qu’à partir. Beaucoup déjà se sont réfugiés à Quaraqosh. A chaque attentat, ils ne pensent qu’à quitter. Mgr. Louis Sako s’oppose toujours avec force à un regroupement des chrétiens dans la plaine de Ninive, ce qui ressemblerait à une sorte de réserve d’indiens. « Ils seraient de toute manière attaqués un jour par les chiites, un autre jour par les sunnites. Nous chrétiens, nous sommes pour l’unité de l’Irak. Nous ne sommes ni pour les chiites, ni pour les sunnites, ni pour les kurdes, même si notre relation avec les kurdes est meilleure. Mais nous ne pouvons pas prendre parti pour un groupe contre l’autre. Comme chrétiens, nous respectons les uns et les autres. Nous n’avons pas vocation à former un ghetto. Nous pouvons seulement nous regrouper par quartiers pour avoir un minimum de sécurité. » Exemple : le village que nous avons visité dans la banlieue de Kirkuk où 200 familles chrétiennes se sont installées et ont construit des maisons et une église. Autre idée, celle d’accueillir des réfugiés dans des villages du Nord déjà occupés par des familles chrétiennes, à condition que ces villages ne soient pas trop éloignés d’une ville importante, afin d’être assuré d’y trouver du travail.
Mgr. Gilbert Louis
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