Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Nahid
Réalisatrice : Ida Panahandeh
Sortie : 24 février 2016
Depuis qu’elle a divorcé, Nahid, une jeune iranienne, vit seule avec son fils de 10 ans dans une petite ville au bord de la Mer Caspienne. Selon la loi, son ex-mari aurait pu avoir la garde de leur enfant. Mais immature, toxicomane et instable, il a préféré lui laisser leur fils, exigeant toutefois qu’elle ne cherche jamais à se remarier. Un jour, Nahid fait la connaissance de Massoud, un charmant hôtelier dont elle tombe amoureuse. Auprès de lui, la jeune femme se sent bien et reprend confiance en l’avenir. Mais pour envisager de faire sa vie avec lui, elle est contrainte de cacher cette liaison à son ancien mari, à son fils et à sa famille.
La cinéaste Ida Panahandeh s’intéresse à la condition des femmes au Moyen-Orient. Elle a voulu, à travers le personnage de Nahid, représenter le dur quotidien des femmes en Iran. Elle espère que son film pourra faire évoluer l’image que les gens ont des femmes dans ce pays. Elle a voulu que le caractère réaliste du film soit accompagné d’un regard poétique et de certaines touches de violence, qui transparaissent à travers la mise en scène, les objets, la musique, les couleurs et le son.
En Iran, être une femme divorcée n’est pas une situation facile. Particulièrement lorsque l’ex-époux ne laisse la garde de l’enfant à la mère que contre l’engagement de ne pas se remarier. Nahid, Prix spécial du jury ‘’Un certain regard’’ en 2015, a reçu le Prix de l’Avenir et a bouleversé le festival de Cannes. Ida Panahandeh signe un premier film brillant, porté par Sareh Bayat, déjà vue dans Une séparation (2011) d’Ashgar Farhadi, éblouissante quand elle joue celle qui doit choisir entre sa vie de femme et son amour de mère.
C’est le portrait d’une femme forte.Ce qui touche profondément, c’est le choix de la réalisatrice, déjà connue pour ses courts-métrages et ses documentaires, de ne pas faire une victime de son héroïne. Elle est prête à se battre pour son indépendance et pour exprimer la tendresse qu’elle éprouve pour un homme qu’elle n’a pas le droit d’épouser. Des scènes magnifiques entre les deux amoureux qui ne peuvent se toucher de peur d’être surpris restent longtemps en mémoire. Une petite ville iranienne au bord de la mer Caspienne, filmée en pleine grisaille, sert de toile de fond à ce film sensible exprimant la difficulté d’être une femme dans l’Iran d’aujourd’hui.Portrait de femme et peinture de mœurs, Nahid impressionne par la maîtrise avec laquelle Ida Panahandeh mène son récit: justesse du propos, réalisme nourri de nombreux détails, acuité du regard, mariage du romanesque et du quotidien... Nahid est passionnant autant par la description de la société iranienne que par le suspense amoureux qu'il met en place.
Malgré les restrictions politiques et la censure qui plane toujours sur la création artistique, le cinéma iranien continue de nous étonner par son incroyable fertilité. On retrouve dans "Nahid" le souci d’approfondir la psychologie complexe de ses personnages, la volonté d'éviter le choc frontal avec les autorités en démontrant l'absurdité d'une société religieuse et patriarcale. Le premier fardeau pour une Iranienne est de naître femme, nous dit Ida Panahandeh, et les vagues sentimentales s'échouent toujours sur le rivage... Dans le rôle de la jeune femme qui aime trop et tente d'arranger la réalité avec ses rêves de liberté, on retrouve Sareh Bayat. Le film tourne tout entier autour de cette femme, profondément humaine, qui refuse la fatalité de sa condition première et l’injustice de la situation qu’elle subit. Suis-je pire qu'un père irresponsable et joueur, sous prétexte que je suis une femme ?, semble-t-elle interroger, les yeux las mais le regard déterminé ? Si la situation, bien sûr, est propre à la société iranienne, le propos est tristement universel.
Nahid n’a de prise sur rien et c’est là que repose sa tragédie. Son sort étant dans les mains du patriarcat familial, elle s’enfonce dans une forme de déni, motivée par l’orgueil et une surestimation de sa capacité à maîtriser son destin. Au final, comme Ashgar Farhadi, Ida Panahandeh ne condamne personne et clôt son beau film sur un plan d’ensemble énigmatique, espionné par une caméra de surveillance. Tout un symbole.
Un film courageux, à la fois engagé et féministe, mais qui possède en même temps une étrangeté suffisante pour transformer un dossier de société un peu attendu en véritable œuvre de fiction. Encore une belle pépite venue d'Iran, un superbe film aussi politique que romanesque, servi par une écriture précise et jamais manichéenne des différents personnages. Sans verser dans un film démonstratif, mais avec beaucoup d'élégance et d'intelligence dramatique, Nahid explore la condition féminine dans la société iranienne. Le récit prend la forme du drame intime qui s’emploie à montrer l’hypocrisie et la pesanteur d’une hiérarchie sociale où les valeurs familiales fondées sur le patriarcat priment encore sur le bonheur personnel, et surtout féminin.
Claude D’Arcier - Mars 2016
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