Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Crache cœur
Réalisateur : Julia Kowalski
Sortie : février 2016
Rose, jeune fille au désir trouble, s’immisce dans la vie d’un ouvrier polonais venu en France rechercher son fils. Une relation triangulaire s’installe entre les trois personnages et déclenche, peu à peu, des bouleversements dans la vie de chacun.
Crache Cœur est le premier long métrage réalisé par Julia Kowalski. Dans ce drame, la réalisatrice a introduit un certain nombre de réalités et de souvenirs de sa propre adolescence. Ce film a été nominé en 2015 aux ACID-Cannes. Il faut signaler qu’avec son court-métrage Musique de chambre, cette jeune réalisatrice a été multi-nominée au Festival International du court métrage de Clermond-Ferrand en 2012.
Dès les premières séquences de Crache Cœur et l’entrée en scène de Rose, mine renfrognée et regard dédaigneux, on comprend que la cinéaste a choisi de détourner la figure iconique de l’adolescente, pin-up passive objet de tous les désirs ou apprentie femme fatale. En dépit d’un prénom évocateur, Rose est très loin de l’éternelle jeune fille en fleur. Julia Kowalski en fait une véritable héroïne, un personnage complexe pour lequel on n’éprouve pas d’emblée de la sympathie. Agaçante autant qu’attachante, incarnée par la talentueuse Liv Henneguier, Rose étonne, et son insolence devient extrêmement réjouissante lorsque nous comprenons que nous avons affaire ici à un personnage fort, désirant et moteur de l’action. C’est son désir qui gouverne le récit, entraînant les personnages masculins dans son sillage, comme un pied de nez aux représentations d’adolescentes lisses et passives que l’on voit souvent apparaître sur les écrans.
Composée par Daniel Kowalski, frère de la cinéaste, la musique accompagne avec douceur la trajectoire des personnages, tout particulièrement celle de la jeune héroïne. Imaginée dès la phase du scénario, élaborée ensuite entre la salle de montage et la salle de répétition, la partition s’est construite peu à peu, avec comme désir premier celui de créer une atmosphère lyrique capable d’accompagner les protagonistes dans leur parcours émotionnel.
La guitare saturée et les synthétiseurs analogiques semblables à un chœur font écho au bouillonnement intérieur de Rose et annoncent les bouleversements à venir. Le thème qui se redéployée aux moments clefs du film, évoque la part mélancolique des personnages mais aussi leur cheminement intérieur au fil du récit. Alors naît, en résonance avec le tempérament énigmatique de la jeune fille, un sentiment d’étrangeté qui émane de ces accords.
Je souscris volontiers à ce qu’a écrit Antonia Naïm, animatrice du Studio d’Aubervilliers où est passé le film, en avant-première : ‘’Croche Cœur fut pour moi une belle rencontre de cinéma : une fiction à la frontière poétique du réel, un égarement dans le territoire du désir, de la violence latente. A Cannes, puis en salle, la réalisatrice est venue transmettre avec générosité son aventure filmique. Le long plan fixe qui ouvre le film annonce déjà l’audace de Julia Kowalski, qui braque sa caméra sur Rose, une adolescente au visage grave, buté, sur fond de bruits de chantier vite relayés par une bande-son électro. C’est le début d’une histoire presque documentaire où s’entrelacent deux univers culturels : France et Pologne, musique folk et rock électro, fille et père, troubles de l’adolescence et cruauté des rapports de classes, premiers amours et sexe maladroit. La dimension sociale est très présente, jamais lourde, comme une prise de conscience du réel, magnifiquement représenté par la jeune actrice Liv Henneguier, aussi tourmentée et péremptoire qu’attachante. « C’est dégueulasse d’acheter le silence des gens », dit-elle à son père, petit patron polonais… Crache Cœur est un film que je soutiens et j’invite à la découverte de ce bijou structuré comme une partition musicale, entre psychologie et sociologie, mais s’échappant de toute démonstration, maîtrisé mais imparfait et donc réussi. Chaque plan séquence apporte du sens, grâce au travail de cette jeune et talentueuse cinéaste qu’est Julia Kowalski’’.
Un très beau film, qui nous touche par les errances sentimentales et sexuelles de la jeune héroïne, un récit où on parle rarement d'une façon aussi vraie de l'adolescence féminine. Rose n'a rien d'un ange, elle est pourtant très attachante. Elle est menteuse, mauvaise, au bord de l'explosion sexuelle, séductrice sans pour autant être aguicheuse (par manque d'expérience sans doute, peut-être aussi par caractère), parfois dépassée par les événements et pourtant toujours aux commandes de sa vie avec acharnement. Elle apprend à se connaître, sans peur de se blesser, ni des dommages collatéraux qu’elle risque de subir.
Merci à la réalisatrice de nous avoir évité les clichés sur les jeunes filles pour nous ouvrir au mystère des personnes, qu’on ne comprend pas d’emblée mais qui se cherchent dans un contact quelque fois rugueux avec les autres.
Claude D’Arcier - Août 2016
Réactions d'internautes