Notre foi interrogée par les mutations culturelles
Texte de référence
Suivre Jésus dans le monde d’aujourd'hui
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Au milieu des mutations culturelles et religieuses actuelles, les disciples de Jésus ont-ils encore leur place dans le monde d’aujourd’hui ? Pour nous éclairer, nous avons sollicité le Père Jean-Claude d’Arcier, curé de Bobigny en Seine-Saint-Denis, de livrer son témoignage et sa réflexion.
- Vous êtes un pasteur qui a la réputation d’être attentif à la vie des gens et qui travaillez très en lien avec les communautés chrétiennes qui vivent dans les quartiers si divers de la ville de Bobigny. Est-ce que les bouleversements culturels actuels obligent les chrétiens que vous connaissez à remettre en cause la façon dont ils veulent témoigner de Jésus que ce soit dans leur vie familiale, professionnelle ou personnelle ?
- Je voudrai d’abord souligner que ce sont des bouleversements qui touchent tout le monde, pas seulement les chrétiens. Toutes ces familles, qui arrivent des quatre coins du monde après des parcours plus ou moins chaotiques, et qui s’entassent dans nos cités, sont aussi très touchées par ces changements. Tous, nous sommes directement confrontés à la présence de ‘l’autre’ et à la ‘traversée des frontières’. Nous prenons de plus en plus conscience que nous vivons dans un monde inter - national, multi - culturel et pluri - religieux. Cette évolution est difficile à vivre, mais elle peut aussi nous ouvrir au monde. Le risque pour chacun est de se refermer sur lui-même par peur d’être envahis par ‘l’autre’, c'est-à-dire celui qui n’a pas été façonné par la même histoire, la même culture ou la même religion que ma famille, celui qui ne fait pas la même cuisine et qui n’écoute pas la même musique que moi. C’est pourquoi notre souci pastoral premier est d’inviter les gens à se rencontrer, pour se parler, se connaître, découvrir que l’autre a des choses intéressantes à partager avec moi. Et dans cet effort d’ouverture pour mieux vivre ensemble, personne n’a la solution miracle, pas plus les chrétiens que la municipalité ; personne ne prétend y parvenir seul. Aussi, nous avons besoin les uns des autres : c’est la conviction fondamentale, structurelle, qui anime tous ceux qui travaillent à créer les liens sociaux dont nous avons tous besoin.
Une deuxième remarque à trait à la culture elle-même. Depuis le Concile Vatican II, l'Église est entrée dans une perception nouvelle de la culture, nourrie par les sciences humaines : « C'est le propre de la personne humaine de n'accéder pleinement à l'humanité que par la culture, c'est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature (…) Au sens large, le mot "culture" désigne tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps ; s'efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le travail ; humanise la vie sociale (…) Il en résulte que la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et social et que le mot "culture" prend souvent un sens sociologique et même ethnologique. En ce sens, on parlera de la pluralité des cultures. » (L’Église dans le monde de ce temps 53/1.) Jean-Paul II lors de sa conférence à l’UNESCO en 1980 précisait : « La culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, ‘est’ davantage, accède davantage à l’être. » Sans une culture, l’homme ne peut pas devenir humain.
C’est pourquoi je suis moi-même très soucieux de faire une analyse sociologique, historique et politique des questions humaines qui se posent dans nos cités, pour éclairer une stratégie pastorale. Nous essayons de faire ce travail d’analyse avec « l’équipe pastorale » que notre évêque a nommée autour de moi et nous sommes en dialogue avec les recherches qui se font dans le département. Par ailleurs, nous sommes stimulés par la réflexion du CCFD – Terre Solidaire, la Pastorale des migrants, le SRI qui soutient notre dialogue avec les Musulmans…
- Cela sous-entend que les chrétiens ne sont pas d’abord face à des non chrétiens, ou a des croyants « autrement » que nous, mais avec des hommes et des femmes de toute culture qui, comme nous, cherchent à ‘devenir davantage homme’, souvent de façon chaotique mais non sans courage. S’il en est ainsi, l’homme a-t-il encore besoin de Dieu pour devenir homme ?
- Tout dépend de l’image qu’ils se font de Dieu. Les Pères du concile Vatican II ont proclamé que « Dieu, qui est invisible, s’adresse aux hommes comme à des amis et converse avec eux. » (Dei Verbum n°2). Si Dieu s’adresse à chacun en ami, cela suppose qu’Il est respectueux de chacun, qu’il n’exclut personne, qu’il est, comme tout ami véritable, animé par un amour exigeant. Les chrétiens de nos communautés, qu’ils viennent des Antilles ou d’Amérique du Sud, des divers pays de l’Afrique, de l’Inde ou du continent Asiatique, sont des gens très religieux. La question n’est pas de les convaincre qu’ils ont besoin de Dieu, ce qui leur semble évident. C’est plutôt de découvrir que ce Dieu auquel ils croient les aime et a décidé de venir vivre parmi eux, qu’il les accompagne chaque jour. C’est ce lent travail d’écoute et de relecture de leur vie à la lumière de l’évangile qui peut les aider à dépasser une religiosité quelque fois un peu trop sentimentale et fataliste. Avec eux, c'est plutôtle contraire de ce qui se passe dans nos milieux européens laïcisés.
- A quels signes pouvons- nous découvrir que Dieu est présent à chacun ?
- Chaque fois que nous vivons des moments de rencontre vraie, d’écoute mutuelle, de pardon, de solidarité et de justice, nous savons que nous sommes sur le chemin de Dieu, car « Dieu est Amour », nous dit St Jean. Jean-Paul II n’a pas craint d’affirmer que tout homme est cultivé car il est façonné par la culture de sa famille, de son peuple, qui porte en elle une part de vérité. Tout homme peut donc apporter sa pierre à l’humanisation du monde : "Chacun d’entre nous garde en lui la hantise de quelques questions essentielles et en même temps garde dans son esprit au moins des ébauches de réponses." (Encyclique de Jean-Paul II : "Splendor veritatis" §41.) Or "toute vérité, dite par qui que ce soit, vient de l’Esprit-Saint", rappelle Jean-Paul II en citant saint Thomas d’Aquin.
- Mais qu’est-ce que la vérité ?
- Je répondrai à cette question en disant que l’homme est dans la vérité quand il est « juste ». Dans la Bible, la justice est citée autant de fois que l’amour. C’est dire son importance. Mais il faut préciser ce qu’elle entend par ‘justice.’ Le juste est celui qui se laisse ajuster à Dieu tel qu’Il se révèle dans le Bible, qui se solidarise avec tous et en priorité avec les plus pauvres, qui sait s’aimer lui-même, qui accepte que la terre soit confiée à toute l’humanité. Les asiatiques diront plutôt, le juste est celui qui vit en harmonie avec Dieu, avec les autres, avec soi-même, avec la terre. On pourrait l’exprimer en d’autres termes, à la suite de Jésus disant à ses disciples : « Qui fait la vérité, vient à la lumière » (Jean3,21) : l’homme va à la lumière quand il cherche à s’ajuster à lui-même en s’acceptant tel qu’il est, avec ses ombres et ses lumières, quand il s’ajuste aux autres, cherchant ce qui est lumière dans le cœur de l’autre, quand il s’harmonise au cosmos cherchant à respecter la nature, quand il accueille Dieu se révélant à lui…
- C’est un vrai combat !…
- Vous avez raison. La vie humaine est un combat. Aujourd’hui, certains pensent volontiers que toute culture ne s’inspirant pas de l’Église est à condamner car elle engendre forcément la mort. Dans sa Lettre aux artistes de 1999, Jean-Paul propose un message qui peut éclairer tous ceux et celles qui sont en recherche en contestant cette façon de voir : "L’art, quand il est authentique, a une profonde affinité avec le monde de la foi, à tel point que, même lorsque la culture s’éloigne considérablement de l'Église, il continue à constituer une sorte de pont jeté vers l’expérience religieuse (…) L’art est par nature une sorte d’appel au Mystère. Même lorsqu’il scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l’artiste se fait en quelque sorte la voix de l’attente universelle d’une Rédemption." En écrivant cela, le Pape concrétise une intuition des Pères du Concile : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, d’être associés au mystère pascal. » (Ad gentes 22). Oui, c’est un combat car il faut être libre intérieurement pour aller à la rencontre des autres. Mais c’est un combat qui ouvre sur une espérance car, pour les Pères du Concile Vatican II, ce combat au service de la « justice » trouvera son aboutissement dans la joie de la résurrection.
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Alors il ne faut pas être systématiquement contre les évolutions culturelles actuelles !
- Bien au contraire. D’abord nous ne pouvons rien contre cette évolution culturelle, contre ce mouvement de mondialisation et de brassage des cultures. Et l’histoire nous apprend que l’Eglise a toujours perdu les combats qu’elle a menés contre des évolutions qui lui faisaient craindre de perdre une position dominante dans la société. D’autre part, le Concile Vatican II a été un grand moment d’ouverture de l’Eglise au monde et à la diversité des cultures humaines. Nous lisons dans L'Église dans le monde de ce temps (n°62/6), que non seulement l'Église prend acte d’une autonomie des cultures, mais qu’elle désire se laisser constamment façonner par elles : "A leur manière aussi, la littérature et les arts ont une grande importance pour l'Église. Ils s’efforcent en effet d’exprimer la nature propre de l’homme, ses problèmes, ses tentatives pour se connaître et se perfectionner lui-même ainsi que le monde (...) Il faut donc faire en sorte que ceux qui s’adonnent à ces arts se sentent compris par l'Église au sein même de leurs activités (...) Que les nouvelles formes d’art qui conviennent à nos contemporains, selon le génie des diverses nations et régions, soient aussi reconnues par l'Église (...) Ainsi la gloire de Dieu éclate davantage ; la prédication de l'Évangile devient plus transparente à l’intelligence des hommes et apparaît comme connaturelle à leurs conditions d’existence. Que les croyants vivent donc en très étroite union avec les autres hommes de leur temps et qu’ils s’efforcent de comprendre à fond leurs façons de penser et de sentir, telles qu’elles s’expriment par la culture."
- Si je comprends bien, partout, on peut découvrir des hommes et des femmes qui font des expériences humaines profondes en cherchant la justice, la vérité, et ce avec amour… partout on peut grandir en humanité en se nourrissant de la recherche des autres… partout, Dieu nous attend…
- Absolument. Isaïe nous invite à chercher des traces de justice dans le monde entier, chez tous les peuples. Ce qui suppose une grande liberté intérieure. Le lieu privilégié de Dieu dans le monde, c’est l’avènement de la ‘justice’. Voilà qui bouscule notre sens du sacré.
- Est-ce dans ce courant culturel et religieux que Jésus s’est situé ?
- Jésus a choisi en priorité le courant prophétique, dont Isaïe est le phare, plutôt que le courant identitaire, sacerdotal, qui mettait le Temple au cœur de la foi juive. Le courant prophétique fait l’unité entre la recherche de la justice et la démarche spirituelle. Par un tel choix, Jésus rejoignait la recherche de tout homme, quelle que soit sa culture. En rejoignant tout homme dans sa vie, il l’appelle à s’associer à sa résurrection en ne cessant de se relever pour vivre ‘debout’. En faisant un tel choix, Jésus savait qu’il risquait sa vie car ce choix remettait en cause la façon dont les responsables religieux de son peuple exerçaient leur pouvoir.
- Que ce soit dans la vie professionnelle, familiale ou personnelle, suivre Jésus en faisant ce choix de servir toute personne pour qu’elle vive debout est souvent risqué et nous demande une véritable conversion. L’histoire nous apprend que ceux qui baignent dans la tradition occidentale, à dominante catholique, ont bien des difficultés à accepter et apprécier des richesses humaines qui se sont épanouies ailleurs, ainsi que des façons de croire autres que les leurs. Et pourtant « Dieu, en se révélant à son peuple jusqu'à sa pleine manifestation dans son Fils incarné, a parlé selon des types de cultures propres à chaque époque » (L'Église dans le monde de ce temps n° 58/1).
- Quelque fois même, pour certains, ce choix ira jusqu’à risquer sa carrière, l’union dans son couple ou avec sa communauté, et même sa vie. Mais aussi, que de découvertes merveilleuses : plutôt que de s’enfermer dans l’idée d’un Dieu « préfabriqué » d’en-haut par un Magistère infaillible ou par une tradition culturelle que l’on croit éternelle…immuable…, celui ou celle qui fait le choix de suivre Jésus découvre combien Dieu est présent au cœur de sa vie, de la vie de tout homme, quelque soit sa situation.
Chercher Dieu, trouver ses traces dans la vie des hommes, dans les évolutions du monde, n’est-ce pas une expérience mystique authentique et accessible à tous les croyants ?
Contribution d’internautes Merci pour cette suite de textes qui touchent, me semble-t-il au coeur
de notre foi et de notre espérance dans le monde d'aujourd'hui, si divers et si tiraillé... * * * Une laïque, belle-mère de deux personnes d'origine étrangère * * * Il vient d’avoir un baptême dans la famille. C’était très convivial. Après coup, je me suis dit que nous avions des approches de Dieu bien différentes. Rien ne s’en est exprimé, ni à la célébration, ni à la réception. * * * Comme beaucoup de jeunes adultes de son âge, un jeune psychiatre semble s’être détaché de son éducation chrétienne. Après la naissance de sa fille, il m’a dit : « Parmi mes patients, j’ai été frappé par le fait que beaucoup pourraient se remonter ; or ceux et celles qui se remontent s’appuient sur une transcendance, et ceux et celles qui ne s’appuient que sur eux ne s’en sortent pas. Je voudrais donner cette chance à ma fille, aussi je souhaite qu’elle soit baptisée. »
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