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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

Les Ogres
Réalisateur : Léa Fehner
Sortie : 16 mars 2016

 

 

Affiche du film - Les Ogres

       Ils vont de ville en ville, un chapiteau sur le dos et leur spectacle en bandoulière. Dans nos vies, ils apportent le rêve et le désordre. Ce sont des ogres, des géants car ils en ont mangé du théâtre et des kilomètres. Mais l’arrivée imminente d’un bébé et le retour d’une ancienne amante vont raviver des blessures que l’on croyait oubliées. Léa Fehner s’est inspirée de sa propre expérience dans le monde du théâtre itinérant pour réaliser son second long métrage, après ‘’Qu’un seul tienne et les autres suivront’’ (2008), Prix Delluc du 1° film. Pour le casting, elle a fait appel à sa propre famille, mais aussi à des comédiens amateurs ou professionnels, comme Adèle  Haenel  qui  joue  la  jeune femme enceinte qui tente d’aider un compagnon rongé par le désespoir.

Dès le début du film, on est plongé au cœur de la troupe. La caméra suit les comédiens pendant les représentations et emporte le spectateur dans un mouvement circulaire entre la scène et les coulisses. Un tourbillon qui montre l'énergie des comédiens et qui donne une impression de mouvement permanent.  ‘’Je voulais que le fond mange la forme, que l'esthétique du film soit à l'image de ce que ressentent les personnages pour suivre cette pulsation du groupe’’, a expliqué la réalisatrice après une avant-première. Changements de villes, démontage du chapiteau, enfants qui courent autour et fêtes alcoolisées, l’histoire se déroule à une cadence épuisante et quelquefois difficile à suivre. Puis parfois, tout se fige pour dévoiler une scène grave ou cruelle.

Ce film nous fait découvrir la vie d'une troupe de comédiens qui a choisi de vivre sa passion et qui partage son quotidien depuis plusieurs années. Les comédiens sont en partie issus du théâtre de rue. Parmi la troupe, Léa Fehner filme ses parents et sa sœur dans leur propre rôle. La réalisatrice a fait le choix de laisser beaucoup de moments d’improvisation, ce qui donne une force réaliste au film. Adèle Haenel, qui incarne la jeune femme enceinte, se fond dans la troupe tout en restant lumineuse. Si certains moments sont très durs, le film réussit à dégager une énergie joyeuse et communicative. Le jour, les membres de la compagnie plantent le chapiteau, recrutent près des plages et dans les rues les spectateurs, badauds ébahis devant tant d’abattage. Le soir, ils jouent avec ferveur pour ce public trop épars mais conquis par les mille talents de ces joyeux comédiens. Un soir, dans des volutes de fumée, une acrobate en robe rouge s’élève dans les airs, mais un instant d’inattention de Monsieur Déloyal provoque sa chute. Pour que vive la troupe, pour que continue la tournée d’été, François, le tout-puissant directeur, décide de faire appel à Lola qui connaît suffisamment le numéro pour un remplacement au pied levé. Marion, son épouse, désapprouve publiquement ce choix car elle craint qu’il ne cède à nouveau à ses charmes. Loin de battre sa coulpe, Monsieur Déloyal poursuit sa dérive désespérée. Mona, sa compagne, est enceinte d’un petit garçon ; l’imminence de cette naissance le renvoie douloureusement à la perte de son fils Thomas, décédé à 13 ans d’une leucémie.

Entre rire et larmes, Les Ogres frappe d’abord par sa vitalité et son exaltation. C’est la vie, bouillonnante et folle dans ses excès, que filme Léa Fehner avec une caméra, toujours en mouvement et amoureuse des comédiens. Et pourtant, elle n’a pas choisi de saisir la meilleure forme de la troupe, mais au contraire ses désillusions, les désirs qui s’érodent, la fatigue qui s’appesantit à chaque difficulté, la lutte pour conserver l’envie d’avancer sur une route sans ligne d’arrivée. Malmenés, ces ogres tiennent tête à la souffrance par le panache et opposent un appétit de vivre vorace face à la mort. Loin d’être idéalisés, ces artistes provoquent, dérangent, quelquefois consternent. D’une pirouette, ils arrachent un rire  ou par un silence, une larme. Ils se déchirent, s’entre-dévorent, mais pourtant dans une immense tendresse qui accompagne tout le film.

Le journaliste de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai a réalisé cet entretien avec Léa Fehner : ‘’Dans les années 90, mes parents se sont embarqués dans l’aventure du théâtre itinérant avec une dizaine de caravanes, un chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque, et ils ont sillonné la France. Quand j’ai décidé à mon tour de raconter des histoires, je crois que j’ai quitté ce milieu pour celui du cinéma parce que j’avais la trouille. La trouille de la truculence d’une vie où, pour parler au spectateur, tu lui postillonne dessus, où les enfants sont au courant de la moindre histoire de fesse, où tu grandis au milieu des cris, du théâtre et des ivrognes. Et c’est sans parler de l’ingérence de tous dans la vie de chacun, du manque de tunes viscéral dont on clame que cela n’a aucune importance, des frustrations qu’on ressent face à ceux qui réussissent mieux… Mais, récemment, tout s’est inversé. Là où je voyais des galères, je me suis mise à voir du courage, cette proximité avec le spectateur m’a fait envie. Alors, au sortir de mon premier film, j’ai eu envie de filmer cette énergie, de faire un film solaire et joyeux, mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, un peu plus vite… Je n’ai pas filmé l’âge d’or de cette compagnie, mais plutôt ce que l’âge a pu faire à cette compagnie. Juste avant que j’écrive ce film, la compagnie de mes parents a fêté ses 20 ans. L’année avait été rude, d’une violence inouïe. Un des membres de la compagnie avait perdu son fils de 18 ans. Mon père, lui, atteignait cet âge où l’on hésite entre le désir et l’abandon. Mais la fête a été maintenue, et elle fut folle. En traversant ce jour avec eux, je me suis dit que c’était ça dont on avait besoin, qu’il fallait raconter : cette façon de dire merde à la mort et à la douleur par le rire, la musique et les excès ; cette énergie qui purge la tristesse dans le débordement et qui fait un pied de nez à la violence de la vie… Les ogres : ce titre fut comme une colonne vertébrale dans notre écriture. Nous voulions parler à la fois de l’appétit de vivre puissant de nos personnages, mais sans nous cacher la part de monstruosité et de violence qui résidait derrière. Ces ogres de vie sont aussi capables de bouffer les autres et de prendre toute la place ! Cette question de la démesure a autant à voir avec le théâtre itinérant qu’avec l’intimité des familles : comment certains y occupent toute la place, comment l’amour peut être dévorant… En France, on oppose souvent baroque et justesse. Je voulais, au contraire, monter comment les deux peuvent se mêler et trouver la sincérité de ceux qui jouent un jeu, la douceur de ceux qui hurlent tout le temps et l’amour de ceux qui se déchirent. Pour moi, lutter contre les valeurs d’ordre, de perfection, de réussite et de repli sur soi, c’est d’une actualité impérieuse. Ici, s’il y a lutte, c’est par le rire, sans se prendre au sérieux. Leur aventure est vivante…’’

 

 

Claude D’Arcier - Mai 2016

 

 


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