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Notre Foi renouvelée / Réaction d'expert

 

 

Les récits bibliques de la Création à l'épreuve de la science

 

 

Pendant des siècles, on avait lu les récits de la Genèse comme un compte-rendu de la formation de l'univers, dont l’Homme ; les connaissances du temps, tant historiques que géographiques, s'accordaient facilement à la vision du monde contenue dans le récit biblique. Les Pères de l'Église et les Docteurs médiévaux pensaient que le monde et les êtres vivants sortaient directement de la main de Dieu ; ils parlaient d'Adam et d'Ève comme des deux ancêtres de l'humanité, aussi réels dans leur existence que David ou le prophète Isaïe. Du XVIe au XXe siècles, la cosmologie, la géologie et la paléontologie ont fait apparaître une histoire immense et complexe : la vision du monde du monde classique ne pouvait plus convenir, et cela jetait le doute sur la vérité de la Bible qui apparaissait comme archaïque et naïve. La question a suscité, dans la conscience européenne toute imprégnée de christianisme, une crise grave dans les universités, les milieux intellectuels. Mais elle n'est pas restée dans le cercle des érudits : elle a touché un vaste public. Le choc a été rude. Protestants d’abord, catholiques ensuite, les chercheurs ont mis en œuvre de hautes exigences intellectuelles pour lire le texte biblique rigoureusement et déterminer ce que les auteurs bibliques avaient voulu dire en leur temps. Gros travail !

Au XIIIe siècle, Thomas d'Aquin ne se doutait pas que sa réflexion théologique posait des bases qui allaient être si précieuses plus tard. Pour lui, « l'inspiration » divine des auteurs bibliques n'est pas une manipulation de l'être humain par Dieu pour lui faire dire ce qu'il ne penserait pas. Dieu ne grave pas son DVD en l’Homme. Il est respectueux : pour dire sa « Parole » divine, il passe par les capacités humaines et les connaissances des auteurs, il laisse les auteurs exprimer eux-mêmes avec leurs propres moyens l’expérience spirituelle qu’il leur donne de vivre, qu’il leur « révèle ».

Cela veut dire que, pour bien lire un texte biblique, il est très utile de le lire dans sa langue originale et pas seulement dans des traductions. Il faut aussi tenir compte de son contexte historique et culturel, et donc le comparer aux textes contemporains, à savoir la littérature du Proche-Orient ancien. C’est ce qu’on appelle la méthode historico-critique. Elle remplit des bibliothèques entières.

D’autre part, la détermination du sens d'un texte suppose de tenir compte de l'intention de leur auteur humain. Le sens du texte est alors déterminé par ce que l'on appelle un « genre littéraire ». Par exemple, ce n’est pas parce que La Fontaine fait parler les animaux qu’il faut en conclure qu’au XVIIe siècle, les animaux parlaient ! La fable est un genre littéraire particulier, et non un écrit scientifique : à travers les animaux, La Fontaine parle des mœurs des hommes.

Dernier outil en date, la linguistique : l’étude des « récits » fait apparaître avec une clarté nouvelle ce que l’auteur d’un récit veut dire en se posant des questions très simples telles que : qui parle ?... à qui parle-t-il ?... pour lui dire quoi ?...

Combinant toutes ces méthodes, l'analyse rigoureuse des premières pages de la Bible montre que le premier récit de la création (Genèse 1,1-2,4) est écrit par des prêtres dans le genre des hymnes liturgiques, tandis que le second (Genèse 2,5-25 ; 3) est écrit par un « sage » cherchant à évoquer, par un récit analogue à celui des mythologies, combien la vie de l’Homme est à la fois belle et difficile.

Le terme Adam désigne à la fois l'homme et l'humanité, mais de deux manières. Le terme hébreu Adam figure dans les deux récits de la création. Il n’a pas tout-à-fait le même sens dans les deux. Je m’y attarde un  peu à titre d’exemple.

* Le premier récit de la Genèse (Gn 1,1-2,4a) est une sorte de poème rythmé qui met en ordre des éléments dans une suite logique de production : le temps et l'espace, puis le ciel et la terre, puis les continents et la mer, puis les plantes, puis les animaux et enfin comme couronnement l'humanité. Celle-ci est désignée par le mot hébreu Adam. Que signifie ce terme  ? Adam est un nom masculin, dont le féminin, Adamah, signifie la terre. Dans ce premier récit, il est employé avec l’article. On peut donc traduire « l’Adam » par : « le terrien » = l’habitant de la terre… « le terreux » = celui qui est fait de la même étoffe que la terre féconde… ou encore (Chouraqui) « le glébeux ».

Comment comprendre l’Adam ? Le mot est employé au singulier. En hébreu comme en français, quand on dit le chien, le lapin, l’homme etc., on parle de ce qui est le propre et la caractéristique commune de tous les chiens, tous les lapins, tous les hommes. Le terme singulier l’Adam désigne l'humanité. On peut le traduire par « l’Homme », avec une majuscule : au sens de l'être humain. On voit bien la maladresse d'employer le mot Adam comme le nom propre d'un individu, comme s’il s’agissait du premier homme.

Sous forme de récit, le texte biblique nous parle de l’humanité, en tant que voulue par Dieu ; il ne répond en rien à la question de commencement de l’humanité. C’est un écrit spirituel. Darwin peut dormir tranquille et nous avec lui.

 

* Le deuxième récit de la Genèse (Gn 2,4b-3, 24) est différent. Là, Adam se rapporte à un individu puisqu’il est placé en vis-à-vis de la femme, : on doit le traduire Adam par homme, au sens sexué du terme. Cet Adam est présenté comme le patriarche de l'humanité ; tout comme Abraham sera présenté plus loin comme le patriarche du peuple d’Israël.

Un patriarche fait naître une lignée. Aussi, cette situation de patriarche invite à ne pas limiter le nom Adam au patriarche de l’humanité, au premier homme. Par son récit en forme de mythe des origines, avec la création et la chute de l’homme (le « péché originel »), l’auteur biblique, un « sage » qui observe attentivement la vie que mènent les hommes, nous parle de la condition humaine, de notre difficulté à vivre selon les exigences du sens moral et la fidélité à l'Alliance avec Dieu.

Avec des images, le texte biblique nous parle de la condition humaine, à la fois belle et tragique ; il ne répond en rien à la question du commencement de l'humanité. C’est un écrit spirituel. Darwin peut dormir tranquille et nous avec lui.

 

Résumons-nous : Adam et Ève ne sont pas des individualités isolées, mais des figures englobantes pour dire qu'il s'agit de tout homme et de toute femme. La Genèse ne répond pas à la questions de nos origines, posée aujourd'hui par la paléontologie humaine, par la théorie de l'évolution et, plus largement, par la cosmogénèse.

Il en va de même avec le récit de la création du monde : il nous dit, de façon poétique, que tout ce qui existe vient de Dieu, trouve sa source en Dieu ; mais il ne dit rien du « comment », il ne nous raconte pas la formation des éléments depuis ce que l’on appelle communément le Big Bang.

Quelques fruits réciproques de l’inculturation de notre foi dans le monde scientifique moderne. A partir du XVI siècle, avec les découvertes prodigieuses de nos sciences, qui transformaient notre « représentation  du monde et de l’Homme, les premiers chapitres de la Genèse ne pouvaient plus être lus naïvement comme une information sur l’origine du monde et sur les ancêtres de l'humanité actuelle.

Au premier abord, ces découvertes paraissaient casser l’autorité de la Bible, et donc notre foi. Il a pourtant fallu les entendre et chercher à les comprendre, honnêtement. Il a fallu accepter d’entrer dans les questions inédites et inquiétantes qu’elles soulevaient… accepter de se laisser déranger… accepter de n’avoir pas de réponse claire tout de suite… supporter des débats internes et externes souvent tendus… entendre, tout en restant libre, les autorités de l’Église crispées mais qui tenaient, contre vents et marées, que la Bible ne peut pas nous tromper… Pas facile ! Il y a fallu 4 ou 5 siècles. Plus d’un a désespéré (Renan, Loisy…).

Grâce à tout ce combat, il est devenu assez évident pour nous, aujourd’hui, que la Bible n’est pas faite pour nous renseigner sur ce que nous pouvons trouver par notre intelligence, mais pour nous dire ce que nous ne pourrions pas savoir par nous-mêmes : c’est-à-dire comment nous sommes aimés de Dieu et ce qu’il attend de nous pour nous marcher sur des chemins d’humanisation véritable, sur le chemin du salut.

Après coup, cette clarification s’avère très enrichissante, bien au-delà de ce qu’on aurait pu espérer :                Notre lecture de la Bible comme Parole de Dieu se trouve enrichie de manière inédite, étonnante. Grâce à 4 ou 5 siècles de recherche, nous pouvons la savourer comme jamais, malgré son immense écart culturel avec notre époque.

              La Bible tient le coup. Nous n’avons rien à craindre des découvertes de notre science, en quelque domaine que ce soit ; bien au contraire. Chaque époque peut apporter sa pierre, renouveler et enrichir, notre lecture.

Si Dieu n’intervient pas pour remplacer notre intelligence, nous sommes invités à une confiance fondamentale, de nature spirituelle, dans les ressources de cette intelligence humaine, même s’il peut lui arriver de déraper.

              Inversement, par notre lecture de la Bible et par notre existence même, nous maintenons la question du sens de l’existence humaine et de Dieu ; une question à laquelle le savoir scientifique ne peut pas répondre mais qu’il n’a pas le droit d’occulter. Pas plus que la théologie ne peut prétendre enseigner la genèse du cosmos, de la vie et de l’Homme ; et pas plus que la théologie ne peut mépriser les découvertes de la science.

Ainsi, la science résiste aux possibles abus de pouvoir de la théologie, tandis que la théologie résiste aux possibles abus de pouvoir de la science. Chacune a besoin de l’autre pour rester elle-même.

Voilà, je crois, la grande leçon de ce bout d’histoire chaotique, qui fait partie du contentieux entre l’Église et la modernité. « On ne convertit que ce qu’on aime, disait le P. Teilhard de Chardin : si le Chrétien n’est pas en pleine sympathie avec le monde naissant - s’il n’éprouve pas en lui-même les aspirations et les anxiétés du monde moderne, s’il ne laisse pas grandir dans son être le sens humain - jamais il ne réalisera la synthèse libératrice entre la Terre et le Ciel (...) mais il continuera à s’effrayer et à condamner, presque indistinctement, toute nouveauté sans discerner, parmi les souillures et les maux, les efforts sacrés d’une naissance (...) Je pense que le Monde ne se convertira aux espérances célestes du Christianisme que si préalablement le Christianisme se convertit (pour les diviniser) aux espérances de la Terre. »*. J’ajouterais que « quand on aime », on est aussi un peu « converti » soi-même… 

 

* Œuvres complètes, T. IX Science et Christ, Paris, Le Seuil, 1965 :
Quelques réflexions sur la conversion du monde
(Pékin, 9 octobre 1936), p. 166.

 

Jacques Teisier


 

 

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