Visionnaire de l'invisible
La littérature
'Quand notre monde est devenu chrétien'
Paul Veyne
Albin Michel
Le christianisme, chef-d’œuvre de création religieuse
Jean-Paul II a voulu que l’Eglise prenne plus au sérieux la culture car pour lui l’homme vit d’une vie pleinement humaine grâce à la culture. Dans son discours à l’Unesco, il a défini l’inculturation comme étant « l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones et, en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise. » Cette visée pastorale exige de prendre conscience de l’originalité de l’Evangile de Jésus-Christ, de la conscience que chacun est façonné par une culture et de la mémoire qu’ont nos contemporains de l’histoire de l’Eglise.
Dans Quand notre monde est devenu chrétien (312 – 394) paru chez Albin Michel, Paul Veyne, professeur honoraire au Collège de France, a cherché à comprendre comment le christianisme, ‘chef-d’œuvre de création religieuse’, a pu, entre 300 et 400, s’imposer à l’Occident. Cet historien pense que Constantin s’est convertit au christianisme non pas à cause d’une victoire militaire remporté parce que ses soldats avaient peint sur leur bouclier le signe christique (les deux lettres grecques X et P, superposées et croisées) mais parce qu’il cherchait Dieu. « Le motif de la conversion de Constantin est simple… à celui qui voulait être un grand empereur, il fallait un dieu grand. » Grand empereur, Constantin guettait l’existence d’un grand Dieu. C’est dans la vie et le message des chrétiens qu’il a découvert Jésus. Aujourd’hui, on a du mal à imaginer le choc qu’a pu produire le christianisme sur les chercheurs de Dieu c’est-à-dire ceux qui se conduisaient de manière à ce que Dieu soit ‘content de vous’. Or les chrétiens témoignaient d’une religion d’amour. Leur vie devenait plus intense car pour eux la vie était un don de Dieu et la mort avec Jésus ressuscité n’avait pas le dernier mot. L’homme était délivré de l’angoisse du devenir. Celui qui priait Dieu le Père découvrait une passion mutuelle qui unit Dieu à chaque homme. Le christianisme s’est imposé parce qu’il offrait quelque chose de différent et de neuf. C’est à sa différence et à son originalité que le christianisme doit son succès. Si il est un chef-d’œuvre religieux, l’auteur pense que l’Eglise elle aussi est un chef-d’œuvre car c’est une religion qui demande aux croyants de professer leur foi. « Il ne suffisait pas d’être chrétien mais il fallait se dire chrétien, le professer car on y avait avec Dieu (comme dans le judaïsme et les Psaumes) une relation personnelle qu’ignorait le paganisme ; on endurait le martyre pour ne pas renier sa foi. »
L’auteur poursuit son étude en soulignant comment, tout au long de l’histoire de l’Occident les ‘César’ ont utilisé Dieu pour asseoir leur pouvoir sur la société.
Au dernier chapitre, le grand historien qu’est Paul Veyne se pose la question : l’Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? L’auteur souligne en premier lieu qu’une religion est une des composantes d’une civilisation, elle n’en est pas la matrice. La religion juive, la culture grecque, le sens de l’organisation romaine, l’Eglise et le temps de l’histoire ont contribué à la naissance de l’Europe, les uns influençant les autres : « De l’entrecroisement confus de facteurs de toute espèce qui composent une civilisation, la partie qui semble émerger est la religion ou encore les grands principes affichés, parce que c’est la partie audible, lisible, langagière d’une civilisation, la partie qui saute aux yeux et aux oreilles et d’après laquelle on est porté à la caractériser et à la dénommer… Elle (L’Europe) n’est pas préformée dans le christianisme, elle n’est pas le développement d’un germe, mais le résultat d’une épigenèse. »
R P