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Visionnaire de l'invisible
La littérature

'Du Dieu des chrétiens et d'un ou deux autres'
Rémi Brague
(Flammarion - 2009)

 

Ce qui est révélé dans le judaïsme,
c’est l’histoire du peuple d’Israël,
dans le christianisme,
c’est la personne du Christ lui-même,
dans l’Islam, c’est le Livre.

 

           Qui est le Dieu des chrétiens ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quelle est son originalité ? A ce vaste sujet, le philosophe Rémi Brague apporte ses réponses en sept chapitres concis et stimulants dans son livre ‘Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres’ paru chez Flammarion en 2008.  Que Dieu soit toujours bien au-delà des représentations qu’on peut s’en faire, c’est évident. Mais cela n’explique pas toutes les approximations et les confusions qui s’expriment dès qu’on échange sur les questions d’ordre religieux. Car toutes les représentations de Dieu ne sont pas identiques, loin s’en faut, et celle que s’en font les chrétiens est assez étonnante. Qui donc est ce Dieu des chrétiens et que peut-on connaître de Lui ? Il est un, mais de façon très particulière. Il est père, sans être un mâle. Il a parlé, mais sans nous demander quoi que ce soit. Il pardonne, mais en respectant notre liberté. On peut refuser ou accepter le Dieu des chrétiens. Mais ce livre nous aide à faire ce choix en toute connaissance de cause.

Le bon sens commun estime que Dieu est le même pour toutes les grandes religions, mais qu’il est au-delà de toutes les représentations qu’on peut s’en faire. Donc, est-ce bien la peine d’aller chercher midi à quatorze heures ?

Pourtant, ce qui est intéressant, c’est que justement les idées qu’on a sur Dieu varient profondément entre les peuples, entre les écoles et les religions. Si nous ne pouvons pas saisir Dieu-en-soi, cette impuissance nous ramène précisément à la diversité des représentations qui en sont faites et nous invite à mieux comprendre ce qui les rapproche ou les différencie.

L’auteur va donc s’intéresser d’abord au Dieu des chrétiens, mais pas pour apporter des ‘preuves’ de son existence. Il cherche à montrer que l’image de Dieu que propose le christianisme présente des traits qui la distinguent de certaines autres représentations. Il commence donc par aborder certaines confusions répandues dont il faut se garder. Puis il précise ce que veut dire ‘connaître’ Dieu. Enfin, il examine quelques caractéristiques du Dieu des chrétiens, que nous avons énoncées plus haut, en les comparant à l’occasion avec ce qu’en disent les autres religions, afin de faire ressortir la singularité du christianisme.

Quand il s’agit de religion, les médias parlent volontiers des « trois monothéismes », des « trois religions d’Abraham » ou des « trois religions du Livre ». Cette association du judaïsme, du christianisme et de l’Islam cherche à souligner un point commun et un éventuel terrain d’entente entre elles. Mais ces trois expressions sont à la fois fausses et dangereuses. En effet, en affirmant que Dieu est un, la vraie question n’est pas de déterminer la quantité des dieux, mais plutôt de se demander comment Dieu est un, et comment chacun le conçoit. L’idée de ‘religion révélée’ est aussi trompeuse, parce que la ‘révélation’ n’a pas le même sens dans les trois religions : ce qui est révélé dans le judaïsme, c’est l’histoire du peuple d’Israël ; dans le christianisme, c’est la personne du Christ lui-même ; tandis que, dans l’Islam, ce qui est révélé c’est le Livre. Ces expressions qui veulent rechercher des éléments communs, suscitent plutôt la confusion que la clarté. Pour dialoguer, il faut commencer par respecter l’autre comme il est, c’est à dire le comprendre comme il se comprend lui-même, utiliser les mots dont il se sert dans le même sens que lui et reconnaître les désaccords de départ pour chercher à les dépasser.

Pour le christianisme, Dieu est quelque chose comme une personne. On peut s’en faire une idée en considérant la célèbre réponse apportée à la question de Moïse : « Je suis (serai) celui que je suis (serait) » (Ex 3/14). D’une personne, d’une liberté, on ne peut rien dire d’autre que : elle sera ce qu’elle sera. Lorsqu’on interroge quelqu’un en lui demandant : « Qui êtes-vous ? », avec un vrai désir de la connaître, la réponse vraie est : Tu verras… Elle ne peut s’éclairer que dans une expérience d’amitié ou d’amour, c'est-à-dire dans un espace ouvert où l’autre pourra dire ce qu’il est, ce qu’il veut être et ce qu’il devient, donc ce qu’il sera. L’amour consiste à laisser l’autre être ce qu’il veut être. Pour vraiment connaître les autres qui sont ‘en dehors’ de moi, il faut aller les chercher là où ils sont.

On  peut dire en toute vérité que Dieu est caché. Il est caché parce qu’il n’est accessible qu’à la foi ; ce qui ne veut pas dire qu’il est fermé à notre intelligence. Saint Paul n’oppose pas foi et connaissance : « Pour l’instant, je connais en partie ; alors je connaîtrai comme je suis connu » (1 Co 13/8-12). Pour lui, le fait de connaître Dieu et d’être connu par lui, n’est pas renvoyé dans le futur, mais c’est une expérience présente (Gal 4/9). Dieu ne cherche pas notre bonheur, il cherche notre bien, c'est-à-dire notre sanctification : « Soyez saints comme je suis saint » (Lev. 17). Notre bien, c’est Dieu lui-même, rencontré dans une union d’amour. Dieu étant liberté, il ne peut être rencontré que dans le croisement de deux libertés qui se donnent.

 

Un Dieu un

Le christianisme confesse un Dieu trinitaire, un seul Dieu en trois personnes : serait-ce par recherche d’un juste milieu entre monothéisme et polythéisme ? Non, la vraie question est de savoir comment Dieu est un. Pour qu’on puisse le comprendre, il faut qu’existe entre Dieu et nous un minimum de ressemblance, pour que ce que nous disons de lui reste compréhensible, pour que l’unité de Dieu puisse être confessée et pas simplement constatée, et pour qu’elle puisse susciter un don de soi de la part du croyant.

Bernard de Clairvaux affirme que le lien qui maintient l’unité de Dieu, c’est la charité, qui en fait l’unité la plus forte. Pour nous, l’amour est à la fois le plus profond, mais aussi le plus périphérique, des types d’unité que nous pouvons connaître, car on reste toujours deux. L’amour doit consentir à l’irréductible altérité de l’être aimé : « Aimer purement, c’est consentir à la distance », a écrit la philosophe Simone Weil. Cette extériorité est une donnée constitutive de notre être, avant même la naissance de l’amour. Et le respect de la différence vient après coup. L’amour humain ne peut donc qu’accepter l’altérité de l’être aimé, il ne peut pas le produire. Nous sommes des êtres finis parce que nous sommes divisés, entre notre être personnel et notre côté « naturel », qui englobe tout ce que nous avons reçu, par notre éducation, notre histoire, notre milieu. Et la relation qui nous lie à autrui n’est pas la même chose que notre nature. Autrement dit, l’amour est quelque chose que nous vivons, mais il n’est jamais à lui seul ce que nous sommes.

C’est sur ce point qu’intervient la nouveauté chrétienne : « Dieu est amour », affirme saint Jean (1 Jn 4,16). Ce qu’est Dieu, c’est de l’amour, et rien d’autre. Les trois personnes divines ne se distinguent en rien, si ce n’est par les relations qui les unissent. Ce que chaque personne possède, elle ne le possède qu’en le donnant aux autres. Chaque personne est la relation qu’elle a avec les autres. Celui qui cherche à comprendre la Trinité, en restant en dehors de l’amour, ne peut rien y comprendre car l’amour ne nous invite pas à connaître la Trinité, mais à partager sa vie.

 

Un Dieu Père

Beaucoup d’hommes sont pères et tous en ont eu un. Pour les chrétiens, la sexualité contient une trace de la création de l’homme par Dieu. Dieu a créé l’homme à son image, et « Homme et femme, il les créa » (Gn 1,27). Le Dieu d’Israël est considéré comme l’Epoux de son peuple. C’est donc qu’il doit y avoir, en Dieu, quelque chose qui ressemble  à la sexualité. La virilité est la capacité pour un homme de féconder une femme. Or, la paternité du Dieu d’Israël n’est pas une virilité qui serait orientée vers une figure divine féminine. Et donc le primat de la paternité en Dieu n’entraîne pas un primat de la virilité sur la féminité humaine. Le fait que Dieu soit plutôt père que mère ne confère aucun privilège aux hommes qui peuvent eux-mêmes être père.

 

Un Dieu qui a tout dit

L’originalité de la foi chrétienne, se découvre dans le fait que ce qui est donné n’est pas une loi, mais une personne qui est Dieu, le Christ, en qui Dieu s’est dit tout entier, et une fois pour toutes. Aussi, demander une révélation particulière, ce serait demander à Dieu de faire passer son Fils par une nouvelle incarnation et une nouvelle passion. Pour Jean de la Croix, le Christ n’est pas celui qui dit Dieu, mais celui qui est dit. Il n’est pas quelqu’un qui porte un message, il est le message lui-même. Alors, la parole n’est plus purement verbale, elle est un acte en même temps qu’une parole. Ainsi, le sermon sur la montagne est moins une nouvelle loi que la présentation de l’attitude intérieure du Christ, qui éclaire sa conduite, telle qu’elle culmine dans la passion. Le dernier mot du Verbe sera celui d’un Verbe impuissant, réduit au silence. La puissance de la parole est le silence du Verbe, dépouillé de toute puissance. Le plus révélateur, ce qui sera le plus parlant, ce ne sera pas ce qu’il dira, mais ce qu’il fera. L’Esprit qui nous est donné n’est pas un nouvel objet qui serait révélé après la mission du Fils. Au contraire, il est celui qui rappelle que tout a été donné (Jn 14,26). Il est celui qui donne plutôt que celui qui est donné.

Alors, que reste t-il à faire quand tout est donné ? D’abord, tout est donné, mais tout n’est pas manifesté. Il y a beaucoup à faire, à vivre, pour rendre manifeste, dans nos vies, le mystère d’amour qui nous est donné en Jésus-Christ. Ensuite, l’Esprit est celui qui fait parler, qui suscite en nous une parole de réponse. Avec le silence de Dieu, l’agir humain se trouve libéré. La conduite de Dieu exprime l’amitié qu’il a pour l’homme : « Je ne vous appelle plus serviteurs…je vous appelle amis » (Jn 15,15). La façon dont parle le Dieu des chrétiens n’aboutit pas à faire taire l’homme. La parole divine ne remplace pas la parole humaine, elle ne la couvre pas, ne lui dicte pas ce qu’elle doit ressasser. Au contraire, elle la suscite comme la réponse que Dieu attend.

 

Un Dieu qui ne nous demande rien

Le christianisme est resté fidèle à ce principe : nous possédons en nous-mêmes de quoi connaître les règles à suivre. Le vrai problème est de savoir pourquoi, alors que nous savons ce que nous devrions faire, nous ne le faisons pas ? La révélation chrétienne propose, non pas la Loi, mais la miséricorde et la grâce ; il ouvre un espace de liberté. La Bible propose l’image du Dieu vigneron (Is 5,1-2). A une plante, on ne demande rien ; on attend qu’elle pousse. Dieu attend de son peuple la justice. Il n’attend rien de plus que de voir ses créatures se développer selon leur logique immanente et porter leur fruit. Le temps de l’histoire est donc aussi celui de l’attente de Dieu, pendant lequel Dieu attend la réponse de l’homme. La réalisation du projet de Dieu est confiée, aussi, à la liberté humaine. Tandis que, pour le Coran, l’humanité est liée à Dieu par un « pacte » qui fait que la réponse de l’homme est donnée, globalement, dès avant l’histoire. L’Islam suppose donc que l’homme est « naturellement » musulman.

Comment répondre à ce Dieu qui ne demande rien ? Le vrai Dieu ne demande rien, il ne fait que donner. Les faux dieux ne font que demander. Ils sont des demandeurs qui ont toujours la main tendue, pour quémander leur existence aux êtres mêmes qui la leur donne. Le christianisme ne propose pas de donner un sens à la vie, comme si celle-ci n’en avait pas, mais plutôt de dévoiler ce sens. La vie ne peut avoir de sens que comme résurrection. Le sens de la vie n’est pas autre chose que la vie elle-même, la vie sans limites, éternelle, que Dieu veut nous donner.

 

Un Dieu qui pardonne les péchés

            Dieu est celui qui attend que nous choisissions le bien et la vie. Ce qui gâche la vie humaine, le christianisme l’appelle le ‘péché. Son Credo confesse ‘la rémission des péchés’. De quoi s’agit-il ? La réduction moderne du péché au plaisir sexuel ne vient pas du christianisme, mais elle coïncide avec la rationalisation de l’esprit occidental lié à l’économie capitaliste et aux Lumières : il fallait promouvoir le sérieux du travail, l’épargne, et ne pas mettre sa santé en péril. Donc le péché ne coïncide nullement avec le plaisir. On dit souvent que ‘le péché offense Dieu’, mais celui qui est lésé par le péché c’est plutôt celui qui le commet ; et Dieu n’est ‘offensé’ que par ce qui abime l’homme. Dans sa critique de la religion, Feuerbach entend récupérer ce dont l’homme se serait dépouillé en le projetant sur Dieu. Mais le choix n’est pas entre Dieu et nous, comme si nous étions en concurrence, mais entre nous et une fausse image de Dieu : l’homme qui pèche ne blesse que lui-même en se privant de son bien. Le bien n’est pas ce que Dieu a, mais ce qu’il est. Dieu est le bien de l’homme. Pécher, se séparer de Dieu, et se faire du tort à soi-même, c’est tout un. Le Credo confesse la rémission des péchés, non la foi au péché. On dit que Dieu ‘pardonne’ les péchés, en oubliant que le pardon n’est pas encore la rémission. Le pardon est humain, la rémission ne peut venir que de Dieu : le pardon ne peut pas ‘changer mon cœur’, me redonner la liberté de ne plus pécher. La rémission que Dieu me donne est une libération qui transcende le pardon humain. Où est alors le péché ? En moi, et en moi seul. Moi seul peux m’accuser de pécher. Je peux constater que l’autre a commis une faute, mais je ne peux en aucun cas l’accuser de pécher.

            ‘A tout péché, miséricorde’, dit le proverbe. Le péché est ce qui est pardonné. Le péché n’est visible que du point de vue du pardon. Il ne l’est donc qu’après coup, dans le rétroviseur, de dos. Dieu ne peut pardonner que mon péché, parce que le péché est le mal approprié, personnalisé par moi. Dieu ne peut remettre que le péché, une fois qu’il est assumé en une personne. Dans le sacrement de la réconciliation, l’aveu est la condition du pardon car il délie l’homme des liens de son péché. En refusant de reconnaître mon péché, je m’exclue du pardon, car je ne donne pas au mal qui est en moi de quoi devenir accessible au pardon. « J’ai péché » est la seule phrase vraie sur le péché. Une fois mis au contact du ‘je’, le péché disparaît. Dieu décharge du péché, en rendant le sujet à lui-même et à sa liberté. Pour que nos péchés nous soient remis, il suffit de redevenir un ‘je’. Mais c’est justement cela que nous ne pouvons pas faire seul : nous ne pourrions rien faire si Dieu ne nous avait pardonné d’avance (dès l’origine) dans le Christ (Ep 1/4). Il nous a d’emblée tout pardonné, une fois pour toutes, sur la croix. C’est au regain d’amour chez la femme qui lui oint les pieds que Jésus reconnaît que ses péchés lui sont remis (Lc 7/47), qu’elle s’ouvre à l’espérance et se trouve réintégrée dans le projet de salut de Dieu, c'est-à-dire aimer son prochain  parce que Dieu l’aime et la rend capable, elle aussi, de l’aimer. Reste à  chacun de savoir s’il accepte ce pardon, qui nous est offert depuis toujours.

            Ce livre, ardu dans ses développements philosophiques, m’a semblé très libérant car il s’éloigne de tout moralisme, en mettant en valeur la profondeur et la gratuité du geste de Dieu à notre égard, et l’importance centrale de la liberté de notre réponse. Ce livre ouvre magnifiquement à l’alliance nouvelle que Dieu nous propose en son Fils Jésus, le Christ.

 

Septembre 2011             Jean-Claude D’Arcier (prêtre en mission ouvrière dans le 93)

 

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