L'Église de notre temps à l'écoute des artistes en Arts plastiques
Consécration de l’autel de la cathédrale
de Châlons en Champagne
A l’occasion de la réouverture de la cathédrale après sept ans de travaux, et en concertation avec l’architecte en chef des monuments historiques, le Père Gilbert Louis, évêque de Châlons en Champagne, a demandé à l’artiste Hamid Tibouchi de réaliser le maître autel, l’ambon et la cathèdre de sa cathédrale. C’est la ‘résurrection des morts’ qui lui a été proposer à méditer en raison de la récurrence du thème dans les vitraux et sur la frise d’une cuve baptismale datant du 12ème siècle. N’étant pas de confession chrétienne, cette réalisation a été l’occasion d’un dialogue passionnant non seulement avec l’artiste mais aussi avec la communauté chrétienne comme en témoignent la note d’intention de l’artiste et la correspondance qui a suivi la consécration de l’autel, la bénédiction de l’ambon et de la cathèdre Cet œuvre d’art est sans doute le signe que l’Esprit de Dieu travaille le cœur des hommes pour qu’ils vivent en frères en se respectant et s’enrichissant mutuellement dans leur quête de la Vérité.
L’Esprit de Dieu au cœur de l’humanité
« Alors ceux qui furent appelés se mirent debout hors du tombeau. Avec la nuque, ils ont fait aller la terre en arrière ; ils ont percé du front la terre comme une graine germe, poussant dehors sa pointe verte ; ils ont eu de nouveau un corps ». Ainsi débute Terre du Ciel, un roman de l’écrivain suisse vaudois Charles-Ferdinand Ramuz, que j’ai lu dans mon adolescence, et qui m’a beaucoup marqué. Ce roman, Ramuz l’avait initialement intitulé La Résurrection des corps.
Quand mon ami François Chatillon m’a parlé du projet de meubles liturgiques qu’il devait dessiner pour la cathédrale Saint Etienne de Châlons-en-Champagne, et de son souhait de m’en confier le travail de décoration sur le thème de la Résurrection, la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est cette métaphore de Ramuz de la graine qui germe et qui pointe ses petites feuilles vertes hors de la terre. Y a-t-il plus belle image pour symboliser non seulement la renaissance, la vie, mais également la nourriture, puisque la graine se transforme en épi de blé qui sera à son tour transforme en pain par l’homme pour fortifier son corps et ouvrir aussi son esprit à la nourriture du Verbe ? Ainsi s’écrit depuis des millénaires, au fil ininterrompu du cycle des saisons, sur l’immense palimpseste de l’humanité, l’histoire de la mort des corps et de la résurrection des esprits.
J’ai donc travaillé sur cette idée de palimpseste, d’accumulation de signes ou plutôt de traces de pinceau évoquant la graine et l’épi de blé.
Dans chacune de mes trois propositions, on pourrait également voir la trame d’une tapisserie inachevée (celle de l’histoire de l’humanité) ou l’agencement de lettres pour former une page d’écritures (référence aux Saintes Ecritures). Ces « écritures », illisibles au sens linguistique du terme, peuvent être lues comme la promesse miraculeuse d’un champ de blé ou l’élévation des âmes vers le ciel (particulièrement dans le dessin de l’Autel), comme la résurrection du « corps du Christ » ou la flamme de son Esprit (pour la Cathèdre) ou encore comme un vol de papillons ou d’oiseaux, la poussée des épis ou celle des flammes, lectures signifiant toutes la résurrection des âmes pour l’Ambon.
En ce qui concerne le projet que j’ai conçu pour le Maître Autel, je suis parti de la réalisation d’un dessin qui m’a servi de module. J’ai ensuite dupliqué ce module en miroir pour obtenir un second module que j’ai répété sur les trois faces visibles de l’Autel. J’ai voulu signifier de la sorte l’idée de Permanence du Sacré, celle de la pérennité de la Parole qui tend vers l’infini. Sur la partie frontale de l’Autel, apparaissent en réserve trois formes verticales évoquant la Trinité, tandis que sur chacune de ses deux faces latérales apparaît une seule verticale, centrale, suggérant l’Un.
Il convient de noter que les graphismes qui apparaissent en jaune sur les maquettes seront travaillés à la feuille d’or. Ils seront traités en reliefs légèrement bombés afin de créer un certain dynamisme et de mieux « vivre » à la lumière. - Hamid Tibouchi
Monseigneur,
Je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude pour m’avoir permis de réaliser ce travail de décoration sur les trois meubles liturgiques aux lignes épurées dessinés par mon ami François Chatillon.
C’est pour moi à la fois un grand honneur et un acte hautement symbolique : au-delà de la thématique de la ‘résurrection des morts’ que j’ai tenté de traduire à ma façon, c’est aussi une forme mystique de l’avènement de l’esprit œcuménique à travers le monde auquel j’aspire de tout mon être.
C’est pourquoi j’ai été particulièrement sensible, lors de la consécration de l’autel, à l’évocation de sœur Odette Prévot et des autres martyrs d’Algérie, de même qu’à celle de Saint Augustin, berbère comme moi…
Le moment où vous avez déposé la relique de sœur Odette à l’intérieur de l’autel a été pour moi un moment de vive émotion. J’ai eu tout à coup le sentiment de l’accomplissement du travail que j’ai effectué humblement, celui d’avoir été choisi pour ‘habiller’ d’or et de lumière sœur Odette et tous ceux de la Communion. Cette cérémonie de consécration ressemblait aussi à une fête de la renaissance de la cathédrale et de la résurrection de tous les martyrs et de tous les saints qui étaient évoqués ce samedi 21 mars 2009, jour de la sainte Clémence et deuxième jour du printemps.
Hamid Tibouchi 23 mars 2009