L'Église de notre temps à l'écoute des artistes en Arts plastiques
Comment incarner ce que nous pensons ?
Il n’est pas rare qu’une exposition à thème ou d’œuvres d’un artiste engagé provoque le visiteur à remettre en cause sa vision du monde dans lequel il baigne. C’est ce qui nous est arrivé lors de la visite de l’exposition ‘Portraits de la pensée’ au Palais des Beaux Arts de Lille.
Alain Tapié et Régis Cotentin ont rassemblé des portraits de saints, de philosophes, de religieux, de Jésus, d’artistes, de vieillards, de prophètes, d’astronome, de chercheurs peints par des grands maîtres du 17ème siècle. Ces peintres ont réussi à incarner dans leurs peintures le doute, la recherche, la prière. En faisant dialoguer la lumière, l’ombre et le mouvement notamment dans les visages et les mains, ces artistes ont représenté la réflexion, la méditation, le retrait en soi. Ils ont donné corps à l’acte de pensée. Ils ont approché l’invisible, la foi, la présence cachée de Dieu. Ils ont peint une lumière intérieure qui donnait sens à la vie, une lumière qui venait de l’extérieur qui était reçue comme un don. Ils ont réussi à exprimer une richesse intérieure dans une pauvreté extérieure.
Dans le catalogue de l’exposition, Pascal Quignard, écrivain, aborde la question de savoir comment figurer la pensée, l’intérieur de la tête en proie à ce qui le déconcerte, affrontée à une énigme ? Pour éclairer cette question, il fait un rappel historique passionnant.
La méditation dans le monde antique s’imagine comme un débat de voix qui a lieu à l’intérieur du corps. Ce débat permet de voir à l’intérieur de soi ce qui monte et va surgir. La peinture antique ne présente pas l’action qu’elle évoque mais elle figure l’instant qui la précède.
La période de la fresque peinte en Etrurie décrit la démarche des artistes de cette époque. Avant la contemplation esthétique, il y a le temps du guet. L’artiste se tient en embuscade dans le visible pour découvrir l’invisible. « La méditation est une grossesse, dont l’enfant est la pensée. » (p. 24) « La peinture est comme un chasseur qui guette. » (p. 29)
Le peintre romain peint le moment d’avant, juste avant l’instant où le scène va s’extérioriser. La pensée est recueillement, elle accueille ce qui va naître. Le peintre comme le prophète voit plus loin que ce qui est montré.
Ce rappel historique n’éclaire pas seulement la démarche de ces peintres mais cette démarche est bien celle de tous et celles qui sont attentifs à tout ce qui naît dans notre monde tout ce qui surprend, pose question. C’est pourquoi les commissaires de l’exposition ont tenu à rendre hommage à Bill Viola, grand artiste contemporain dont une œuvre est exposée au milieu de ces portraits. Son installation s’inspire de l’expérience mystique de Jean de la Croix pour qui l’absence est omniprésence : « Cette approche religieuse vise la révélation du divin dans le silence de la pensée. » (p.60). Aujourd’hui, un certain nombre d’artistes n’hésitent pas à affronter les mêmes questions qui taraudaient les artistes du 17ème siècle. Nous pensons non seulement à Bill Viola mais aussi au photographe André Serrano qui, croyant à la résurrection des corps, a su révéler la lumière qui brille dés maintenant dans le cœur des ‘sans domicile fixe’ de New York. Dans un autre domaine, les frères Dardenne, cinéastes, savent si bien "Filmer quelqu'un qui veut du bien à un autre, cela ne nous est pas souvent arrivé."
Se laisser interroger par ces peintres qui sont exposés à Lille et qui ont su éclairer leur visage de la vie intérieure qui brille en chaque homme, c’est oser aborder des questions qui sont souvent occultées par une société qui privilégie le rendement, le court terme, le paraître... Notre société a conscience qu’elle risque de passer à côté de l’essentiel quand l’économique façonne la société. Un des sujets du baccalauréat de philosophie de 2011 était : ‘L’art est-il moins nécessaire que la science ?’ Aujourd’hui comme hier, pour partager ce qui les anime profondément, certains passent par l’art, que ce soit les arts plastiques, la musique, la danse... D’autres, par la réflexion, la méditation ou la prière, par le témoignage, par des appels, des cris…
Si, dans la vie familiale, professionnelle, politique, associative, pastorale, chacun avait ce regard d’artistes sur les autres, notre monde serait plus humain.
Juin 2011- R. P.