Les Bouleversements culturels /Réaction d'expert
Le devenir des paroisses urbaines
et la nouvelle sociabilité croyante
Est-il pertinent de s’interroger aujourd’hui sur les tendances émergentes du catholicisme contemporain, tandis que la pratique régulière comme le montrent les enquêtes sociologiques, ne cesse de diminuer ? Ces mêmes tendances font-elles vraiment sens et peuvent-elles influer à moyen terme sur la perte du religieux ?
Telles furent les questions qui ont motivées Bénédicte Rigou-Chemin à présenter une thèse de Doctorat en anthropologie sociale et historique à l’EHESS sous la conduite de Jean-Pierre Albert. Son titre : « Les virtuoses religieux en paroisse (individus qui ont le désir et la volonté forte de mettre en concordance leur vie quotidienne tant sociale que professionnelle, avec leur éthique religieuse particulière): une ethnographie du catholicisme en acte » donne le ton de la démarche. La thèse interroge en creux une mutation récente et fondamentale au sein de l’Eglise catholique : le devenir des paroisses urbaines et la nouvelle sociabilité croyante dans la lignée des transformations qui accompagnent le concile Vatican II.
L’objectif de la recherche ?
Conduire de l’intérieur, une analyse des transformations du catholicisme français dans deux paroisses toulousaines, l’une de type « ordinaire », animée par une communauté assomptionniste, l’autre « affinitaire » dédiée depuis quelques années à la pastorale étudiante à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération. La recherche se fonde sur l’hypothèse implicite selon laquelle le changement qui s’opère au sein de l’institution catholique « devenue incontestablement minoritaire » peut et doit être observé « de près » si l’on veut en saisir à la fois les modes d’émergence, les dynamiques internes, les attributs des acteurs, traditionnels ou innovateurs. Le choix de deux paroisses d’orientations et de fonctions socioreligieuses différentes a permis de mettre au jour des modalités de fréquentation, d’affiliation et de fonctionnement contrastées en particulier autour de la notion de gouvernance paroissiale. Ce sont bien deux configurations originales du catholicisme localisé, dans leur fonction in extra et ad extra, qui se dégagent au fil des pages, donnant à voir la différenciation des intérêts religieux et la capacité d’invention institutionnelle au travers d’une figure type, celle du virtuose en paroisse.
En usant de ce terme, B. R-C ne nomme pas comme le fait Max Weber, ceux et celles qui se mettent volontairement en retrait du monde pour ne plus avoir qu’un agir spirituel. La catégorie de virtuose en paroisse désigne des individus qui ont le désir et la volonté forte de mettre en concordance leur vie quotidienne tant sociale que professionnelle, avec leur éthique religieuse particulière. Cette éthique, cultivée et entretenue, détermine non seulement un rapport au monde mais aussi des stratégies sociales particulières en matière de solidarités et d’accueil.
De ce travail nous retiendrons plusieurs points :
Tout d’abord l’accent mis sur une réactualisation du terme de paroisse montrant qu’il existe désormais une convergence entre deux modèles autrefois distincts : la paroisse ordinaire et la paroisse affinitaire.
L’enquête met aussi en évidence à l’échelle des deux communautés et de leurs acteurs locaux, la porosité de la frontière entre les courants dits « traditionnels » voire « traditionalistes » et les courants des communautés dites « nouvelles » ou « charismatiques ». Cette zone tampon des « tradismatiques » est intéressante pour l’étude des recompositions politico-théologiques en cours depuis 20 ans au sein du catholicisme romain.
Enfin, l’identification des tendances fortes des virtuoses qui se manifestent au travers d’une culture du service et du partage d’expérience fraternelle ou spirituelle. Cette culture de l’engagement qui a remplacé la militance des années 70/80 est sans doute un changement majeur chez les croyants, c’est elle qui participe à la cohésion de l’Eglise. Elle se manifeste également à travers une annonce directe et spontanée de la foi, une plus grande visibilité ainsi que dans une demande de formation spirituelle. Expérimenter sa foi et exprimer sa foi sont des formes renforcées d’affiliation de l’identité croyante motivées par la responsabilité de la transmission qui préoccupe les croyants virtuoses. Ces virtuoses se disent facilement en phase avec leur temps, en quête d’un christianisme affirmatif, qui leur donne des raisons de vivre. Une mutation importante concerne d’ailleurs leurs domaines de préoccupations : les relations internationales, le chômage, la précarité comme la bioéthique, le développement durable.
La thèse montre que si la virtuosité des croyants renforce la culture paroissiale, cela n’occulte pas les façons d’être et de faire propre à chacune les exposant aussi bien à des sursauts dynamiques comme à la fragilité.
En conclusion ?
L’auteur avance l’idée, que pour passer d’une pratique religieuse traditionnelle à la tendance d’un catholicisme citoyen, la paroisse justement pourrait être l’élément qui fasse lien. Elle apparaît comme un lieu ressource toujours d’actualité lorsque l’option a été faite d’une gouvernance souple, horizontale et surtout en constante redéfinition. Le modèle du prêtre, homme orchestre de la paroisse présenté comme un véritable chef d’entreprise ne saurait être écarté et s’avère être un préalable de taille dans cette évolution.
Bénédicte Rigou-Chemin
Si vous désirez entrer en contact avec l’auteur de cette thèse : b.rigou.chemin@gmail.com.