Les Bouleversements culturels /Réaction d'expert
Nos sociétés enfantent la vie ensemble dans les douleurs
Aujourd’hui, nos sociétés ne sont pas seulement en crise, elles enfantent dans les douleurs une nouvelle façon de vivre ensemble.
Prenons quelques exemples. Nos sociétés sont toutes remises en cause par la mondialisation et par l’individualisme. Beaucoup pensent que l’individualisme se traduit par un enfermement sur soi, sur son clan, son ethnie. D’autres soulignent que ce même individualisme se manifeste partout dans le monde à travers un combat, parfois au risque de sa vie, afin que soient respectées la liberté individuelle et la liberté de conscience.
En Occident, la recherche de la liberté et de l’égalité enfantent deux visions de la vie en société qui s’affrontent, l’une attachée au modèle familial fondé sur l’altérité homme-femme, l’autre défendant avant tout l’ouverture aux droits individuels.
Quelque chose cherche à naître...
Cet enfantement ne date pas d’aujourd’hui. Certains intellectuels pensent que la révolution française a introduit une rupture culturelle qui a donné naissance à un Homme nouveau. Une révolution qui est perçue par certains comme un événement religieux : « La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l'école a un rôle fondamental, puisque l'école doit dépouiller l'enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu'à devenir citoyen. Et c'est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l'école et par l'école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. », écrit V. Peillon dans La Révolution n'est pas terminée, paru au Seuil en 2008.
Actuellement, les religions sont remises en cause car elles apparaissent souvent, en particulier dans les médias, comme sources de guerres, toutes gangrenées par le fanatisme et empêchant de vivre en Homme libre. En France, au nom de la laïcité, de la paix et du vivre ensemble, les religions tendent à être cantonnées dans le domaine privé, alors que, si la loi de 1905 leur interdit de diriger la vie publique. Elle leur reconnaît un droit d’exister et de s’exprimer dans l’espace public… ce dont elles ne se sont jamais privé.
Comme l’a souligné en son temps l’humaniste indien et philosophe Raimon Panikkar, les Hommes contemporains ne regardent la réalité qu’avec deux yeux, l’oeil de la réalité et celui de l’intelligence. Il existe pourtant un œil qui sait voir ce qui est invisible. Aujourd’hui, cet œil les aurait ouverts tout grand, à la découverte de ces millions de personnes dans le monde qui ont jeûné et prié, avec une certaine discrétion, pour la paix au Moyen-Orient. Depuis, un dialogue, certes fragile, entre les parties qui étaient prêtes à en découdre, s’est renoué. Y a-t-il un certain lien entre ces deux démarches ?
Avec notre ‘troisième œil’, celui du cœur, accueillons ce compte-rendu d’une rencontre en Syrie initiée par le mufti de Syrie et faisons nôtre la démarche des religieux réunis dans la grande mosquée des Omeyyades de Damas.
Des chefs religieux sunnites, shiites, alaouites, ismaélites, druzes ainsi que des représentants d’autres religions, tels que des juifs et des chrétiens, se sont retrouvés pour une célébration de prière et de jeûne pour la paix, en la grande mosquée des Omeyyades de Damas, samedi 7 septembre 2013.
Cette initiative, voulue par le grand mufti de Syrie, Ahmad Badreddin Hassou, responsable spirituel de l’islam sunnite, a eu lieu en réponse à l'appel du pape François de consacrer cette journée au jeûne et à la prière pour la paix en Syrie, au Moyen-Orient et dans le monde
« Nous prierons avec les intentions du Pape François, afin de demander à Dieu qu’Il nous aide à trouver le chemin de la paix. La paix passe par la réconciliation et le pardon réciproque entre les Syriens », avait expliqué Ahmad Badreddin Hassou à l'agence vaticane Fides.
Le mufti a émané un édit proclamant pour le 7 septembre, une journée spéciale de jeûne pour les fidèles musulmans « notamment en solidarité avec les tragiques événements de Maaloula » – le village chrétien sis au nord de Damas attaqué par des islamistes au cours de ces derniers jours –. « Personne d’entre nous ne s’attendait à ce qu’en Syrie, on puisse en arriver à l’extrême de profaner les églises et de frapper les symboles de la Chrétienté. Nous sommes très tristes lorsque l’islam est utilisé comme une idéologie extrémiste qui en arrive à vouloir l’élimination de l’autre. La majeure partie des musulmans syriens a toujours considéré les chrétiens comme des frères. »
Le mufti a affirmé que la Syrie est, comme la Terre Sainte, « berceau du Christianisme » et à ce propos, il rappelle un pèlerinage qu’il a effectué à Bethléem « où j’ai eu l’honneur d’aller. Au Sanctuaire de la grotte, une religieuse âgée me demanda : Qu’est-ce que tu fais ? Je répondis : je prie parce que je suis dans un lieu saint. Et elle se mit à prier à côté de moi. »
« Nous, musulmans Syriens, sommes fiers non seulement de protéger les chrétiens mais d’être le cadre dans lequel la Chrétienté a pu s’exprimer et se répandre dans le monde comme message de paix, en ce que Jésus Christ est le Prince de la Paix », a ajouté le mufti.
« Nous voulons éviter une guerre régionale parce qu’elle porterait en Syrie les pouvoirs obscurs de l’extrémisme, du radicalisme et de la discrimination sous le drapeau de l’islam, ce qui est complètement faux et ces pouvoirs serviraient à défigurer la beauté séculaire de la convivialité », a-t-il conclu.
Dans le Moyen Orient si meurtri, cette initiative ne participe-t-elle pas à un enfantement de la paix dans les douleurs ?
Il ne s’agit ni d’être pessimiste ni d’être optimiste, mais de savoir apprécier l’évolution de notre monde avec nos trois yeux : regarder la réalité telle qu’elle est, la regarder avec intelligence et vérité, mais aussi savoir pressentir ce qui anime profondément les Hommes qui vivent cette réalité - et si nous avons la foi en Dieu, savoir déceler sa présence.
Octobre 2013 Jacques Teissier et Robert Pousseur