Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Gaudi, le mystère de la Sagrada Familia
Réalisateur : Stefan Haupt
Sortie : 14 mai 2014
INTRODUCTION par Jean-Claude d’Acier
Le film Gaudi, le mystère de la Sagrada Familia vient de sortir dans les salles françaises. Ce documentaire, réalisé en 2012 par Stefan Haupt, reprend les thématiques familières de la dizaine de films qu’il a déjà faits : la joie et la liberté de créer, l’importance des êtres considérés comme marginaux et surtout son goût pour les biographies (sur lequel il s’explique lui-même un peu plus loin). Ici, il propose un documentaire passionnant sur cette cathédrale qui élance ses tours et ses grues au cœur de Barcelone. Entre archives et témoignages, il retrace l’histoire de la construction, émaillée de nombreuses péripéties, du 19 mars 1882 à nos jours : les circonstances du choix improbable d’un jeune architecte de 23 ans, les arrêts continuels des travaux par manque de financement, la mort accidentelle de Gaudi en 1926, la destruction de ses plans et maquettes lors de la guerre civile espagnole et la reprise accélérée des travaux depuis la mort de Franco malgré une pétition signée par les plus grands architectes, la consécration de la nef par le Pape benoit XVI...
Les témoins qui sont interrogés posent des questions essentielles : est-ce bien utile de s’acharner à terminer cette œuvre pharaonique ? Ne vaut-il pas mieux transformer le bâtiment existant en musée ? A quoi et à qui va t-il pouvoir servir ? Les trois millions de visiteurs actuels apportent la réponse, comme ceux qui y travaillent et qui expliquent leur attachement à cette église pour laquelle ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le prêtre Lhuis Bionnet conclue en disant : ‘’L’essentiel n’est pas de finir, mais de construire’’
A l’occasion de l’avant-première de la projection du film de Stefan Haupt, le hasard a fait que je me suis retrouvé assis à côté d’une dame charmante qui a entamé avec moi un court échange sur le film et sur cette cathédrale étonnante que nous avions vue l’un et l’autre.
Après le film, un court échangé a eu lieu entre le réalisateur et la salle, qui m’a donné envie de le rencontrer pour en savoir plus sur ce qui avait motivé son film. Puis la directrice du cinéma L’Arlequin qui avait programmé ce film, nous a invités à prolonger l’échange autour d’un verre de champagne. C’est là que nous avons pris rendez-vous par mail pour recueillir leurs appréciations sur ce beau documentaire. Qu’ils en soient remerciés l’un et l’autre.
Présentation du film ‘Gaudi, le mystère de la Sagrada Familia’
par Stefan Haupt, son réalisateur
Les bibliographies, sous quelque forme que ce soit, m'ont toujours intéressé et fasciné. Elles constituent une sorte de confrontation avec l'histoire, avec sa propre histoire. D'où vient quelqu'un, où se trouvait-il à tel moment donné, vers où va-t-il se diriger ? Sa vie aurait-elle pu prendre une autre direction?... Sommes-nous vraiment les acteurs de notre propre existence ou nous mène-t-elle hors de notre contrôle? Oui, les biographies soulèvent toujours de nombreuses questions sur le sens de la vie.
Tout comme les hommes, les bâtiments et les œuvres artistiques ont aussi leur biographie, leur propre histoire et un projet de leur conception. Elles ont une origine, ou pour ainsi dire des “parents“, avec une date de conception, une date de naissance et une vie propre jusqu'à leur achèvement et leur destruction, et une résurrection possible sous une autre forme. Ce genre de biographie me fascine tout autant que celles des humains.
Au cœur de ce projet filmique se trouve la biographie de la Sagrada Família, biographie d'une œuvre religieuse, qui résonne de manière quasi anachronique de nos jours. C’est une biographie en mouvement dont la fin n'est pas encore fixée, bien que son histoire soit déjà si longue et puisse s’écrire en plusieurs volumes.
J'ai voulu raconter cette biographie de manière verticale; mais aussi de l'intérieur, c'est-à-dire en partant de ses origines, de ses racines et en observant d'abord le quotidien de tous ces artisans, ouvriers, sculpteurs, architectes qui y travaillent, pour pouvoir finalement aborder la problématique d'un tel projet aujourd'hui. C'est ainsi que l'histoire extérieure de sa conception pouvait être peu à peu évoquée, depuis les premiers croquis en passant par les différentes étapes de sa construction et l’état actuel des travaux, jusqu'à la vision finale de ce projet démesuré que l'on souhaite tant voir achevé un jour.
Interview deStefan Haupt par J.C. d’Arcier
– Qu’est-ce qui vous attire vers cette cathédrale qu’a conçue Gaudi ? Dans son projet ‘’fou’’ ? Dans les conditions, si difficiles, de sa réalisation ?
- Cela me touche beaucoup qu’une seule personne comme Antoni Gaudi ait pu inspirer un si grand nombre d’artistes pour un projet d’une telle ampleur. Et découvrir ce projet qui est en train de grandir sur une durée si longue, m’a fait beaucoup de bien, parce que ça me relie avec notre passé et notre futur d’une manière très organique, très vivante.
En plus, cela me donne du courage de voir qu’un projet peut se réaliser même s’il rencontre des obstacles aussi difficiles à surmonter.
Et puis, on peut dire qu’il y a quelque chose de mythique et de mystérieux dans cette cathédrale ; quelque chose qui est difficile à décrire exactement, mais qui m’a touché profondément et qui me touche encore.
– Qu’est-ce qui vous a guidé dans la réalisation du film ?
- Je me suis laissé guider par mon intérêt pour cette œuvre, ma curiosité et mon intuition. Par exemple, j’ai préparé assez exactement les interviews des différents personnages mais, pendant l’interview, je me suis laissé guider par l’intuition du moment, par ce que mon partenaire disait, par ce qui me frappait, ce qui me venait dans la tête sur le moment et là où je sentais qu’il y avait quelque chose d’intéressant, de nouveau. Pendant ces moments d’interview, et aussi pendant tout le tournage et le montage, j’essaie de rester ouvert à toutes les idées et les associations qui me viennent en travaillant, tout en gardant en tête, bien sûr en même temps, le projet et le but du film.
– Qu’est-ce que le ‘’projet’’ de cette cathédrale, et celui du film que vous présentez, rejoint, nourrit dans votre quête personnelle, dans votre propre vie intérieure ?
- C’est surtout l’expérience que la somme de nos forces, quand elles sont réunies pour un projet commun, est finalement plus grande et plus forte que l’addition de toutes les forces singulières. Travailler ensemble pour une chose qui dépasse nos propres forces et nos possibilités personnelles est beau. Et en même temps : l’inspiration d’une seule personne peut avoir une force incroyable pour mobiliser d’autres gens.
Donc, c’est important d’être à la fois humble et lucide, conscient des forces très grandes qui sommeillent en nous tous.
Article de Léna Murgu ADAM, journaliste
« Quand j’étais enfant, j’étais croyant. Je croyais que Dieu est au ciel. Que les hommes sont ses créatures. Et des créateurs. Que sa maison était dans une cathédrale »…C’est par ces premiers mots que commence le film documentaire consacré par le cinéaste suisse, Stephan Haupt, à la cathédrale Sagrada Familia » de Barcelone, chef-d’œuvre absolu d’architecture, toujours inachevé. Ces premiers mots du film ont réveillé en moi ce que je pensais lorsque j’étais enfant sans pouvoir l’exprimer.
Elevée dans la religion chrétienne orthodoxe par une vieille paysanne croyante, Baba, que j’adorais - mes parents, photographes, étant occupés du matin au soir dans leur studio - j’allais régulièrement à l’église, à la confession avant Pâques (quel péché pouvais-je avoir commis à 4 ans ?), ceci après une semaine de jeûne (nourriture sans matière animale) pour mieux apprécier ensuite les œufs rouges et la délicieuse brioche aux noix faite maison. Baba m’avait appris deux prières : «Notre père » … et «Ange, mon petit ange ». A ces deux prières s’en est ajoutée une troisième, en français : «Je vous salue Marie… » apprise pendant mes premières classes primaires à l’école religieuse : « Notre Dame de Sion » de Bucarest (elle a été supprimée à l’avènement des communistes en 1948). Ces trois prières, je les récite encore maintenant, chaque nuit avant de m’endormir, en finissant par : « Mon Dieu, aides-moi à faire face ! »
« Faire face à la vie », c’est mon combat depuis toujours, surtout depuis que je suis devenue veuve, il y a une trentaine d’années. Un combat nourri par l’amour de mes parents adorés (restés en Roumanie), l’amour de l’homme qui a retourné le ciel et la terre pour m’emmener à Paris avec ma fille (de 18 ans à l’époque), l’amour pour mes enfants grands et petits, la chance de mon destin, le mouvement – en particulier, la randonnée - ma bonne humeur naturelle, la passion pour ma profession de journaliste radio, la persévérance, le sens profond de l’amitié et la foi dans le Dieu qui est en moi.
Oui, il est en moi Celui dont je croyais, étant enfant, qu’il habitait dans les églises. Devenue adulte et après avoir connu les horreurs du monde, si éloignées de l’amour prêché par Jésus : la barbarie humaine, la haine, les conflits sans fin, la violence cruelle, les dérives des extrémistes religieux, les destructions sauvages des œuvres d’art (voir les excès de la guerre civile d’Espagne même sur la cathédrale Sagrada Familia)… J’ai préféré garder pour moi, mon image de Jésus et entretenir une relation directe avec Lui. Ceci d’autant plus facilement qu’Il veille sur moi depuis l’âge de trois ans à travers une superbe icône russe accrochée au-dessus de mon lit. Nous nous entendons à merveille car j’applique le principe : « Aide-toi et Dieu t’aidera ! »
Toutes ces pensées sont remontées à la surface en voyant ce film documentaire exceptionnel sur le mystère de la cathédrale Sagrada Familia, œuvre unique au monde, due au génie du sculpteur et architecte catalan, hors du commun et aux méthodes de travail si personnelles, Antonio Gaudi. Mort comme un mendiant dans un accident de tramway en 1926, il n’a pas pu voir son œuvre achevée. Loin de là ! Qui la verra finie ? Même pas les ouvriers et les architectes actuels, en plein chantier.
Mais au moins, grâce à ce cinéaste de talent, si sensible à la beauté, nous pouvons admirer jusqu’aux moindres détails cette architecture si audacieuse et singulière, commencée dans le style gothique, continuée dans l’esprit du modernisme catalan, le tout inspirée par la nature, si chère à Gaudi, cette nature sans angles droits. La « forêt » de piliers qui montent vers la future coupole, les merveilleux vitraux de couleurs et de lumière, la nef impressionnante consacrée par le Pape Benoît XVI en 2009, le chantier en cours, la ferveur des ouvriers, artisans et architectes remplis par l’esprit du créateur … ne cessent de nous émouvoir.
Devant tant de splendeurs, on a envie de s’agenouiller. Et d’applaudir l’œuvre du cinéaste, un précieux document historique, architectural, philosophique et artistique. Une consolation pour tous ceux qui, une fois rendus à Barcelone, n’ont pas la possibilité de visiter – comme ce fut mon cas – autrement que de l’extérieur, cette divine cathédrale, la Sagrada Familia.
Réactions d'internautes
De Stefan Haupt, réalisateur du film : Merci beaucoup pour m'envoyer ce bel article et de l'annoncer aussitôt que possible à vos abonnés. Amicalement,
De Lena Adam, journaliste : "Cher Monsieur, quelle merveilleuse surprise votre article complet pour votre Site réalisé - avec quelle promptitude !!! - par JC d'Arcier. Formidable! D'autant plus formidable que le film sur la Sagrada Familia vient justement de sortir sur les écrans! On a bien travaillé! Tout ce moment dédié à au film est très bien mis en page: les introductions complètent parfaitement l'interview du réalisateur suisse ainsi que mon article ( merci pour " une charmante dame") et, par dessus tout, les illustrations: l'image de l'affiche du film avec la cathédrale comme toile de fond, le portrait du cinéaste et " la forêts de piliers qui montent vers la future coupole" ainsi que "les vitraux de couleur et de lumière". Cela donne vraiment envie de courir vers Barcelone et voir cette merveille. Merci beaucoup à vous et à Jean Claude d'Arcier qui n'est pas moins charmant que la dame auprès de laquelle il était assis par hasard pendant la projection."
Nous sommes allés voir la Sagrada familia à Barcelone au printemps et nous avons été éblouis. Nous avons l'intention d'aller voir ce film.
- Je suis heureux que Geneviève Jurgensen ait corrigé la première critique parue dans la Croix. Cela prouve que toutes les idées peuvent s’exprimer, et même se combattre, dans ce bon journal qui reste aussi mon préféré (sachant que je le mesure quotidiennement au Monde et aux Echos).
- J’ai bien aimé la critique sur Gaudi et la Sagrada Famiila : Nous l’avons visité mais cela donne envie de voir le film.