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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

 

Adieu au langage
Réalisateur : Jean-Luc Godard
Sortie : 21 mai 2014


Adieu au langage

   Tout en suivant l’errance d’un chien entre ville et campagne, on assiste à la rencontre d’une femme mariée et d’un homme célibataire. Ils vivent une relation compliquée, entre violence et amour fou, séparations et retrouvailles. Après quelques saisons, le retour du mari va bouleverser leur histoire…

Un nouveau film de JL Godard est toujours un évènement dans le monde du cinéma. Après ‘’3X3D’’, le réalisateur de ‘’A bout de souffle’’ (avec Jean-Paul Belmondo) et du ‘’Mépris’’ (avec Brigitte Bardot), continue à creuser le sillon d’un cinéma expérimental de plus en plus radical. Ce nouveau film mélange une histoire intime avec un conte philosophique, à travers une image 3D et une débauche de technologie fascinante. Sélection officielle du festival de Cannes 2014, ce film vient de recevoir le Prix du Jury.

‘’Adieu au langage’’ est un film difficile et déconcertant au premier abord. C’est une sorte de conte inclassable, en 3D obtenu en filmant avec deux téléphones portables, fragmenté en une succession de petites scènes, saturées de couleurs fluos et de sang, à travers lesquelles le réalisateur franco-suisse veut crier son refus des langages d’aujourd’hui, qui sont dépourvus de sens à ses yeux, en tous cas, bien loin du véritable langage qui dit l’homme et son drame.

Les critiques s’accordent pour dire que cette œuvre très personnelle est l’aboutissement d’une longue carrière pour cet enfant terrible de la Nouvelle Vague, sur laquelle il a surfé, depuis 1956 avec les Cahiers du Cinéma, avec François Truffaut, Éric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol.

Écrit par Godard, qui a fait du langage le cœur de son œuvre, ‘’Adieu au langage’’ se reçoit comme une lettre d’adieu d’un artiste qui a consacré sa vie au cinéma et qui semble nous dire qu’il est arrivé au bout. Alors on ressent une certaine mélancolie devant ce monde qui n’est plus le sien. ‘’Je suis là pour vous dire non, et pour mourir’’, dit une jeune femme, exprimant sans doute la fatigue du cinéaste devant cette société dénaturée par l’ordre policier, ‘’signe que ceux qui ont perdu la guerre par les armes (soit, chez Godard, les nazis) sont les vrais vainqueurs de l’Histoire’’, commente le critique Franck Nouchi. Comment ne pas penser ici au spectacle attristant que donne aujourd’hui le résultat des élections européennes ?

 

Si ce film, apparemment confus et brouillon, nous émeut tant, c’est parce qu’il est aussi généreux. C’est un testament par lequel Godard livre son œuvre et sa vision de l’art : il fait des allusions à certains de ses films et surtout à des chefs d’œuvre de la peinture, en évoquant des coquelicots pour Warhol, un champ de tournesols pour Van Gogh, un sexe de femme pour Courbet. ‘’Ah Dieux, Oh langage’’, peut-on lire sur les intertitres, mais l’art demeure dans ce monde devenu indéchiffrable : ’’ On va bientôt tous avoir besoin d’interprètes, ne serait-ce que pour se comprendre soi-même’’, entend-on en voix off. Plus loin, sous le visage de la jeune femme derrière une grille, on lit : ‘’Je cherche de la pauvreté dans le langage’’, comme pour dire qu’on est saturés de mots, d’images, de commentaires, qu’on étouffe…

Le résultat n’est pas spectaculaire mais, par la 3D que Godard fabrique, par les correspondances d’images et d’idées qu’il associe, il fait preuve d’une grande invention et ses images acquièrent une véritable dimension poétique, qui suscite l’intérêt et la curiosité. Par exemple quand il fait l’éloge de Jacques Ellul (1), sociologue et théologien, ‘’ qui a annoncé et compris dès 1947, avant tout le monde, la portée du nucléaire, les OGM…’’, on a envie d’aller lire ses livres. Pourtant, le film montre surtout la nudité du quotidien, égayé par des animaux, comme Roxy, le chien de Godard qu’il a filmé sous tous les angles. Le film s’achève sur ses aboiements, suivis par des cris de bébé : un autre langage est né qui invite à s’enfoncer dans le mystère de la vie.

Patrick Cohen, journaliste à France Inter, a fait récemment une interview de Jean-Luc Godard, et il en discutait à la radio avec la réalisatrice Agnès Varda. Il citait Godard :‘’ Qu’est-ce que le cinéma sinon l’homme ? Le vrai langage vient du fond de la vie, de plus loin que ce qui se dit. La communication des médias, pour moi, n’a aucun rapport avec le langage’’. Et P. Cohen se demandait : ‘’ ‘Adieu au langage’ est-il un adieu de Godard au cinéma ? On peut le penser quand on l’entend dire qu’il n’aime pas ses propres œuvres, ni ce qu’il est devenu, c'est-à-dire : ‘Celui qui incarne le cinéma et la modernité’. Et Agnès Varda lui répond : ‘’On a le droit de ne pas aimer ses œuvres. Moi, je suis la grand-mère de la Nouvelle Vague, avec ‘La pointe courte’ que je n’aime pas beaucoup. Avec Godard, on aimait le cinéma différemment mais, tous les deux, on n’aime pas le cinéma consensuel. Lui, a fait aimer un cinéma mystique’’. Patrick Cohen demande alors : ‘’Godard dit qu’il fait des films pour payer sa dette. De quelle dette s’agit-il ?’’. Agnès Varda répond : ‘’Il avait un grand-père banquier à Paris-Bas. Il paie sa dette en offrant des titres de film, comme des titres bancaires. Pour lui, ‘Adieu au langage’ est une dette qu’il paie au cinéma. Pour cela, il se met dans un monde parallèle et communique par son cinéma. Même si on ne le comprend pas, il a besoin de spectateurs, d’amis. Par son film, il ne cherche pas à communiquer, mais à communier avec le public par un échange plus profond, qui interroge comme celui qu’on entend dans un dialogue du film : ‘Il n’a pas pu faire de nous des humbles’… ‘Qui ça ?’… ‘Alors il a fait de nous des humiliés’… ‘Qui ça ?’… ‘Dieu’.’’  Voilà de quoi nous faire réfléchir sur l’image de Dieu que présente Jean-Luc Godard, lui qui respecte tant la foi authentique comme il a su le montrer dans son film magnifique ‘’Ave Maria’’.

 

Personnellement, j’ai reçu ce film en pensant à un passage du Livre d’Isaïe (Is 55/10-11) qui parle au nom de Dieu : ‘’De même que la pluie et la neige tombent du ciel et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer pour qu’elle donne la semence au semeur et le pain à celui qui mange, de même la parole qui sort de ma bouche ne revient pas à moi sans effet, sans avoir accompli ma volonté et réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée’’.

Pour le prophète, cette parole de Dieu est agissante et comme douée de personnalité. Cette parole qui vient de Dieu et qui retourne à lui, pleine du mûrissement qu’elle a produit dans le cœur des hommes, pénètrera dans le monde, et ce sera Jésus. L’apôtre Jean le présentera dans le prologue de son Evangile (Jn 1/1-Sq) :‘’Au commencement, la Parole (le Verbe) existait déjà ; celui qui est la Parole était avec Dieu, et il était Dieu… Celui qui est la Parole est devenu un homme et il a vécu parmi nous, plein de grâce et de vérité’’. Jean emploie le mot ‘’Verbe’’ qui dit plus que ‘’parole’’ : c’est à la fois la pensée et la parole qui disent, ensemble, ce qu’on porte en soi. On pourrait traduire ‘’le Verbe’’ par ‘’l’Expression’’ de Dieu. Pour lui, être c’est se communiquer, se donner, se dire soi-même pour que l’autre existe et exprime à son tour la parole qu’il porte en lui.

Jean-Luc Godard souffre d’incommunicabilité. Ca ne passe plus entre lui et ce monde trop bavard et superficiel ; alors il propose ce film-choc pour nous provoquer, et inviter chacun à penser à ce qu’il est en train de faire et à chercher ce qu’il a à dire. Que veux-tu exprimer au fond ? Qu’as-tu envie de faire sortir de toi ? Et moi, comment puis-je le recevoir et y communier ?

Et si nous nous donnions le temps d’y penser ?

Jean-Claude D’Arcier - (Jour de l’Ascension - 29.5.2014)

1- Voir Jacques Ellul, La parole humiliée, Seuil, 1981. Dans son livre, il montre à quel point ‘’voir et entendre’’ sont antinomiques. La vue est liée à l’immédiateté et à une illusion de globalité par le fait que les images empêchent une distance critique et imposent une réalité difficile à contredire. A l’inverse, l’écoute suscitée par la parole encourage une compréhension dialectique et ‘’impose le temps à la vision’’. La parole a besoin d’être déchiffrée, intégrée, interprétée, dans le temps. Son mystère implique une recherche de sens. En ce sens, elle s’oppose à l’évidence de l’image… La société technicienne a aboli la distinction entre réalité et vérité car le diktat des images donne l’illusion qu’il n’y a rien au-delà de ce que l’on peut constater. C’est en cela que la parole est humiliée, de même que la vérité en tant que destination dernière de l’homme en quête du sens de sa vie.

 

 

 

 

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