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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

A girl at my door
Réalisateur : July Jung
Sortie : 5 novembre 2014


A girl at my door

       Une jeune femme commissaire de police quitte Séoul pour des raisons inconnues et se trouve mutée dans une petite veille de province. Elle se retrouve confrontée au monde rural avec ses habitudes, ses préjugés et ses secrets. A son arrivée, Young-nam croise une jeune fille, Dohee dont le comportement singulier et solitaire l’intrigue. En la revoyant, Young-nam découvre qu’elle est maltraitée par ses camarades et par son pére alcoolique. Elle s’attache à cette jeune préadolescente et finit même par l’héberger  quand, un soir, celle-ci vient frapper à sa porte. Sa protégée a un comportement étrange et déroutant : quand Dohee dans seule face aux vagues, elle ressemble à un ange, mais d’autres fois elle ment et joue la comédie avec un talent surprenant. Alors que le passé de Yung-nam refait surface à l’occasion du passage d’une de ses amies, le lien fort qui s’est noué avec Dohee dérange et fait jaser.

       A travers ce singulier et délicat portrait de femme, la réalisatrice July Jung met en évidence les tabous de la société sud-coréenne concernant l’homosexualité, mais aussi la violence des rapports hommes-femmes. Comme le soulignait Antoine Coppola, dans un article pour les fiches artistiques de ‘’Un certain regard’’, les mauvais traitements des enfants et le fort taux de suicide des adolescents sont connus en Corée. La violence entre adolescents, souvent cachée, reflète la situation sociale qui s’est installée avec les dictatures successives. Selon un rapport du Ministère coréen de l’éducation et des technologies, cité par Aujourd’hui le monde, en 2009, 202 élèves et étudiants se sont donné la mort en 2009. Ce chiffre inquiétant représentait une augmentation de 50% par rapport à 2008.

         Si la presse attribue cette explosion des suicides d’adolescents au concours national d’entrée à l’université, elle le dénonce tout en légitimant l’esprit de compétition : il est normal de se suicider si on échoue. Les mangas véhiculent cette idée quotidiennement. Les fleuves, les voies ferrées, les passerelles de métro et les chambres de motels sont les lieux habituels de ces suicides. Dans le film, la fillette Dohee semble au bord de la folie ou du suicide, seuls échappatoires à sa situation d’enfant maltraitée.

        La présence d’ouvriers immigrés sans-papiers témoigne de l’explosion du nombre d’immigrés – 2 millions actuellement sur une population d’environ 50 millions d’habitants – L’immigration illégale pour le compte de compagnies maritimes comme celle du film touche surtout des ouvriers venus des pays pauvres du sud-est asiatique. Souvent maltraités, sous-payés, parqués, sans couverture sociale, ils sont privés de papiers d’identité et endettés à vie. Le fait que l’héroïne soit une policière alcoolique et que ses collègues masculins soient spécialement laxistes avec les pratiques illégales  du parrain local met en cause l’action de l’État dans ce domaine.

        L’homosexualité reste aussi un tabou social. Des films commerciaux sur ce thème ont fait scandale. Celui-ci tente de ne pas dramatiser, donc de banaliser l’homosexualité de l’héroïne, tout en montrant la difficulté de la vivre en plein jour. Il s’en dégage le sentiment d’une communauté de sort entre tous les parias de la société : l’alcoolique, l’immigré et l’adolescente perturbée.

        Les bouteilles vertes que la policière reverse dans des bouteilles d’eau en plastique sont remplies de Soju, alcool à 20° très bon marché. Tout le village semble s’abandonner à l’alcool. Les petites villes déclinent peu à peu, se désertifient ou deviennent des villes-usines. Le choix de Yeosu comme décor de cette histoire permet de donner des causes non seulement à l’alcoolisme, à la violence, à la folie, mais aussi à la misère qui atteint les immigrés autant que les gens du pays.

        A Girl At My Door est l’histoire de la rencontre entre deux femmes qui cachent chacune un secret, une part d’elle-même. Cela contribue à créer le mystère qui englobe l’action du film. D’un côté Young-nam, une femme adulte d’apparence calme et posée, interprétée par Doona Bae, commissaire exilée de force qui cache les raisons de son départ de Séoul et son addiction à l’alcool ; de l’autre Dohee, une jeune fille battue par sa famille et souffre-douleur de ses camarades de classe, interprétée par Kim Sae-ron, un être à l’allure timide, mais qui cache en elle une violence et un penchant pour la manipulation. Dohee se présente comme un personnage instable, insaisissable et fuyant. S’attachant à Young-nam, qui la prend sous son aile, Dohee devient son ombre, puis presque son double. Face à ce duo ambigu, le père adoptif violent et alcoolique de Dohee, interprété par Song Sae-Byeok, incarne la solitude, la détresse et la brutalité.

 

          La réalisatrice July Young a accepté de parler de son premier long-métrage, tourné avec le producteur Lee Changdong, cinéaste connu – Poetry, Secret Sunshine, Oasis- :« Lee Changdong a retenu mon scénario et m’a proposé de travailler ensemble sur son tournage. Je suis consciente que mon film aborde de nombreux sujets qui auraient pu chacun faire l’objet d’un film à part entiére. Mais je ne voulais pas faire un discours sur la société coréenne ; je cherche à faire ressentir la profonde solitude de chacun des personnages en lien avec un contexte social… » Doona Bae a été choisie pour interpréter le personnage de Young-nam. Elle vivait, sur le plan personnel, une période assez solitaire, ce qui lui a permis de comprendre immédiatement les émotions du personnage principal. De son côté, Kim Sae-ron, qui a 14 ans, a commencé par refuser le rôle de Dohee qu’elle trouvait particulièrement difficile à jouer. En parlant des scènes délicates avec elle, elle a fini par s’approprier les enjeux induits par ce personnage ambivalent et à accepté de l’incarner.

- Votre film a été présenté en exclusivité au festival de Cannes, dans la catégorie ‘’Un certain regard’’. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

- ‘’Au départ, j’étais convaincue de n’avoir écrit qu’une petite histoire se déroulant dans un village de Corée du sud. Je n’étais vraiment pas certaine de l’impact que cela aurait auprès des spectateurs. Lorsque j’ai entendu les applaudissements du public, je me suis dis que j’avais réussi à transmettre un message. J’en ai été surprise et surtout très heureuse. Pour moi, c’était un rêve de venir à Cannes et je ne sais pas comment remercier le festival de m’avoir accordé cette chance. Ma meilleure récompense reste la réaction enthousiaste du public. Je sais déjà que je repars comblée.’’

       La réalisatrice July Jung fait partie de la jeune génération, qui n’a pas vécu la contestation qui a renversé la dictature mais qui a étudié aux côtés des vétérans de cette époque. Attachée au réalisme, cheval de bataille de la vérité contre ‘’la société du spectacle’’ organisée par les médias, cette génération n’existe que grâce au soutien des vétérans devenus producteurs. Avec la campagne électorale, le soutien de leurs films avait diminué et il a fallu le naufrage absurde d’un ferry, qui a coûté la vie à plus de 300 lycéens en avril dernier, pour relancer la dynamique contestataire des films de la société civile en Corée du sud.

       Les rares femmes qui sont réalisatrices en Corée du sud, semblent se tourner vers le réalisme, comme July Jung. Peu de recherche d’effets dans son film où le naturel l’emporte comme le jeu des acteurs. Elle apporte un regard sur l’homosexualité, le personnage étrange de la jeune Dohee, la violence familiale et une intrigue qui tient le spectateur en haleine jusqu’à la fin.

 

       Voilà sans doute le polar le plus singulier qu’on puisse voir actuellement, film noir et lumineux à la fois où l’homosexualité féminine, les préjugés de la société sud-coréenne, la solitude de chacun, mais aussi la cruauté des rapports familiaux et l’innocence bafouée sont autant de lignes de force traitées avec une grande délicatesse. On applaudit lorsque le premier film d'une jeune réalisatrice donne vie à d'aussi touchants personnages et aborde avec une telle intelligence des thèmes délicats qui concernent l’identité de son pays qu’elle nous donne à découvrir. A Girl At My Door est un premier long-métrage de grande qualité  et July Jung n’a pas fini de nous étonner.

 

Note complémentaire sur la situation scolaire des adolescents coréens.

Selon un rapport du Ministère coréen de l’éducation et des technologies, cité par Aujourd’hui le monde, en 2009, 202 élèves et étudiants se sont donné la mort en 2009. Ce chiffre inquiétant représentait une augmentation de 50% par rapport à 2008.

L’une des principales explications de cette situation demeure la pression scolaire. Tout part de ‘’l’âge coréen’’. Dans ce pays, l’enfant à la naissance est regardé comme étant âgé d’un an car la période de gestation est considérée comme la première année de l’âge de l’enfant. Si un bébé vient au monde la veille du nouvel an coréen, il a un an. Et le lendemain il a deux ans ! Soit deux ans de décalage scolaire par rapport aux autres enfants occidentaux ou africains. Deux ans de décalage, mais surtout une plus grande précocité à son inscription à l’école. Le système éducatif coréen est réputé être l’un des plus rigoureux au monde : les châtiments corporels sont tolérés et pratiqués dans le cadre d’une politique de tolérance zéro pour un travail non fait, une mauvaise réponse ou une mauvaise note. C’est un véritable cauchemar, comparable à de la torture pour les enfants qui le subissent, qui se traduit par des coups de canne sur les fesses, des gifles et des coups de règles, et autres punitions souvent dénoncées par des internautes, comme ce cas d’enfants en maternelle qui, lorsqu’ils sont punis, doivent tenir sur la tête un gros livre tout en restant à genoux, quelque fois durant des heures.

Et ce n’est pas tout ! La recherche de l’excellence est poussée à son extrême par les parents. En plus des heures de cours que doivent suivre ces enfants et jeunes à l’école, ils sont bien souvent inscrits dans des "Hagwons", des sortes d’académies privées afin d’apprendre, deux à trois fois par semaine, le violon, le piano, l’informatique, l’anglais. Ces cours du soir "parallèles" donnent aussi des devoirs à la maison, qu’il faut faire en plus de ceux qui sont donnés par les enseignants de l’école du matin. Les parents donnent une si grande valeur à ces cours dans les Hagwons que, celui qui n’y inscrit pas ses enfants, est considéré comme indigne.

Pis, lorsque les résultats ne sont pas bons, lorsque l’enfant ou le jeune n’est pas premier, comme le souhaitent les parents qui cherchent à s’en vanter auprès des autres comme un titre de gloire, ceux-ci préfèrent orienter leurs enfants vers des cours parallèles supplémentaires. Finalement, on se retrouve avec des enfants qui grandissent sans toujours avoir l’occasion de jouer ou de s’épanouir suffisamment, qui manquent sérieusement de sommeil et de repos, qui sont en permanence stressés et qui n’ont personne pour les écouter et pour les comprendre. Cette forte pression, tant sociale que familiale, la peur de l’échec, la peur de décevoir la famille ou de devenir l’objet du "déshonneur" familial, ouvrent facilement la voie à la dépression. L’envie de se libérer de toutes ces contraintes est très forte. Et le suicide est malheureusement vu et choisi comme la seule échappatoire par ces enfants et ces jeunes.

Claude D’Arcier - Novembre 2014

 

 


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