Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Ceci est mon corps
Réalisateur : Jérôme Soubeyrand
Sortie : 10 décembre 2014
Alors qu’il est curé au fond de l’Ardèche, Gabin se rend à Paris pour retrouver Marlène, comédienne névrosée dont il est tombé amoureux à la fin d’un stage de thérapie. Outre qu’elle ne se souvient plus de lui, Gabin découvre qu’elle partage son appartement avec Renato, travesti sur scène et comptable de profession, qu’elle vit en couple avec Emily et qu’elle a pour amant un dénommé Christian, marié et incapable de quitter sa femme.
Malgré tout, en se faisant passer pour un travailleur social, Gabin s’incruste en espérant séduire Marlène, sans se rendre compte qu’il plaît surtout à Emily et qu’il ne laisse pas Renato indifférent. Dés lors, de coups de théâtre en confidences et en découvertes sexuelles, Gabin va se réapproprier son corps, ses désirs et sa liberté.
Parallèlement au déroulement de cette comédie légère et libertaire, le réalisateur ajoute des interventions de Michel Onfray sur l’œuvre de St Paul, qui aurait banni le sexe de la religion et sur son rôle prépondérant dans la fondation et l’orientation du christianisme. Le réalisateur ajoute aussi des considérations de Michel Serre sur l’histoire du sexe dans les religions, tandis que le comédien qui interprète Gabin, Jérôme Soubeyrand lui-même, suit une psychanalyse transgénérationnelle avec Bruno Clavier pour comprendre ce que son inconscient a pu hériter de sa grand-mère paternelle, qui était vraiment la fille d’un prêtre.
Ceci est mon corpsse présente donc comme un film drôle et libérateur, à travers les situations incongrues et les dialogues décalés qu’il propose. Il est aussi intéressant par les commentaires des philosophes et du psychanalyste, à propos du corps et de l’esprit. C’est assez brillant : que l’on soit d’accord ou pas, cela donne à réfléchir.
Etant donné que le film est distribué dans peu de salles, ce sont les comédiens eux-mêmes qui en font la promotion. L’humoriste Christophe Alévêque, qui joue le rôle de Renato, a défendu cette comédie catholico-hédoniste, qui tente d’aborder de façon joyeuse et décomplexée la question du célibat des prêtres catholiques, en disant : ‘’Ce n’est pas un film qui s’attaque frontalement à la religion. C’est un film sur le sexe joyeux’’.
Moitié documentaire, moitié fiction, Ceci est mon corps est un film plein d’une bonne humeur païenne sur la situation des prêtres, mais surtout sur la condition humaine. C’est bien la question du corps qui nous ronge tous, celle de l’incarnation, de l’animal que nous sommes aussi, la question d’être vivant. Il ne s’agit pas, pour autant, d’un film antireligieux explique le réalisateur : « Le fait que le film ait eu une très bonne critique dans Témoignage Chrétien confirme que c’est bien un film d’amour sur l’amour …»
Dans la partie fiction toujours, Gabin le curé, qui a une cinquantaine d’années, raconte à son supérieur et à un de ses collègues son embarras coupable d’avoir découvert le sexe récemment. Ses amis se moquent alors de lui et de son respect du vœu d’abstinence. Est-ce documenté ou est-ce de la fiction pure? L’auteur répond : ‘’Sans être à proprement parler documentaire, cette séquence est totalement inspirée des nombreuses rencontres que j’ai eu avec mes amis curés, à l’époque tous plus âgés que moi’’.
Ce film pose la question du célibat des prêtres
Le film se veut résolument optimiste mais Jérôme Soubeyrand conclut à propos des débats houleux que soulève le film: ‘’ On est face à un mouvement profondément réactionnaire depuis quelque temps, mais qui n’est pas représentatif de l’ensemble de la société. Que les valeurs de tolérance et d’amour ne fassent pas s’égosiller les gens dans la rue, ni y faire descendre leurs enfants, cela ne signifie pas qu’elles ne sont plus vivantes et vibrantes…Pour finir, il est grand temps de déculpabiliser nos sexualités pour désentraver nos corps et nos rapports humains des carcans que veulent leur imposer les morales hypocrites’’.
Ce film, qui pose la question du célibat des prêtres aujourd’hui, peut être l’occasion d’y réfléchir et de faire connaître au grand public les raisons pour lesquelles l’Eglise catholique romaine y tient. Voici un extrait de l’article proposé par le site ‘’Croire’’ de Bayard, le 15 décembre 2014 : Pourquoi les prêtres ne sont-ils pas mariés? Tout le monde ne se marie pas. Jésus l'a fait remarquer : "Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre, qu'il comprenne !" (Matthieu 19/10-12). Dans les communautés religieuses, des hommes et des femmes choisissent de vivre la chasteté dans le célibat, la pauvreté et l'obéissance pour consacrer toute leur vie à la prière et au service des autres.
Les prêtres diocésains (non religieux) ne prononcent aucun vœu. Le célibat est pour eux une discipline demandée par l’Eglise ; ils s’y engagent par une "simple" promesse. Il s'agit là d'une disposition de l'Eglise catholique romaine, qui demande à tous les ministres ordonnés (sauf les diacres permanents déjà mariés avant leur ordination) de demeurer célibataires. Cette règle pourrait tout à fait être remise en cause. Outre des raisons d'ordre matériel (héritage, etc...), le célibat ecclésiastique s'explique surtout par des raisons spirituelles.
Saint Paul encourageait le célibat pour réserver du temps à la prière et à l’action pastorale. Après l'époque des martyrs, le mouvement monastique s'est développé dans l’Église comme signe d'absolu et de consécration. Les moines, souvent ermites, étaient de fait... célibataires. Peu à peu, cette pratique s'est imposée. On trouve dans les textes du concile d'Elvire au IVe siècle des mentions demandant le célibat pour les ministres ordonnés. La pratique n'était cependant pas générale. C'est le concile de Latran I au XIIe siècle qui rendit la discipline obligatoire pour toute l'Eglise. Au moment de la Réforme catholique au XVIe siècle, le concile de Trente réaffirma l'obligation de célibat pour les ministres ordonnés.
Certaines Eglises orientales, unies à Rome, ne suivent pas cette exigence. Des hommes mariés sont ainsi ordonnés prêtres dans l'Eglise maronite par exemple. Le Concile Vatican II s’est penché longuement sur le ministère et la vie des prêtres dans le décret ‘’Presbyterorum Ordinis’’ au numéro 16 pour dire :
Mais le célibat a de multiples convenances avec le sacerdoce. La mission du prêtre, est de se consacrer tout entier au service de l’humanité nouvelle que le Christ, vainqueur de la mort, fait naître par son Esprit dans le monde, et qui tire son origine, non pas « du sang, ni d’un pouvoir charnel, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 13). En gardant la virginité ou le célibat pour le Royaume des cieux, les prêtres se consacrent au Christ d’une manière nouvelle et privilégiée, il leur est plus facile de s’attacher à lui sans que leur cœur soit partagé ils sont plus libres pour se consacrer, en lui et par lui, au service de Dieu et des hommes, plus disponibles pour servir son Royaume et l’œuvre de la régénération surnaturelle, plus capables d’accueillir largement la paternité dans le Christ. Ils témoignent ainsi devant les hommes qu’ils veulent se consacrer sans partage à la tâche qui leur est confiée … C’est donc pour des motifs fondés dans le mystère du Christ et sa mission, que le célibat, d’abord recommandé aux prêtres, a été ensuite imposé par une loi dans l’Église latine à tous ceux qui se présentent aux ordres sacrés.
Au lieu de se demander si la loi du célibat sacerdotal est encore justifiée aujourd’hui, le P. Maurice Vidal - -, qui a accompagné la formation de générations de prêtres, propose de poser une question qui lui semble plus pertinente : le célibat des prêtres est-il apostolique - - ?
« …Une loi ne se justifie pas seulement par l’adhésion qu’elle rencontre. Encore faut-il qu’elle soit elle-même juste. La loi du célibat n’est juste que si elle se fonde sur ce que les théologiens appellent la « convenance » entre la vie et le ministère des évêques et des prêtres et le célibat chastement vécu, c’est-à-dire le fait que l’un et l’autre vont bien ensemble, sans qu’ils soient nécessairement liés. Il faut, d’autre part, que le célibat soit humainement possible, car là aussi « la grâce suppose la nature », et donc qu’il puisse être humainement non seulement subi mais librement choisi, pour d’autres motifs que ceux du célibat chrétien… La consécration nouvelle par le sacrement de l’ordre est vue comme la consécration de la mission divine dans le monde à la suite du Christ, l’Apôtre du Père (Jn 10, 36, cf. PO n° 2 et 12), et le ministère sacerdotal est considéré non seulement dans l’action liturgique mais plus largement à la manière de saint Paul, dans « le service sacré de l’Evangile, pour que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée par l’Esprit-Saint » (Rm 15, 16, cf. PO n° 2). Se plaçant dans cette perspective, le concile peut alors, au numéro 16 de PO cité au-dessus, déployer la signification évangélique et apostolique du célibat des prêtres comme des évêques, sans pour cela déprécier la tradition orientale où sont ordonnés prêtres aussi des hommes mariés. Si profondes et convaincantes qu’elles soient, les « multiples convenances » demeurent des convenances. Peut-être la formulation la plus christologique, eschatologique et apostolique est-elle celle-ci : « La mission du prêtre est de se consacrer tout entier au service de l’humanité nouvelle, que le Christ, vainqueur de la mort, fait naître par son Esprit dans le monde… »
Philippe Levillain, qui a dirigé la rédaction du Dictionnaire historique de la papauté – Fayard, 2006 – s’exprimait dans Le Figaro, peu après l’évocation de la question du célibat des prêtres par Mgr Pietro Parolin, secrétaire du Pape François : ‘’Autoriser le mariage des prêtres pourrait créer un appel d’air face à la crise du recrutement sacerdotal en Europe, surtout si cela reste une option et non une coercition. Beaucoup de prêtres vivent le célibat de façon heureuse, même si un certain nombre vivent une grande solitude, voire une vraie misère psychologique et sociale. La ‘’vie de paroisse’’ est difficile …
Claude D’Arcier - Décembre 2014
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