Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
FÉLIX ET MEIRA
Réalisateur : Maxime Giroux
Sortie : 4 février 2015
Jeune épouse obéissante de Shulem, mére aimante de leur petite Elisheva, Meira, jouée par Hadas Yaron, étouffe au sein de leur communauté hassidique de Montréal au Canada. Sa seule folie est de jouer à la morte quand son mari cherche à la culpabiliser lorsqu’elle écoute de la musique ou qu’elle dessine – mais jamais des êtres vivants.
Félix, joué par Martin Dubreuil, est athée et il se rend, pour la première fois depuis 10 ans, au chevet de son pére agonisant et atteint par la maladie d’Alzheimer, avec lequel il n’a jamais pu communiquer. Il confie à sa sœur Caroline, qu’il va dilapider sa part d’héritage car il se sent sans attache. Sauf qu’il rencontre Meira par hasard et tente de l’approcher par leur plaisir partagé pour le dessin. Dés lors, partagés entre attirance irrésistible, évitements et peur de la transgression, ils vont chercher à se revoir, lui pour trouver un sens à sa vie et elle, pour donner une vie à ses sens. Pressentant que son épouse est en train de changer, Shulem l’envoie ‘’se retrouver’’ chez sa sœur. Mais Meira prévient Félix qui l’accompagne en secret…
Pour son troisième long-métrage, qui a obtenu le Prix du meilleur film Canadien au Festival de Toronto et qui poursuit sa moisson de récompenses dans les festivals de Haïfa, Turin, Amiens, Maxime Giroux raconte une histoire d’amour aussi pudique que belle et sensible, opposant à des dialogues secs et ‘’utilitaires’’ des silences pleins et lumineux, dans un décor urbain aussi froid que les cœurs sont brûlants. Il explore avec un grand respect, mais sans en cacher la rigueur, le milieu juif ultra-orthodoxe hassidique, à travers cette communauté, qui est la quatrième la plus nombreuse dans le monde.
Dans la fiche proposée par Urbandistribution, le réalisateur a donné quelques explications de ce qu’il a voulu faire dans ce film : ‘’A Montréal, le Mile End est un quartier multiethnique, qui abrite l’une des plus importantes communautés ultra-orthodoxes du monde après celles de Jérusalem., de New-York et de Londres. Quand j’avais à peine 30 ans, alors que je préparais le tournage de mon premier long-métrage, j’ai emménagé dans ce quartier et j’ai été immédiatement intrigué par ses habitants, en particulier les Hassidiques. J’ai fait des recherches, je les ai observés, et l’intérêt qu’ils suscitaient chez moi est devenue une véritable fascination ; elle m’a conduit à réaliser Félix et Meira… J’ai découvert des gens plus ouverts, avec des personnalités plus exubérantes que je le pensais. Au départ, le scénario était plus comique, mais cette révélation m’a guidé vers une sorte de point de vue moral : il a fallu que je me pose la question de savoir ce que je voulais montrer d’eux, sans aller vers le pittoresque…
Le film, en nous emmenant de Montréal à New-York et Venise, plonge dans l’univers des Hassidiques, dispersés à travers le monde. Il raconte la rencontre inattendue de deux communautés bien distinctes, à la fois ouvertes et enfermées sur elles-mêmes, chacune à leur maniére, et qui se côtoient sans vraiment communiquer. Mais c’est avant tout la rencontre de deux individus marginalisés, deux êtres fragiles, attirés par l’inaccessible et l’interdit. Félix est un enfant dans l’âme qui se refuse à devenir adulte. Il est athée, solitaire, sans attache. Il cherche l’amour pour de mauvaises raisons et comprend trop tard la portée de ses actes. Meira est une juive hassidique et une mére de famille. C’est une jeune femme radieuse qui s’autorise à explorer d’autres lieux et qui prend le risque d’être reniée par sa communauté pour goûter à cette liberté interdite. Elle trouve à travers Félix la légèreté d’une enfance qu’elle n’a jamais eue.
Le film raconte aussi la rencontre entre la société québécoise francophone et la communauté juive hassidique de Montréal. A travers ses nombreux contrastes, il explore cette surprenante cohabitation qui dépasse les frontières. En filmant, j’avais toujours le thème de la vulnérabilité et de la fébrilité en tête et, par-dessus tout, je voulais que la caméra aille chercher l’humanité des personnages’’.
Cette dernière remarque se vérifie particulièrement dans le respect avec lequel le réalisateur traite le personnage de Shulem ; spécialement, la scéne entre Félix et Shulem - il sait que sa femme va rejoindre son rival et il lui dit : ‘’Je vous demande une seule chose, c’est de ne pas lui faire de mal et d’essayer de la rendre heureuse’’ – est d’une grande dignité. Luzer Twersky, qui joue le personnage de Shulem, est un acteur américain qui a lui-même quitté la communauté hassidique. Il a été le conseiller de Maxime Giroux pour cet aspect du film, ainsi que l’interprète du rôle.
Félix et Meira, c’est l’histoire de la folie de Félix rencontrant la poésie de Meira. Deux personnes que tout oppose et qui vont plonger dans la même aventure, au risque de tout perdre. Sous un vernis naturaliste, le film est ancré dans cet archétype cinématographique. Un sens de l’éthique inonde les personnages de Félix et de Meira, mais il ausculte tout autant l’identité québécoise :’’Si c’est une vraie histoire d’amour, c’est aussi un regard sur notre société, qui s’est crue libre en laissant de côté ses valeurs spirituelles et familiales, mais qui s’est en fait perdue. Si Félix et Meira se reconnaissent, c’est parce qu’ils ont en commun cette sensation d’avoir été délaissés. Ils cherchent à retrouver leur chemin et décident de le construire, ensemble’’. Leur tête-à-tête donnent le sourire grâce à des choix musicaux inspirés (Wendy Rene, Leonard Cohen, Jonathan Richman). L’attention ne faiblit pas un instant. Avec la dernière scène du mari délaissé l’émotion s’installe vraiment, soutenue par la musique.
Claude D’Arcier - février 2015
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