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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

LA TERRE éphémère
Réalisateur : George Ovashvili
Sortie : 24 décembre 2014

 

Affiche du film LA TERRE éphémère

Chaque année, après les crues d’hiver, le fleuve Inguri, qui fait une frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, donne naissance à des petites îles éphémères. Fidèle aux traditions ancestrales, un vieux paysan abkhaze vient construire une cabane sur l’un de ces îlots pour semer et récolter du maïs avant qu’il ne disparaisse avec les pluies d’automne. Il est aidé par sa petite fille dont il assure l’éducation depuis la mort de ses parents. Ils vivent en étroite relation avec la nature, à peine dérangés par les rondes des garde-frontières abkhazes, russes et géorgiens. Mais la jeune fille a grandi. Alors qu’elle ressent frémir ses premiers émois de femme devant les militaires en patrouille, son grand-père découvre, au milieu du maïs, un soldat géorgien blessé par balles…

Pour son second long-métrage, après L’autre rive en 2010, George Ovashvili signe une fable magnifique, initiatique et humaniste, dans l’esprit de Dersou Ouzala de Kurosawa en 1975. Sur des images splendides, en utilisant des sons naturels, avec très peu de dialogues, il aborde sur un rythme très lent le grand cycle de la vie, naître, vivre, transmettre et mourir, soumis à l’immuabilité du temps qui passe.

La fiche de présentation, proposée par Arizona-Films, offre un entretien avec le cinéaste, dont voici un extrait :Qu’est-ce qui vous lie à l’Abkhazie ?

« J’ai beaucoup de bons souvenirs d’Abkhazie, région indépendante de la Géorgie depuis 1992. J’ai passé mes étés sur la côte abkhaze de la Mer Noire et j’y ai rencontré ma première petite amie. C’était un pur bonheur ; nous ne savions pas ce qu’était la guerre. Et puis un jour, en Pitsunda, une des plus belles régions d’Abkhazie, un type avec un pistolet à la main nous a dit : ‘’Vous devez quitter notre terre, vous êtes géorgiens. »

C’était en août 1992, la guerre commençait. Mes amis et moi sommes partis. Deux cent cinquante mille Géorgiens ont dû quitter leur terre et leur maison. Beaucoup d’autres y sont restés à jamais, à cause de notre puissant voisin.

L’équipe du film est constituée de treize nationalités différentes. Comment s’est passé le tournage ?

Treize drapeaux flottaient au-dessus du plateau. Treize langues : géorgien, russe, allemand, français, tchèque, coréen, mongol, kazakh, néerlandais, turc, farci, anglais et abkhaze ! C’était une joyeuse tour de Babel, sans malentendus, grâce à de nombreux interprètes. Nous étions tous animés par le même langage : le cinéma. Je pense que la diversité de l’équipe a renforcé le thème universel du film. Bien que l’histoire se situe dans un contexte géopolitique très spécifique, je m’intéresse essentiellement aux conflits qui divisent les hommes entre eux, mais aussi à leur combat contre la nature.

George OvashviliComment avez-vous trouvé cette île qui abrite les protagonistes du film ?

Je ne l’ai pas trouvée ! J’ai sillonné la Géorgie pendant deux ans, visité tous les fleuves et les lacs, mais je n’ai jamais trouvé celle qui convenait. J’ai fini par comprendre que cette île n’existait pas et qu’il nous faudrait la construire. Personne ne croyait que cela pouvait être possible, mais nous avons réussi. Nous avons construit notre Terre éphémère au milieu d’un vaste lac artificiel.

La vie s’écoule inexorablement, la terre sera bientôt engloutie. On est au-delà du cinéma, dans une métaphore de la vie sous la forme d’un poème incantatoire presque sans paroles, mais d’une grande beauté.

Cette fable humaniste emprunte les souvenirs d'enfance d'un cinéaste arraché à sa terre abkhaze par un type qui tenait un pistolet à la main en les menaçant. George Ovashvili ne cède à aucune facilité dans ce long métrage qui interroge le sens même de la vie. Il nous transporte au fil de l'eau dans le lent et laborieux travail de la terre et vous fait vivre auprès de personnages bouleversants (dont cette jeune fille, jouée avec infiniment de grâce par Mariam Buturishvili, déjà femme et encore enfant et le grand-père, joué par Ilyas Salman), le passage des saisons, la guerre au loin qui se rapproche, la force de la nature... Un véritable voyage sur une île immobile. Il a bien mérité de gagner de nombreux prix dans les festivals internationaux.

Ce film est reposant et pacifiant, invitant à méditer sur la responsabilité de cette création confiée aux hommes. Encore faut-il que ceux-ci arrivent à se comprendre et à s’entendre autrement que par le bruit des armes.

 

 

 

Claude D’Arcier - février 2015

 

 


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