Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
MON FILS
Réalisateur : Eran Riklis
Sortie : 11 févrierr 2015
A Sira, près de Ramallah, alors qu’éclate la guerre du Liban en 1982, Iyad, l’un des 20% d’arabes israéliens, découvre avec fierté que son père Salah fut, en son temps, arrêté comme communiste et empêché d’accéder à un avenir prometteur. De même, c’est avec fierté que Salah voit son fils accéder au prestigieux lycée des sciences et des arts de Jérusalem, au moment où les États-Unis envahissent l’Irak.
D’abord moqué pour son accent et pour son nom, Iyad s’intègre peu à peu à l’internat. Tandis que Naomi, une jolie camarade tombe amoureuse de lui mais exige de vivre leur idylle en secret, Iyad est amené à s’occuper bénévolement de Yonatan, un jeune juif de son âge, atteint d’atrophie musculaire. Leur situation de minoritaire les rend bientôt amis. Au point que, insensiblement, Edna, la mère de Yonatan, associe Iyad au quotidien de la famille, alors que celui-ci éprouve de plus en plus de difficultés à maitriser les tensions qui le renvoient à sa différence… Iyad se rapproche de la famille de Yonatan, apportant du courage et de la force à sa mère Edna. Il devient vite le deuxième fils de la famille...
En plaçant son récit entre la guerre du Liban -1982- et celle du Golfe -1991- et en adaptant à l’écran les deux romans de l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, Les arabes dansent aussi, paru en France en 2003 aux Editions Belfond ainsi que La deuxième personne, aux Editions de l’Olivier en 2012, Eran Riklis continue à creuser le même sillon. Après Les citronniers en 2008 et Zaytoun en 2012, il filme avec intelligence et humour la fragilité de l’identité, la force des femmes, la puissance des fantasmes et la souffrance des minorités, prises entre le désir d’aimer malgré les situations de souffrance et la souffrance d’un amour impossible.
Mon fils développe avec finesse l’analyse de l’impossible identité d’un Arabe israélien, en s’appuyant sur l’expérience que Sayed Kashua rapporte dans ses livres, avec une certaine radicalité : ‘’Partout dans le monde, les minorités souffrent de ce qu’on leur demande de s’adapter, de renoncer à leur identité pour ressembler au plus grand nombre, dit Eran Riklis.
Après la sortie du film en Israël, j’ai reçu beaucoup de commentaires d’Arabes israéliens qui me disaient : C’est ca ! C’est ma vie ! ’’
Pour aborder la question de fond du vivre ensemble des Israéliens et Palestiniens et les capacités de ces derniers à trouver une place dans une société déchirée, Eran Riklis met en scène un jeune acteur qui incarne avec beaucoup de finesse et de justesse les étapes complexes d'une transformation profonde : rupture, deuil, abandon, accès à la maturité, reniement, trahison, mensonge mais aussi candeur, tendresse, bienveillance, partage, cheminement personnel, distanciation....La morale de cette histoire est cruelle et apporte tout son poids au film : vivre ensemble, bien sûr, mais à quel prix ? Alors malgré ses lenteurs et ses invraisemblances, il faut voir ce film, surtout en ces temps de communautarismes exacerbés.
Le réalisateur des "Citronniers" aime allier les contraires et il commence son récit comme une comédie nostalgique avant d’opérer un tournant plus tragique où les interdits amoureux, le combat contre la maladie et les conflits familiaux racontent la chronique d’une intégration rendue quasi impossible par les préjugés. Son discours pacifiste défend une idée forte : l’apaisement identitaire passe par la transgression des règles établies et par une nécessaire confrontation avec la morale dominante. De ces cultures qui se heurtent il tire une fable humaniste. Dans "Mon fils", il va à l'extrême, frise l'outrance, pour mieux bouleverser les a priori. C'est déroutant mais éclairant.
Sans forcer le trait, Eran Riklis montre les discriminations que subissent les Arabes, israéliens ou non. La dernière partie du film est plus grave, plus sombre et se concentre sur la relation entre Iyad et Yonatan. C’est un sujet lourd, abordé avec simplicité, par des acteurs talentueux, et un réalisateur qui amène son public à réfléchir, sans jamais rien lui imposer. Ce film témoigne avec tact, entre humour et tragédie, des contradictions de l’Israël d’aujourd’hui.
Claude D’Arcier - mars 2015
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