Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Le convoi sauvage
Réalisateur : Richard C. Sarafian
Sortie : 1971
Membre d’une expédition de trappeurs qui font passer leur bateau par-dessus les montagnes dans le Nord-Ouest américain des années 1820, un chasseur est un jour attaqué par un ours. Grièvement blessé, il est abandonné sur place par l’expédition qui ne veut pas ralentir sa marche. Mais, progressivement, il retrouve des forces pour se rétablir et reprendre la route. Un récit brillant, inspiré d’une histoire vraie, reprise par Alejandro Gonzales Inarritu dans son dernier film The Revenant(2016).
Outre sa réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature, Le convoi sauvage se distingue aussi par une vision critique des pionniers blancs vis-à-vis des Indiens. Il s’inscrit dans la tendance des années 70 qui remettaient en question le western traditionnel et les rapports avec les Indiens. Un film à redécouvrir absolument avant d’aller voir The Revenant.
Comme le décrivent les quelques informations qui ouvrent le film, Le Convoi sauvage s’inspire de faits historiques, et notamment des expéditions menées dans les années 1820 par le Major Andrew Henry, fondateur de la Rocky Mountain Fur Company, à travers le Nord-Ouest des États-Unis. Lors de l’une de ces expéditions, en août 1823, du côté de Thunder Butte (actuel Nord Dakota), un trappeur nommé Hugh Glass, ancien marin, fut attaqué par un ours et laissé pour mort par ses compagnons. Déchiqueté de la tête aux pieds, Glass trouva la force de survivre, de ramper jusqu’à la rivière voisine, puis de marcher à quatre pattes, et enfin de se redresser pour parcourir, seul et six semaines durant, les quelques 300 kilomètres le séparant de Fort Kiowa, à la confluence de la rivière White et du Missouri. Retrouvant ceux qui l’avaient abandonné, il renonça à la vengeance et reprit son activité de trappeur. Un célèbre roman de Frederick Manfred, Lord Grizzly, rédigé en 1954, racontait déjà son itinéraire. Contrairement à ce que laisse entendre le titre français, mais plus conforme au titre original, qui suggère l’homme plongé dans l’état sauvage de la nature, Le Convoi sauvage ne raconte pas l’histoire, vite délaissée, d’une expédition spectaculaire (celle d’une trentaine de mules tirant un bateau au milieu d’un décor montagneux a quelque chose de splendidement absurde, qui fait penser au bateau de Fitzcarraldoescaladant une montagne) mais plutôt celle d’un homme seul et divisé par son passé, l’histoire d’une rédemption par l’expérience extrême de la solitude. Au début du film, Zachary Bass est un homme violent, rongé par la colère et la douleur mais qui va, au contact de la vie sauvage et à l’approche imminente de la mort, trouver un apaisement intérieur.
Comme le fait remarquer justement le critique Antoine Royer : ’’Ce parcours intime tient parfois du manuel de survie en milieu hostile et, comme d’autres films plus contemporains rappelant l’homme à l’état primitif de la nature (on pense en particulier à Jeremiah Johnson, film de Sydney Pollack), Le Convoi sauvage en décrit certains gestes élémentaires de la survie du héros (se nourrir, se vêtir, allumer un feu…). D’où le rythme assez lent de ce film qui, à deux notables exceptions près, refuse l’action et privilégie une approche plus spirituelle et plus symbolique ; le parcours de Zach Brass est ainsi ponctué de flash-back à usage double, qui peuvent d’une part servir d’ellipses à l’intérieur de récit, en permettant de montrer les progrès continus du convalescent, et qui viennent d’autre part révéler les fantômes et les déchirures qui hantent son passé (que l’on se gardera bien de trop révéler ici)’’.
Animé par le désir de vengeance, Bass survit et traque ses anciens compagnons ainsi que le capitaine Henry (John Huston), celui qui a toujours vu en lui un fils. Avec peu de dialogues mais une mise en scène impeccable et des paysages grandioses, Sarafian nous montre comment Bass survit et comment, à travers de brefs flash-back, il a mené sa vie antérieure. La morale du film n'est pas à chercher dans la vengeance, mais dans le cheminement de Zach Bass qui apprend à réévaluer la vie et sa signification à travers son calvaire. En particulier à travers une scène émouvante, où il assiste à l'accouchement d'une femme indienne en pleine nature alors qu'il n'a pas pu voir naître son propre fils.
Pas toujours subtil dans son message, Le Convoi sauvage n'en reste pas moins une œuvre superbe et complexe, hantée par des images incroyables, comme celles du capitaine Henry, perché sur le pont d’un bateau fantomatique, en pleine nuit au beau milieu de la forêt. Si nous sommes bien dans un western avec cette chevauchée sans pareille de chasseurs en manteaux à franges, confrontés à une Amérique du nord montagneuse, enneigée et hostile, peuplée de bêtes sauvages et d'indiens, c'est à un western bien particulier et complètement hybride que nous avons affaire. Le film s'ouvre en indiquant qu'il se base sur des faits réels mais prend immédiatement l'aspect d'un conte sidérant. Les premiers plans, où le convoi tumultueux et le bateau roulant qu'il charrie à grand bruit, sur une musique géniale de Johnny Harris, se distinguent lentement derrière les arbres d’un paysage séculaire, donnent le ton en nous plaçant immédiatement devant une sorte de chimère mécanique, une pure apparition jaillie de nulle part dans un no man's land qui permet l’irruption du fabuleux. Le Convoi sauvage prend très vite l'aspect d'une légende, avec l'ancrage dans un fond de vérité historique et l'extrapolation mythologique que le cinéaste en fait. Cette dualité est à l’œuvre durant tout le film, au point que l'histoire se scinde en deux. D'un côté le film prend la forme d'un survival, où Zach Bass se reconstruit petit à petit pour rattraper ses anciens camarades et se venger, et de l'autre celle d'une épopée homérique.
Si rédemption il y a, il n’est pas à chercher, pour le réalisateur, dans l’acte salvateur du Dieu chrétien, mais plutôt dans une sorte de mystique panthéiste. Il y a longtemps, dès son plus jeune âge, que Zachary Bass a tourné le dos à Dieu à cause des tragédies de son parcours personnel (‘’ I never much agreed with God’s will’’. C'est-à-dire : ‘’Je n’ai jamais été très d’accord avec la volonté de Dieu’ , confesse-t-il à sa belle-mère lors d'un important flash-back). Un dialogue du scénario original, qui ne figure pas dans le montage définitif, traduisait sa conception profonde, quasiment nietzschéenne : « Je L’ai cherché sur les mers, et tout ce que j’ai trouvé, c’est le sang des baleines massacrées. Je L’ai cherché dans la nature, mais Il n’existe nulle part. Non, Helen, Dieu n’existe pas. » Et lors de la rencontre finale entre Henry et Zacharie, une version du scénario proposait cette phrase « Tu t’arrangeras avec ton Dieu, moi j’ai trouvé le mien ». Cette phrase a été finalement délaissée pour limiter au maximum le dialogue lors de cette ultime séquence. Mais elle traduisait autant le cheminement spirituel du personnage de Zachary Bass que l’importance de la filiation dans cette histoire : c’est parce qu’il s’affranchit de ce père de substitution que Bass peut à son tour devenir le père qu’il n’avait pas été jusque-là. C’est donc d’une re-naissance, en tout cas de la naissance à une autre vie, dont il s’agit ici, idée véhiculée notamment par l’incroyable séquence de l’accouchement de la femme indienne, observé par Bass depuis les fourrés où il est caché : c'est parce qu’il se fond totalement dans son décor naturel, qu’il fusionne en quelque sorte avec celui-ci, que Bass peut assister à cet acte fondateur. Le comité de censure américain avait souhaité classer le film X à cause de cette séquence, qui apparaît pourtant à l’écran d’une grande beauté, peut-être la première qui traduit la sérénité renaissante du personnage.
* Pour des soucis budgétaires, le film a été tourné en Espagne (en Andalousie et dans les Pyrénées espagnoles) et avec des Gitans locaux incarnant les Indiens !
* Survival : L’engouement pour l’expérience de la survie dans la nature a donné naissance au ‘’Survivalisme’’. Ce terme désigne les activités ou le mode de vie de certains groupes ou individus qui veulent se préparer à une hypothétique catastrophe locale ou plus globale dans le futur, une interruption de la continuité sociétale ou civilisationnelle au niveau local, régional, national ou mondial, voire plus simplement à survivre face aux dangers de la nature. Les survivalistes se préparent en apprenant des techniques de survie et des rudiments de notions médicales, en stockant de la nourriture et des armes, en construisant des abris, ou en apprenant à se nourrir en milieu sauvage. Le survivalisme est devenu une sous-culture présente dans le cinéma, la littérature ou la bande-dessinée.
Claude D’Arcier - Avril 2016
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