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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

Les Habitants
Réalisateur : Raymond Depardon
Sortie : 27 avril 2016

 

 

Affiche du film : Les Habitants

       Après les attaques de Charlie Hebdo en janvier 2015, Raymond Depardon a décidé de donner la parole aux Français. Pendant trois mois, il est reparti sur les routes de France. Cette fois avec une caravane transformée en "studio ambulant" dans laquelle il a invité des gens, croisés dans la rue, à venir poursuivre leur conversation. Il a ainsi filmé 90 "couples", dans une quinzaine de régions. Résultat : un film qui envoie au spectateur une photographie saisissante des invisibles de France.

Les documentaires de Raymond Depardon ont beau se dérouler dans des contextes très différents, ils sont reliés par un seul et même désir : le goût pour le naturel. C’est lui qui procure, à ses films comme à ses photos, cette capacité à saisir l’instantané, celle de pouvoir faire en image la chronique précise d’un moment dont il devient témoin. Les habitants, c’est pourtant un projet à part : Depardon se débarrasse des contraintes thématiques ; jusque là, elles délimitaient son terrain d’exploration, qu’il s’agisse, entre autre, de la presse (Numéro zéro, 1977 ; Reporters, 1981), ou d’une campagne électorale (Une partie de campagne, 1974), ou de l’institution judiciaire (Faits divers, 1983 ; 10e chambre, instants d’audience, 2003), ou encore du milieu rural (Profils paysans, trilogie des années 2000), pour laisser libre court aux échanges spontanées des Français qu’il filme, au bonheur et à la surprise des rencontres.

Une trentaine de personnes ont accepté de s’asseoir quelques minutes dans la caravane de Depardon pour poursuivre leur conversation devant la caméra statique : les gens sont filmés attablés, uniquement de profil et parlent de ce qu’ils veulent. Pas d’intrusion ni de question, juste leur parole et leur présence si forte. Les mots prennent possession de l’espace pour raconter, au plus près, ce qu’est la société française aujourd’hui. On ne saura rien de plus de ces hommes et de ces femmes, attrapés en plein vol par leurs paroles et leurs gestes, qui deviennent vite des indices de qui ils sont, de ce qu’ils font. Une pointe d’accent, des intonations décrivent leurs racines et leurs liens. Des couples, des parents, des amis, des jeunes, des séniors défilent dans cette place publique miniature, esquissant progressivement une sociologie du pays. Devant l’objectif, défilent ces Français aux préoccupations aussi ordinaires que navrantes : des amies pansent les blessures de leurs relations sentimentales ; des copains immatures évoquent leurs conquêtes avec vulgarité ; des mères pressent leurs enfants de leur donner une descendance ; des retraités se réjouissent de leurs privilèges tout en médisant sur les jeunes d’aujourd’hui. Comme à son habitude, ce réalisateur humaniste n’est jamais méprisant ; au contraire, il est attentif à respecter  la parole  de chacun.  Les habitants de  la France qu’il donne à voir ont tous des doutes et des peurs, mais ils ne cessent de se poser des questions, ce qui est plutôt rassurant.

Au-delà des considérations qui s’échangent dans ces discussions, certaines banales, d’autres plus révélatrices, Les habitants composent un étonnant et authentique portrait de la diversité française. Ces échanges sont à peine troublés par des éléments comme les effets de montage, ou la musique d’Alexandre Desplat, qui nous rappellent que nous sommes bien dans un film, alors que la sensation d’être des voisins de table, surprenant les conversations d’autrui, est si forte. Par ce sentiment de proximité, le documentaire confirme son désir de respecter l’authenticité d’un regard qui manque tant à la téléréalité. Le film Les habitants prouvent qu’on peut tenter de restituer la vérité du monde.

Dans un entretien pour le journal L’Humanité, R. Depardon répondait à la question : qu’est-ce qui vous surprend  dans ces réponses des gens ? ‘’L’importance des relations familiales, affectives, humaines, de l’amitié, de la solitude, aussi ; la façon dont des générations d’immigrés prennent racine et deviennent de vrais Français à Fréjus, comme à Saint-Étienne ; l’ampleur du phénomène des familles recomposées, je m’aperçois que je me trompe en pensant que c’est un luxe réservé à la bourgeoisie rive gauche ; enfin, la prise de parole des femmes. Elles se portent volontaires. On leur dit : « Allez-y, le micro est ouvert ! » Et, victimes de la double peine, elles en profitent. Ce qui fait dire à une amie que je réalisais là mon premier film féministe.

Les gens ne parlent pas de politique, ni de chômage ? Non…En 2004, alors qu’en apparence du moins, tout allait bien, je suis rentré catastrophé par la déprime que j’ai constatée. Quand il y a un salaire, c’est gagné, on arrive à se débrouiller, même si l’autre revenu est tout petit ou inexistant. Mais, très vite, la situation s’est détériorée gravement. Pourtant, je n’éprouve pas cette fois ce sentiment de déprime. J’ai l’impression que les gens souffrent, certes, mais qu’ils développent une énergie qui force le respect, que sachant ne plus pouvoir compter sur les grandes décisions prises à Paris, ils retroussent leurs manches et y vont. La prise de conscience a changé…’’

Ce film est un ovni. Des façons de parler, des accents, la musique d’Alexandre Desplat s’entremêlent. 26 duos ont accepté de laisser Depardon filmer, en 35 mm, leurs confidences du moment, dans le huis clos d’une modeste caravane. C’est fort, juste, féministe, insoutenable et rigolo. Ça crie fort ou doux. C’est la galère des invisibles. Et si ces confessions intimes étaient plus politiques qu’il n’y paraît ?

 

 

 

Claude D’Arcier - Juin 2016

 

 


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