Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Médecin de campagne
Réalisateur : Thomas Lilti
Sortie : 23 mars 2016
Jean-Pierre Werner (François Cluzet) est un médecin dévoué qui sillonne depuis des années les routes de sa campagne pour soigner ses patients. Sa vie bascule quand on lui détecte un cancer du cerveau. Un confrère et ami lui conseille de se faire remplacer. Il lui recommande Nathalie Delezia (Marianne Denicourt), qui a longtemps été infirmière avant de reprendre ses études de médecine. Jean-Pierre est peu disposé à lâcher du lest et traite mal la jeune femme. Mais Nathalie a du caractère et parvient peu à peu à s’imposer. Alors que Jean-Pierre commence à s’habituer à sa présence, il entre dans une grande colère quand il apprend qu’elle a fait hospitaliser un vieillard à qui il avait promis de poursuivre les soins à domicile…
Avant d’être réalisateur, Thomas Lilti a été médecin et a été amené à faire des remplacements à la campagne. C’est donc tout naturellement qu’il a décidé de faire un film puisant dans son expérience personnelle. Contrairement à Hyppocrate (2014), son premier film qui explorait déjà le milieu médical, Médecin de campagne ne relate pas le parcours d’une initiation mais cherche à raconter l’exercice de la médecine. Thomas Lilti a également voulu intégrer un aspect politique au film en montrant le problème des déserts médicaux en France.
Voici une histoire parfaitement écrite et jouée, imprégnée de vérité, qui est renforcée par la participation de la population locale. Le scénario ne connaît aucune baisse de tension et sait arrondir les angles avec humour. Quant à François Cluzet, il semble avoir été toubib toute sa vie. Pour ce film, nous n'aurons qu'un seul mot : courez-y vite ! Ici, on est dans le terrien, le concret de la vie de province. Une observation brute et lucide de la médecine rurale qui n’oublie pas pour autant les sentiments et qui laisse surtout une belle place à l’homme. Tous les habitants, dans ce coin de campagne, peuvent compter sur Jean-Pierre, le médecin qui les ausculte, les soigne et les rassure jour et nuit, 7 jours sur 7. Malade à son tour, Jean-Pierre voit débarquer Nathalie, médecin depuis peu, venue de l’hôpital pour le seconder. Mais parviendra-t-elle à s’adapter à cette nouvelle vie et à remplacer celui qui se croyait.....irremplaçable ?
Ancien médecin, Thomas Lilti prend un vrai plaisir à nous emmener à la découverte des petits secrets et des grandes histoires de la médecine. Après le très réussi Hippocrate qui nous contait les coulisses des hôpitaux, nous voici au grand air. Dans un coin de Normandie, le Docteur Werner ne cesse de parcourir les routes pour s’arrêter, sans compter son temps, dans les fermes au milieu des poules, des vaches et des oies qui veulent vous mordre les mollets. C’est un altruiste, passionné par son métier. Il est à la fois le soignant, confident, le conseiller, la notabilité du coin, au même titre que le maire avec qui il doit composer. C’est pourquoi quand lui-même tombe malade, il n’envisage pas de se faire remplacer. A voir l’attitude de certains patients qui refusent d’être examinés par quelqu’un d’autre que lui, on comprend quelle place il occupe dans ces campagnes perdues. Pour Nathalie, la nouvelle arrivée, le combat sera rude.
Entre humour et romantisme, le couple Cluzet/Dénicourt nous ravit par ses échanges et ses réparties qui font mouche à tous les coups. Si, au début, le Docteur Werner n’hésite pas à afficher une pointe de mépris pour cette jeune femme issue du milieu hospitalier qu’il juge froid et déshumanisé, à l’inverse de cette médecine de proximité qu’il aime par-dessus tout, on prend plaisir à voir évoluer leur relation jusqu’à ce qu’il lui accorde la reconnaissance le jour où, face à un patient accidenté, elle sait pratiquer le geste qui sauve et que lui ne maîtrise pas. C’est une victoire que nous partageons avec eux sans prétention, juste pour le plaisir du travail bien fait qui, de plus, nous permet de savourer le talent éclatant et la complicité parfaite des deux principaux acteurs
Dans notre époque menacée, le cinéma de Thomas Lilti ressemble à un protocole compassionnel. Ses histoires à hauteur d’homme prodiguent à nos souffrances et à nos inquiétudes la thérapie nécessaire d’un dialogue en profonde empathie. Comme s’il en renouvelait les principes actifs, le réalisateur médecin d’Hippocrate filme les gens avec un sens aigu de la bienveillance, de la bonté et de l’oubli de soi. Dans Médecin de campagne, avec François Cluzet et Marianne Denicourt dans les figures du dévouement et de la philanthropie, il nous livre une leçon de vie toute simple, celle de gens admirables dont on pourrait dire qu’ils sont les héros du quotidien. Ce long-métrage met en scène, sur un scénario soigné, précis, exact, la réalité dure et complexe de l’exercice de la médecine de campagne : Lilti poursuit l’exploration d’un métier, après la vision hospitalière d’Hippocrate autour de l’apprentissage et l’initiation d’un étudiant en médecine, en ville. Sa fiction s’arme de vérité documentaire pour décrire le quotidien d’un praticien en zone rurale et pose sur cette réalité un regard juste et sans pathos. Médecin de campagne fait du bien, même s’il ne nous guérit pas de tout.
Claude D’Arcier - Juin 2016
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