L’inculturation, aventure humaine
Lutter ensemble pour que chacun vive dans la dignité
Rien ne résiste à Romica. Récit de Valérie Rodrigue
Quand on commence la lecture de Rien ne résiste à Romica, l’histoire d’un Rom écrite par une française, on ne sait pas par quelle magie, on se retrouve dans la peau de Romica. L’auteure de ce récit était sous-chef dans un magazine-catalogue de produits et de cadeaux. Aucun article de cette revue ne provoque à la réflexion. Licenciée, rangeant des affaires achetées grâce aux indemnités de licenciement, elle regarde par la fenêtre donnant sur la poste du quartier. Elle remarque Romica, une Rom ‘déplacée, repoussée, rejetée, ce qui ne veut pas dire qu’elle a goût pour l’itinérance.’ Assise sur un carton, elle fait la manche. Valérie Rodrigue apprit plus tard que Romica était là tous les matins depuis quatre ans. Quatre ans que l’auteure passe devant elle sans la remarquer alors que Thérèse, personne âgée, était présente à Romica tous les jours durant quatre ans. Thérése faisait la charité, ce qui était déjà important pour Romica mais elle ne l’avait jamais aidé à faire valoir les quelques droits auxquels elle pouvait prétendre.
Valérie Rodrigue s’est assise sur ses talons et découvre la rue avec les yeux de Romica. Il y a une autre raison qui a l’a provoquée à passer de l’aveuglement et l’indifférence à l’empathie et à la volonté que Romica marche debout elle-même, en toute dignité et liberté. L’auteure s’en explique à la page 30 : « Je me revois au même âge, porteuse d’une autre histoire, celle des Sépharades débarqués en France en 62 après l’indépendance de l’Algérie, histoire qu’il fallait fourrer sous le tapis… Nous, juifs d’Algérie, étions français depuis 1870. Et il nous fallait nous ‘intégrer’ ?... Née ici, je me suis désintégrée… Je me suis débrouillée avec la solitude, la solitude c’est mieux que la honte mais ça finit par aller ensemble. » (p 50)
Valérie va regarder le monde avec les yeux de Romica et va apprendre son langage pour mettre des mots sur ce que vit Romica. Les médias parlent de CDI, de CDD ou de chômage. Romica en parle autrement du chômage : Sur le fumier du chômage s’était développé un racisme anti-Roms très résistant. Aussi, Romica décrit autrement le monde du travail : « Le boulot, en France, c’est la manche. » Romica vit sa religion d’une autre façon que les admirateurs (trices) de la Vierge Marie à Lourdes : « J’ai jamais raconté à ma mère, pour la manche. Elle m’avait dit : ‘La misère, si on ne fait pas attention, elle ne vient pas sur nous.’ Alors, je mens… je parle de travail saisonnier. Et quand j’en ai marre, je pense à la Marie vierge : elle a tout perdu et n’avait même pas de mère à qui mentir. » (p 20)
Il faut aussi lire les pages (p. 169 et suivantes) qui racontent les démarches de Romica dans les administrations pour régulariser sa situation : « Encore aujourd’hui, l’accueil est différent si Romica se présente seule dans une institution ou accompagnée d’une amie française. » Grâce à son entourage et malgré les nombreux obstacles, rien n’arrête Romica sur le chemin de son indépendance grâce à une embauche, la vie de famille avec ses filles et des amis…
Le dernier chapitre raconte la représentation d’une pièce de théâtre ‘Chômage Académie’ écrite par une vingtaine de jeunes qui décrivent toutes les situations de galère qu’ont vécu ces jeunes. Romica était une des comédiennes de ce spectacle. Cette pièce de théâtre illustre qu’il faut trouver un langage nouveau pour partager son expérience.
Personnellement, j’ai vécu cette expérience avec des filles émigrées qui ne savaient pas comment dire à leurs parents, leurs frères et leur entourage qu’elles ne voulaient pas vivre comme leur mère, esclave de leur mari et de leurs enfants mâles. Nous avons écrit ensemble une pièce de théâtre qui abordait cette souffrance et exprimait une espérance de vie plus digne pour des femmes enfermées par des traditions protégées par les hommes. Cette pièce de théâtre qui ne visait aucune famille de particulier a été l’occasion de dialogues difficiles mais riches et féconds en famille.
Il faut se laisser interroger par le livre de Valérie Rodrigue qui remet en cause une générosité qui n’est pas animée par la justice.
Mai 2016 Robert Pousseur
Les textes de références
- Morale et religion (catholique)
- « Je répands mon Esprit sur toute créature. »
- A la suite de Jésus, les apôtres sont appelés à moissonner…
- …et de parler le langage des peuples
- Guetter et se laisser surprendre par l'Esprit
- Inculturer l’évangile dans la vie ordinaire
- Renouveler l’évangélisation
- L’inculturation, une aventure exigeante
- Les visions de l’Apocalypse éclaire le présent
- Lettres de l’Esprit de Dieu aux Églises
Morale et religion (catholique)
|
Toutes les grandes religions, tous les grands courants spirituels de l’humanité, ont un certain rapport à la morale, à l’éthique, c’est-à-dire au comportement humain. D’une façon générale, religions et courants spirituels prônent le respect, la fraternité et la paix entre les Hommes : c’est ce qui me paraît pouvoir et devoir fonder leur bonne entente et leur coopération au service de la paix dans le monde… même si ce n’est pas évident pour tous les religieux ! L’articulation entre morale et religion, quant à elle, me paraît propre à chacun. Voici donc comment je vois l’articulation entre morale et religion dans le christianisme en général, et le catholicisme en particulier.
Fondamentalement, l’Évangile – je veux dire le message de Jésus-Christ - est un dépassement de la morale. Non pas sa négation, mais son dépassement. Je m’en explique. Dans les évangiles, Jésus apparaît comme assez proche du mouvement pharisien, très apprécié du peuple. Ce mouvement prône, certes, une observance rigoureuse, et même pointilleuse, de la Loi de Moïse, mais par esprit de piété et non par simple formalisme : une religion du cœur, pas seulement une religion du faire ou du rite. C’est pourtant avec ces pharisiens que Jésus entrera dans le conflit le plus radical, alors qu’il s’entendra plutôt bien avec ceux dont la vie n’est pas un exemple de vertu morale. Étonnant paradoxe ! L’évangile selon saint Luc résume ainsi la situation : « Les collecteurs d'impôts [pour le compte des Romains, honnis] et les pécheurs [publics] s'approchaient tous de lui pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes [les scribes, ou docteurs de la Loi, étaient pour la plupart de tendance pharisienne] murmuraient ; ils disaient : "Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !" » (Luc 15,1-2). C’est ainsi que Jésus scandalise à Jéricho en allant loger, sans nécessité, chez un collecteur d’impôts, ce voleur de Zachée (Luc 19,1-10), ou qu’il ne condamne pas une femme pourtant surprise en flagrant délit d’adultère (Jean 8,1-11).
D’où vient ce paradoxe ? Luc le fait percevoir avec beaucoup de finesse en rapportant la parabole du pharisien et du publicain (= collecteur d’impôts) : « Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L'un était pharisien, et l'autre, publicain. Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : "Mon Dieu, je te rends grâce de n’être pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne." Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : "Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !" Quand ce dernier rentra chez lui, c'est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l'autre. » (Luc 18,9-14). Avoir une conduite irréprochable, c’est très bien. Évidemment. Jésus ne vient pas ouvrir la porte à l’immoralité, il ne vient pas autoriser à faire n’importe quoi de sa vie. Mais il perçoit, chez celui qui s’attache à être le plus parfait possible, tant religieusement que moralement, un mal secret qui lui ronge le cœur et le déshumanise, un mal caché bien pire, à ses yeux, que le fait d’être « voleur, injuste ou adultère » : un type bien a toujours une certaine tendance à juger les autres du haut de sa perfection…
Pourquoi donc juger ainsi les autres est-il pire que tout, aux yeux de Jésus ? Jésus se perçoit comme l’envoyé de Dieu, venu manifester que ce Dieu très saint offre, une fois encore, sa miséricorde à tout Homme, si tordue que puisse être sa vie. Pour Jésus, Dieu tient à chaque Homme, et à tous les Hommes sans exception, d’une manière inouïe. À tel point qu’on ne peut se prétendre proche de Dieu, même par la perfection morale, si, en même temps, on regarde les autres de haut : ces autres que Dieu, lui, ne cesse d’aimer et d’inviter à venir à lui.
C’est saint Paul qui, le premier et avec le plus de force, percevra la révolution spirituelle que représente cette originalité de Jésus. Paul avait reçu une formation religieuse de qualité supérieure auprès du célèbre pharisien Gamaliel (Actes des apôtres 22,3), qui interprétait la Loi juive de manière ouverte. Il y adhérait pleinement, et il pensait exprimer sa foi en poursuivant les premiers chrétiens en tant Juifs déviants. Or voici qu’en se rendant à Damas avec des lettres d’accréditation pour emprisonner les chrétiens, il vit un événement spirituel imprévisible qui le bouleverse jusqu’au fond de l’être. L’évangéliste Luc le raconte ainsi dans les Actes des apôtres : « Soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté. Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?" _ "Qui es-tu, Seigneur ?" demanda-t-il. _ "Je suis Jésus que tu persécutes." » (cf. Actes des apôtres 9,1-19 ; //22,4-21 et 26,9-18). Et Paul, militant de sa foi juive, réalise que, malgré toute sa vie rigoureuse, toute sa bonne volonté, toute sa générosité active au service de Dieu, il était en train de passer à côté de l’aujourd’hui de Dieu, manifesté en Jésus…
Cette révolution spirituelle lui a fait découvrir que sa mise en pratique militante des valeurs, tant humaines (= la morale, l’éthique) que religieuses (les devoirs religieux), ne suffisait pas pour être fidèle à Dieu, accordé à Dieu. Pour qu’il s’en aperçoive, il avait fallu "quelque chose" lui venant d’ailleurs que de lui-même : une manifestation divine ; non pas une manifestation divine de reproche ou de condamnation, mais – énorme surprise - une manifestation divine de miséricorde. Lui-même en parle en ces termes dans sa première lettre aux chrétiens de la ville grecque de Corinthe : « En tout dernier lieu, [Christ] m'est aussi apparu, à moi l'avorton. Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu. » (15,8-10). Quelques années après, dans sa lettre aux Romains, il dira : « Tous les commandements se résument dans cette parole : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’ (…) L'accomplissement parfait de la Loi, c'est l'amour. » (13,9-10)
Pour Paul, qui place maintenant toute sa confiance en Jésus miséricordieux qui le conduit à Dieu, l’attachement à la morale, à l’éthique, aux valeurs, si généreux soit-il, se trouve relativisé. Mais en même temps, cette même foi au Dieu de Jésus-Christ est devenue pour lui, la source et le fondement d’un respect mutuel sans frontière, radical, entre tous les humains ; autrement dit, source et fondement des valeurs morales. C’est dire que la foi chrétienne donne comme référence des relations entre les Hommes la bienveillance inouïe de Dieu envers tous, si bien exprimée dans la célèbre parabole du bon Samaritain . Cette bienveillance divine précède et fonde l’agir du chrétien ; et même, du moins aux yeux du chrétien, l’agir de l’Homme.
On peut exprimer la même chose en sens inverse. Vivre les valeurs morales est loin d’être méprisable, certes. Mais si ce n’est pas l’expression d’un véritable amour de l’Homme, de l’humain, de l’autre, on n’est pas loin d’une illusion trompeuse. Paul l’exprime très clairement dans sa 1ère lettre aux Corinthiens : « Même si j’avais la plénitude de la foi, si je n'ai pas l’amour, je ne suis rien. Même si je distribuais tous mes biens en aumônes, même si je livrais mon corps aux flammes, si je n'ai pas l’amour, cela ne me sert à rien. L’amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. » (13,2-6). Moins de quatre siècles plus tard (vers 415), saint Augustin lui fera écho dans son commentaire de la première lettre de saint Jean : « Aime et fais ce que tu veux . »
Tout cela va très loin. Car le lieu où la bienveillance de Dieu envers l’Homme s’exprime le plus radicalement, c’est en Jésus crucifié. Jésus est en échec total : venu pour rassembler, il finit d’une mort infamante, rejeté et seul, victime d’un complot politico-religieux et abandonné des siens. Il est dans le noir complet, y compris par rapport à Dieu, son Père, dont il se sent abandonné. Il racle le fond. Or dans cette épreuve - c’est si discret dans les récits évangéliques, que bien peu le remarquent -, Jésus n’a pas un seul mot de reproche, ni même de regret, que ce soit envers Dieu, envers ses ennemis impitoyables, envers la foule manipulée, ou envers ses amis lâchement enfuis. Autrement dit, rien, pas même ce que les Hommes peuvent faire de pire, rien n’a pu rompre son lien à Dieu, apparemment absent, ni son lien aux Hommes même les pires. En ressuscitant Jésus, Dieu le confirme dans cette attitude, qui devient alors la plus haute expression de ce qu’est la bienveillance divine envers les Hommes. Paul conclut par ces mots l’hymne à l’amour que je viens de citer : « L’amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. L'amour ne passera jamais » (1Corinthiens 13,7-8). Ce n’est pas de la naïveté, comme on pourrait le croire. C’est l’expression de sa découverte émerveillée de l’amour de Dieu pour l’Homme… à commencer par lui-même, Paul, le persécuteur. Un amour qui nous dépasse quelque peu, car il n’a pas de limite…
Ainsi la foi chrétienne, qui relativise la morale, la fonde-t-elle en même temps. Mais elle la fonde tout en la relativisant et en lui donnant une radicalité inouïe à la fois. La foi chrétienne fait de la morale l’expression humaine, le reflet, d’un amour inconditionnel et sans limite : celui de Dieu envers tous les humains, sans exception et quoi qu’il puisse arriver.
Quatre remarques pour conclure :
* 1° Si la morale a besoin d’un fondement, d’une source vitale, qui lui soit transcendante, il est très facile d’oublier cette source. Souvent, dans l’histoire de l’Église catholique, la proportion du Nouveau Testament a été renversée au détriment de la source - c’est-à-dire la foi en la miséricorde universelle de Dieu envers les Hommes -, et au profit de la morale. C’est toute la tentation moralisante de l’Église catholique, une tentation d’autant plus culpabilisante que l’Église dit se référer à Dieu. Heureusement, la miséricorde de Dieu vaut aussi pour les disciples de Jésus !... Il me semble que l’impact du pape François tient à cela : il met la source à sa place de source.
* 2° L’inspiration fondamentale de la morale étant posée, c’est à nous de découvrir comment en vivre dans les complexités et les nouveautés de la vie humaine. L’Évangile ne donne pas de solution toute faite, il n’a rien d’idéologique. Il s’offre comme une expérience à laisser retentir dans la notre pour éclairer notre chemin ; il y faut parfois beaucoup de temps. L’Évangile prend le risque de notre liberté, avec ses limites, ses conditionnements, ou même ses refus. Saint Paul et l’esclavage en constitue un bon exemple. Le principe de l’égalité et de la fraternité fondamentale entre tous les Hommes est posé. Tous sont baptisés à égalité . Paul lui-même l’exprime très concrètement dans son billet à Philémon, vers lequel renvoie son esclave en fuite Onésime avec ce petit billet (un bijou de finesse !) : Paul lui demande d’accueillir Onésime comme un frère. Mais il ne met pas en cause le statut même de l’esclavage. Il faudra attendre la moitié du XIXe siècle pour qu’émerge la conscience claire de l’inadmissible de l’esclavage… On trouverait sans doute des choses analogues sur la condition féminine ; n’est-ce pas De Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ?...
* 3° La question se trouve encore compliquée par la découverte moderne de la genèse du cosmos - dont la terre, la vie et l’Homme lui-même. En un siècle, nous avons découvert que tout ce qui existe, y compris ce qui nous semblait aussi immuable que les astres, les continents, la pierre, le plomb…. ou l’Homme, tout est le fruit d’une genèse largement aléatoire et encore en cours. Non seulement le « sol » sur lequel nous nous tenons est devenu mouvant, mais nous le sommes aussi devenus nous-mêmes. Si tout ce qui est devient mouvant, tout se trouve affecté d’un énorme coefficient de relativité. C’est une grande secousse culturelle dont nous n’avons pas fini de mesurer les implications et les conséquences. Les religions révélées en sont touchées de plein fouet ; même le judéo-christianisme, qui est pourtant une religion de l’histoire et dans l’histoire. Dans les incertitudes de l’heure (pensons, par exemple, à toutes les questions qui tournent autour de la bioéthique), la foi chrétienne ne nous dispense pas de réfléchir ; mais elle nous offre une boussole fiable : l’intérêt extraordinaire de Dieu pour les pauvres Hommes que nous sommes.
* 4° La laïcité, et surtout la laïcité à la française qui est particulièrement radicale, soulève une grande interrogation, inédite dans l’histoire de l’humanité. Les sociétés humaines se sont constituées, dès les origines, autour des « mythes » religieux qui donnaient du sens à leur existence et à leur monde ; cela fondait une morale commune. Or, par méthode, notre société laïque veut se constituer sans référence au spirituel, et moins encore à une religion, tous deux considérés comme relevant uniquement du choix personnel. Dès lors, à quelle source alimenter une morale, et une morale susceptible de réunir un consensus social ? Cette incertitude me paraît entraîner une crise culturelle larvée mais profonde. Le grand philosophe allemand Jürgen Habermas a lui-même reconnu qu’il ne lui était pas possible de fonder les grandes valeurs sur lesquelles reposent nos démocraties modernes (cf. liberté, égalité, fraternité…) sans faire référence à une transcendance ; or il se reconnaissait agnostique sinon athée… Quant à l’élaboration d’un relatif consensus social à partir d’une « transcendance » d’ordre rationnel, il se cherche (voir le philosophe Luc Ferry ou le préhistorien Pascal Picq), mais il reste largement à faire et appelle des débats. Pour tout simplifier, cette question cruciale est encore compliquée par l’aplatissement de l’humain engendré par une économie financière dont l’idéologie s’empare subtilement des esprits et les chloroforme, en les centrant sur la consommations et en les soumettant aux « intangibles » lois du marché. Là encore, dans les incertitudes de l’heure, nous avons, comme chrétiens, la chance d’avoir une boussole fiable : l’intérêt extraordinaire de Dieu pour les pauvres Hommes que nous sommes. Mais c’est à nous de choisir nos chemins : « La parole divine créatrice est une promesse d’humanité, qui engage notre propre responsabilité » (Maurice Vidal, thélogien).
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
« Je répands mon Esprit sur toute créature. » |
Jésus a fait l’expérience intime de la présence de l’Esprit-Saint qui l’a guidé, soutenu, éclairé. Le plus cadeau que pouvait faire Jésus à ses disciples et à l’humanité était de leur donner l’Esprit Saint.
C’est le jour de la fête juive de Chavouot qui commémore cinquante jours après la Pâque, la descente du Mont Sinaï par Moïse porteur des Tables de la Loi, que les chrétiens fêtent le don de l’Esprit-Saint. En célébrant cette fête, ils ne cherchent à remplacer les dix commandements par le don de l’Esprit. Le jour de la Pentecôte donne au récit de la Genèse une nouvelle dimension : dans ce récit, Adam et Eve, après avoir désobéi à Dieu, se découvrent fragiles et nus, conscients d’avoir creusé un fossé entre Dieu et eux. Malgré cette distance, Dieu vient à eux et leur fait don d’un vêtement pour qu’ils soient protégés dans ce monde dur et violent. Le jour de la Pentecôte, les disciples ne reçoivent pas un vêtement mais ils sont revêtus de l’Esprit de Dieu qui les rend brûlants d’audace et d’amour et de liberté. Pierre lui-même, qui a mis une distance entre Jésus et lui en le trahissant, fait l’expérience de cette force nouvelle en lui. Peut-être Jésus l’a t-il choisi comme pierre sur laquelle il bâtira son Eglise, justement parce qu’il a fait l’expérience de sa fragilité et de la force du pardon de Dieu, plutôt que Jean qui est resté fidèle jusqu’au bout.
La Bible raconte que les hommes avaient voulu bâtir une tour à Babel pour égaler Dieu, tout en gardant leur unité de langue et de culture. Et Dieu était intervenu en créant la différence entre les hommes, en leur donnant des langues différentes, afin qu’ils puissent se réaliser en se confrontant à l’altérité.
Le jour de la Pentecôte, Pierre cite le prophète Joël : « Je répandrais mon Esprit sur toute créature… » (Actes des apôtres 2,17). Le jour du don de l’Esprit, les apôtres sont appelés à aller à la recherche de l’Esprit Saint qui ‘se cache’ dans les langues des hommes. Ceci va obliger les apôtres à apprendre les langues ‘des autres’ pour comprendre comment ils accueillent la Parole de Dieu.
En faisant cadeau de l’Esprit-Saint aux communautés chrétiennes, Jésus leur donne le courage et la force de ne pas tomber dans la tentation de semer mais de moissonner. Jésus interpelle en ces termes ses apôtres qui s’étonnent de le voir parler avec une samaritaine : « Ne dites-vous pas ‘Encore quatre mois et ce sera la moisson’ ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui dorent pour la moisson… Je vous ai envoyés moissonner là où vous n’avez pas pris de peine… » (Jn 4,15)
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
A la suite de Jésus,
|
Avant de mourir, Jésus a donné une consigne à ses apôtres : ‘Allez dans toutes les nations et baptisez-les, au nom de mon Père qui est le Père de tous les hommes, au nom de l’Esprit répandu sur toute chair, et en mon nom à moi, qui livre ma vie au Père pour le salut de l’humanité’. Mais, pour remplir cette mission, Jésus ne leur a laissé ni rituel, ni code législatif, ni corpus doctrinal ; il n’a pas inventé une pédagogie nouvelle, ni rien qui puisse être répété. Il leur a promis seulement son Esprit.
Pour aller à la rencontre des nations façonnées par des cultures bien différentes, Jésus n’a pas dit à ses disciples : « Faites exactement la même chose que moi ! » ni « Faites ce que vous voulez ! » mais simplement: « Le bon samaritain s’est fait le frère de celui qu’il a croisé sur sa route. Allez et faites de même !» (Luc 10,37) Jésus leur dit en quelque sorte : «Je suis venu à la rencontre de ceux qui se convertissaient à l’appel de Jean, de ceux qui espéraient un renouveau de leur peuple, de ceux qui souffraient de la mort d’un proche ou de la maladie, de ceux qui étaient blessés dans leur corps et dans leur cœur, et même des étrangers qui m’ont rempli d’admiration par la confiance qu’ils me donnaient…. Pour les rejoindre en profondeur et répondre à leur attente, je les ai écoutés, je me suis inspiré de leur expérience religieuse et culturelle, ce qui m’a permis d’inventer des gestes et des paraboles, révélant l’amour infini de mon Père pour tous les hommes. Ce fut à la fois une joie pour moi, car l’amour du Père et le mien, ont été une force qui les a fait vivre debout en les délivrant de leur mal ; mais aussi une souffrance et un drame pour moi car j’ai bien eu conscience que ces guérisons et mes paroles remettaient en cause notre société. »
William C. Spohn, qui fut professeur d’éthique chrétienne à Berkeley et à Santa- Clara en Californie, le dit en d’autres termes dans son livre ‘Jésus et l’éthique’ (Editions Lessius 2010 p. 23). « Être chrétien signifie suivre Jésus, être son disciple, en communauté avec d’autres qui marchent sur le même chemin. Son appel est : ‘Suis-moi’. Il ne s’agit pas de suivre une série de concepts, de valeurs, de code de conduite ou une institution. Il s’agit d’accompagner Jésus sur une voie de service, de témoignage, de souffrance et de réconciliation. Les disciples suivent Jésus comme le Chemin, non comme le terme du voyage. » L’auteur illustre son propos par son expérience pastorale : le jeudi saint, au lavement des pieds, il a vu le célébrant laver les pieds d’une douzaine de personnes. Pour lui, cela ressemblait à une pièce de théâtre, jouée devant l’assemblée, et qui ne correspondait pas ce que Jésus avait dit à ses apôtres : « Lavez-vous les pieds les uns des autres ». Jésus a demandé à ses apôtres d’attendre la venue de son Esprit créateur et de se laisser guider par Lui. Aujourd’hui, dans notre monde scandalisé par tant d’exclusions, quel signe peut bien inspirer l’Esprit à la communauté chrétienne pour signifier qu’elle veut se faire ‘servante’ de l’humanité à la suite de Jésus ?
Jésus a demandé à ses apôtres de parcourir le monde pour annoncer à tous la Bonne Nouvelle. Après la Pentecôte, les apôtres vont rester à Jérusalem. Ce n’est pas la parole de Jésus qui va amener Pierre à sortir de Jérusalem, mais c’est une difficulté dans la communauté de l’Eglise. En effet, des disciples parlant grec se trouvèrent délaissés par la communauté juive de Jérusalem. Pour répondre à l’attente de ces disciples grecs, les apôtres imposèrent les mains sur sept membres de leur groupe, afin qu’ils l’animent et fassent le service de la distribution aux plus démunis d’entre eux. Après la condamnation d’Etienne, l’un de ces sept « diacres », l’Eglise de Jérusalem subit une grave persécution, et les membres de la communauté durent se disperser. Luc témoigne qu’ils répandirent alors la Bonne Nouvelle dans les campagnes de Judée et de Samarie. Ainsi l’acteur principal de la mission de l’Eglise naissante est le diacre Philippe, signe que ce sont bien tous les chrétiens qui sont envoyés pour annoncer la Bonne Nouvelle.
Cet événement est, à la fois, éclairant et déroutant. Il se passe en Samarie, là où Jésus, après avoir rencontre la femme samaritaine, a appris à ses apôtres qu’ils n’étaient pas envoyés pour semer mais pour récolter. C’est aussi un samaritain que Jésus a choisi pour faire découvrir ce qu’est le véritable amour en acte aux juifs de Jérusalem. Par cette parabole, Jésus suggère que c’est un étranger méprisé qui peut être la plus belle image de l’amour de Dieu pour les hommes.
Cet événement éclaire le chemin de l’inculturation, la route à suivre pour ‘incarner’ l’évangile dans notre monde. Sur ce chemin, il faut se laisser surprendre par ceux et celles qui sont dans les ‘Samarie’ d’aujourd’hui, c’est-à-dire les personnes et les groupes qui, aux yeux des disciples de Jésus, semblent loin de l’évangile. Pour cela, il faut aussi faire des choix : marcher à la suite de ceux et celles qui sont déjà dans les ‘Samarie’ d’aujourd’hui. Peut-être y perçoivent-ils que les blés sont mûrs, alors que d’autres apôtres peuvent penser que cette moisson-là peut attendre parce qu’elle ne rapportera pas grand’ chose.
Le témoignage de Anne qui anime un atelier de peinture dans la rue est une belle illustration de cette démarche. Nous trouvons son témoignage sur le site.
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
|
Les communautés chrétiennes primitives sont passées non sans tension quelques fois violente du modèle culturel unique, celui de la culture juive originelle – encore que l’on trouve déjà dans la Bible une certaine diversité culturelle selon les époques et les milieux! –, à un modèle tout à fait pluriculturel. Les quatre évangélistes en sont l’illustration. Ils ont rédigé les évangiles dans le langage de leurs communautés qui étaient enracinées dans des cultures bien différentes. En préservant cette diversité, l’Eglise a laissé un trésor à l’humanité : chacun dans sa culture, peut découvrir la présence de l’Esprit et communier au mystère de Jésus.
L’apôtre Matthieu est très proche de la culture juive. Aussi, son enracinement lui permet de comprendre combien Jésus est resté très attaché aux traditions culturelles ancestrales de son peuple. Il décrit Jésus ‘accomplissant les Écritures’. A la suite des prophètes, il met aussi l’accent sur une foi intériorisée qui ne se laisse pas enfermer dans le ritualisme ou dans le formalisme. Cet accent apparaît nettement dans la béatitude sur les pauvres que Matthieu spiritualise: «Bienheureux ceux qui ont un coeur de pauvre. » Cette façon de dessiner le portrait de Jésus permet de garder un lien fondamental avec le peuple juif.
Marc qui a suivi Paul lors de son premier voyage et sans doute Pierre découvre à Rome un peuple qui ne connaît guère le peuple juif, son histoire et ses coutumes Marc va écrire une vie de Jésus compréhensible par ces Latins. Cette démarche n’a pas dû être évidente pour Marc de prendre ainsi du recul par rapport à sa propre culture pour retrouver l’essentiel de la vie de Jésus et de pouvoir la partager avec des étrangers au peuple juif dont Jésus faisait partie. Le contexte historique dans lequel Marc écrit est marqué par les premières persécutions. Aussi, il est amené de décrire combien la vie de Jésus a été un combat dramatique contre les puissances du Mal.
Luc, fin connaisseur du monde gréco-romain et de ses traditions littéraires, met l’accent sur la naissance exceptionnelle de Jésus et son enfance où se dévoile le destin de ce personnage hors du commun et sur la naissance de l’Eglise dans ce monde. C’est sans doute la raison pour lui de mettre une distance entre le pouvoir politique et Jésus en prenant grand soin de faire sentir l’absence de tout contentieux entre Jésus et l’Empire romain. En lisant la façon dont Jésus présente son message par des paraboles, on pressent que Luc a une âme d’artiste. En donnant une grande place aux femmes, il se dévoile comme un homme plein de finesse. qui suivent Jésus. Luc, probablement très proche de Paul, met en relief tout ce qui concerne la question sociale. Il décrit Jésus mettant les pauvres à la première place au détriment des riches jouisseurs… mais il met en même temps en grand relief la miséricorde de Dieu envers tous, y compris des riches malhonnêtes comme Zachée.
Quant à Jean, il s’adresse à des Églises probablement très proches du judaïsme mais implantées dans ces régions bouillonnantes où la culture grecque se métisse avec la culture et les religions orientales; cela le provoque à traduire la pensée profonde de Jésus sans craindre ni d’entrer dans des raisonnements typiquement rabbiniques ni d’adopter des perspectives ou des questionnements typiques de la culture grecque comme les ‘mystères’. Cela le provoque aussi à souligner l’originalité du message de Jésus en soulignant très fortement les ruptures avec le message des juifs
L’Eglise naissante a reconnu et maintenu quatre Evangiles, quatre façons d’annoncer la Bonne Nouvelle. L’Eglise a pris cette décision contre vents et marées car elle rendait plus difficile la communion entre les communautés chrétiennes si diverses. L’Eglise a pris ce risque car elle voulait rester fidèle à la démarche missionnaire de Paul. L’apôtre a reçu la mission de s’adresser aux gentils non pour les enrôler dans les habitudes religieuses hébraïques mais pour incarner, inculturer la Bonne Nouvelle dans d’autres cultures. Les quatre évangélistes, chacun dans leur langage transmettent aux peuples du monde que la Vérité et la Vie est une personne : Jésus-Christ. Thomas d’Aquin a écrit que c’est une chance que Jésus n’ait rien pu écrire car son message risquait alors de devenir une simple doctrine.
Comment respecter la diversité en ne brisant pas l’unité ? L’article suivant ‘En se convertissant, les Eglise font l’expérience de l’unité’ aborderacette question en s’éclairant du livre de l’Apocalypse.
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
Guetter et se laisser surprendre par l'Esprit |
Nous avons reçu trois réactions d’internautes qui nous provoquent à poursuivre notre recherche sur l’inculturation, comme la mission que remplissent des ‘gens qui vont à la rencontre de Dieu dans la cuisine’, ainsi que le disait Ste. Thérèse d’Avila, docteur de l’Eglise.
La première réaction nous vient d’une dame qui a travaillé de longues années auprès d’handicapés ‘lourdement atteints’. Mère de famille, elle a vécu chez elle tous les changements de notre époque. Elle fait allusion à l’article : ‘Inculturer l’Evangile dans la vie ordinaire’
« J'aime beaucoup cette image de guetteurs de la justice travaillant au coeur des gens. Mais le père Scholtus parle aussi de se laisser surprendre et d'accueillir le neuf. Dans cet accueil, il me semble qu'il y a aussi se laisser à son tour travailler par l'Esprit, se laisser convertir: la "nouvelle évangélisation" commence par la nôtre... »
Cette réaction fait écho à une prière du bréviaire, l’Hymne du vendredi III matin
« Puisque Dieu est avec nous,
N’attendons pas la fin des jours
Pour Le trouver…
Ouvrons les yeux,
Cherchons sa trace et son visage,
Découvrons-le qui est caché
Au cœur du monde comme un feu ! »
La deuxième réaction nous est envoyée par un père de famille qui relit sa vie et guette dans sa vie ceux et celles qui ont bouleversé sa vision du monde ainsi que sa façon de participer à l’évolution de la société. Voici un extrait de son témoignage :
« Mon père, officier de marine, est mort au combat pendant la guerre, ma mère, de milieu très bourgeois, a tenu "à maintenir" les valeurs de son milieu. Très engagée socialement pour la solidarité à l'égard des veuves dans le besoin, elle lisait cependant le Figaro, la France catholique...Dans mon parcours, j'ai croisé longuement le Prado, j'ai été instruit sur l'évangélisation des pauvres, par des moyens pauvres. Jésus s'est fait le plus pauvre. J'ai été arraché à mes oeillères du milieu d'origine par le témoignage de diacres revenant d'Algérie où ils avaient été témoins de la torture. Travaillant ensuite au journal la Croix avec Félix Lacambre, j'ai avancé dans l'engagement par des choix dans mes commentaires de journaliste économique, par l'ACO. Ma mère n'appréciait pas beaucoup la Croix, où j'étais journaliste, et Témoignage chrétien, où je faisais des piges...Je suis ainsi passé d'abord par l'ouverture de croyant sur les plus pauvres, qui n'étaient pas mon milieu, puis par l'ouverture de citoyen sur la torture, qui servait à maintenir des privilèges et pervertissait l'armée, si honorée dans mon milieu familial. Enfin, la rencontre de Félix Lacambre, militant ouvrier, et de militants experts en économie, m'a fait poursuivre dans ma vie professionnelle la logique du choix unissant économie, politique et justice. »
En écho à ce témoignage, le psaume 145 chante l’œuvre que Dieu réalise avec les hommes et les femmes de ‘bonne volonté.’
« Dieu fait justice aux opprimés
Donne du pain aux affamés
Délie les enchaînés
Ouvre les yeux
Redresse les accablés
Protège les étrangers
Aime les justes
Soutient les exclus de la société. »
Un aigle prend de la hauteur pour mieux percer les traces de vie. Cette peinture de Vincent Gayet exprime symboliquement la façon de Dieu d’être présent aux hommes: (Deutéronome 32,11)
« Tel un aigle qui veille sur son nid,
Plane au-dessus de ses petits,
Il déploie ses ailes et prend son peuple
Et le soutient sur son pennage. »
Pour inculturer l’Evangile, se laisser surprendre.
Chercher comment notre Eglise peut parler à nos contemporains n’est ni un plan d’évangélisation, ni un exercice intellectuel réservé à des experts. Inculturer l’Evangile prend sa source dans un don de Dieu qui s’exprime dans la recherche des hommes, quelle que soit leur culture ou leur religion. Il suffit de ne pas être aveugle pour accueillir cette recherche de vérité, de justice et d’amour comme une Parole de Dieu qui nous invite à le rejoindre là où Il demeure déjà.
Etre surpris par Dieu, c’est une constante dans l’histoire d’Israël.
L’histoire du peuple juif a été jalonnée par des grands moments glorieux mais qui, pourtant, ont laissé un goût d’inachevé à ceux qui en ont été les témoins. Prenons simplement trois exemples : Moïse, contesté au départ par certains de ses compatriotes, va, au nom de Dieu, provoquer le pouvoir égyptien pour délivrer son peuple de l’esclavage et l’emmener en Terre Promise. Cette délivrance de l’esclavage est un des moments fondateurs du peuple élu. Pourtant, le peuple juif reste marqué par un fait qui nous est raconté dans le livre de l’Exode : Moïse meurt à l’entrée de la Terre promise car il avait douté de Dieu durant la traversée du désert. Cette mort de Moïse à l’entrée de la Terre promise laisse au peuple un goût d’inachevé qui, pourtant, nourrit la vie spirituelle des juifs. Tout en chantant la victoire de leur libération, ces croyants restent en attente d’une nouvelle manifestation de Dieu. Jésus, sur la croix, manifestera d’une tout autre façon cette attente pleine de confiance. Sur la croix, il demandera d’abord à son Père : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; et quelques instants après : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Les spirituels nous rappellent que leur foi en Dieu est souvent accompagnée de doutes, de silence, de vide, de désert et de fidélité exprimée dans la nuit.
Nous retrouvons cette béance dans le cantique des Cantiques qui est un véritable chef d’œuvre littéraire. Ce livre de la Bible chante l’amour humain. Dans cet hymne à l’amour, les deux amants ne se rencontrent jamais. Ce cantique chante un amour qui donne soif, qui alimente un rêve, mais qui ne se réalisera jamais totalement. Ce cantique ne chante-t-il pas l’expérience de l’amour et de la beauté qui ne comblera jamais totalement l’homme amoureux ? Aujourd’hui, sur un autre registre, ce sentiment de l’inachevé blesse toujours notre société. Combien d’œuvres littéraires contemporaines témoignent d’une recherche de la vérité et du besoin de respecter le temps de l’enfantement pour combler le vide et l’assèchement, creusés par la dictature de l’urgence, de la consommation et du virtuel.
Nous retrouvons cette plaie, sous une autre forme, dans l’histoire du Temple d’Israël. Le roi Salomon construit un temple, merveille d’architecture qui a donné sa dignité et son identité à son peuple. Ce temple alimente même les visions que certains prophètes ont de l’avenir. Mais une blessure pourrit de l’intérieur ce rêve. Cette blessure est souvent rouverte par les prophètes qui provoquent le peuple à mettre son espérance en Dieu plutôt que dans la splendeur du Temple, même s’il est « la demeure de Dieu parmi les hommes ». Ils contestent le pouvoir que se sont donné les prêtres qui sont au service du culte rendu à Dieu dans ce temple. Le prophète Malachie ne mâchait pas ses mots quand il s’adressait aux responsables religieux : « J’avertis les prêtres : si vous ne m’écoutez pas, j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirais les bénédictions que vous prononcerez » (Malachie 1,15). Les prophètes ne mettaient-ils pas le doigt sur la blessure qui fait saigner l’âme du peuple, blessure engendrée par sa volonté de tout dominer, y compris sa rencontre avec Dieu ? Quand certains veulent tout dominer au plan familial, sociétal, économique, religieux, d’autres se révoltent pour sauver leur liberté et leur dignité.
Dieu ne crée pas des événements pour surprendre des hommes.
La Bible nous apprend que Dieu, le créateur du ciel et de la terre, ne crée pas des événements particuliers pour que sa parole puisse pénétrer au plus profond de l’homme. Moïse ne s’était-il pas déjà révolté contre la violence des égyptiens envers son peuple avant même que Dieu l’appelle à le délivrer ? Dieu a-t-il besoin de créer une rencontre entre le bien-aimé et sa bien-aimée pour que leur cœur à tous deux brûle et enflamme leurs rêves ? Dieu n’a pas demandé à Salomon de lui bâtir un Temple grandiose en faisant travailler des esclaves et en collectant des impôts écrasants.
Si Dieu ne crée pas des événements, que fait-il alors ?
Nous ne prendrons qu’un exemple dans l’histoire du peuple juif, quitte à simplifier la réponse. La culture juive est pétrie des grandes heures qu’a vécu ce peuple mais aussi d’heures sombres. En 550 ans avant J.-C., les cadres du peuple sont faits prisonniers et traînés en exil à Babylone. Une minorité de ces cadres gardent confiance au Dieu unique : Il viendra sûrement les délivrer en envoyant un nouveau Moïse. Mais voilà que ce nouveau Moïse, à qui le prophète Isaïe donnera le titre de ‘Serviteur de Dieu’, ne sera pas un juif mais un païen. Nous avons du mal à imaginer combien cet événement fut une véritable révolution spirituelle : c’est un païen, qui ne croit pas au Dieu unique, qui conduit le peuple de Dieu vers la Terre Promise. Dieu, une fois de plus, surprend son peuple et l’oblige à remettre en cause la vision qu’il a, et de son Dieu et des païens.
Dieu ne crée pas un événement mais donne des yeux pour voir, et des forces pour créer une nouvelle situation…
« Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils ne connaissent pas,
Par des sentiers qu’ils ne connaissent pas, je les ferai cheminer,
Devant eux, je changerai l’obscurité en lumière
Et la pierraille en droites allées. » (Isaïe 42,16)
Jésus incarne les initiatives surprenantes de Dieu le Père.
Dieu va surprendre son peuple d’une façon encore plus inattendue. Aux dires de l’apôtre Paul, voilà que Dieu prend une initiative qui va être perçue comme un scandale pour les juifs et une folie pour les païens : Son Fils va prendre chair. Par ce don fait aux hommes, Dieu va dévoiler un mystère resté caché depuis la création du monde : Dieu n’est pas un solitaire, une Être suprême qui vit ‘dans les cieux’, mais Il est un Père amoureux de l’humanité, à tel point qu’il vient vivre pleinement l’aventure des hommes, en solidarité avec eux, en donnant son Fils à l’humanité. Son fils prend chair et vit pendant quelques trente ans la vie des hommes, toute simple, dans un village de Galilée. Mais « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? », s’exclameront les opposants à Jésus quand il commencera à dévoiler comment Dieu est présent aux hommes. Cela remettra tellement en cause la foi établie des autorités juives qu’ils finiront par prendre la décision de le supprimer, en remettant cet homme, qui se prétend l’égal et l’intime de Dieu, entre les mains des occupants romains, pourtant détestés, afin qu’ils le crucifient comme un révolté. Pour mieux saisir en quoi cette initiative de Dieu est surprenante, il suffit de se rappeler que Moïse est mort, avant d’entrer en Terre Promise avec son peuple libéré ; que le prophète Mahomet a tué ses ennemis pour reconquérir la Mecque, la ville sainte des Musulmans ; tandis que Jésus est mort sur une croix pour donner la vie au monde, en demandant à son Père de pardonner ses bourreaux, avant de remettre sa vie entre ses mains. Le Père, qui a semblé absent durant le drame qu’a vécu Jésus, remettra debout son Fils après sa mort.
Témoignage d’un internaute : « C’est grâce aux autres qu’il aura été converti. »
. Le meilleur exemple de l’inculturation de croyants chrétiens n’est-il pas donné par les moines de Tiberine, vivant au cœur de l’atlas algérien ? Christian Salenson rumine inlassablement leur histoire et explore, dans toutes ses dimensions, l’inépuisable méditation de Christian de Chergé sur la Visitation, qu’il voit comme un archétype de la rencontre, où chacun, en découvrant les trésors de l'autre, se trouve en retour révélé à lui-même par l’autre.
Comment ne pas s’émerveiller devant ce modèle indépassable de la rencontre entre Marie et Elisabeth? Comment ne pas être encouragé par ce qui est rappelé, comme fortuitement, mais qui n’est pas accessoire : « C’est [seulement] après coup que la fécondité … de ces choix se révèle, en même temps que certaines ambiguïtés méconnues sur le moment ».
C’est donc ainsi encouragé que l’on peut se risquer à évoquer l’exemple du travail du CCFD au sein des groupements d’associations de la société civile qui sont animées du souci de la justice sociale, mais dont la plupart sont indifférentes à toute référence religieuse, voire méfiantes ou carrément hostiles. Ce travail s’opère depuis longtemps. Historiquement, la participation du CCFD au Forum Social Mondial de Porto Allegre en 2001 en a été l’une des premières manifestations publiques les plus spectaculaires.
Actuellement, même au niveau local le plus modeste, des militants appartenant au CCFD sont reçus dans ces groupes de travail inter associatifs avec respect et estime. Au-delà de leurs différences de références personnelles et de culture, ils rencontrent les alliés du CCFD dans le partage de valeurs communes et dans une même espérance active en faveur d’un monde meilleur, dans une même foi en l’homme. Ils prennent le risque de participer aux actions communes des mouvements altermondialistes, sans perdre pour autant leur identité, bien au contraire. Ils ont la joie de reconnaître les qualités et la richesse humaine de nombreuses personnalités qu’ils n’auraient jamais côtoyées dans leur cercle habituel de relations et croient pouvoir célébrer, en leur for intérieur, le travail de l’Esprit à l’œuvre dans le monde. Il est bon, il est stimulant de faire sien ce texte d’Isaïe car, « guetter les signes de justice qui sont en train de mûrir dans le monde et en soi-même, c’est guetter Dieu qui travaille le cœur des personnes. ‘De même que la terre fait éclore ses germes et qu’un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Yahvé fait germer la justice et la louange devant toutes les nations.’ (Isaïe 61,11). C’est au cœur des nations païennes que Dieu fait aussi germer la justice ».
Une remarque enfin : « En vivant avec Jésus, les disciples sont amenés à acquérir certaines sensibilités et à faire des choix… ». En vivant avec Jésus … c’est peut-être un préalable pour certains, mais pas pour tous : lorsque quelqu’un s’investit dans une association quelconque (par exemple au CCFD, mais cela vaut aussi bien dans d’autres associations) et lorsqu’il participe aux travaux des autres ONG, il n’est pas animé par le souci de faire grandir l’Eglise et de rassembler tous les peuples au sein d’un même bercail. Il est simplement mis en mouvement par une même conviction qu’il approfondira en lui, en même temps qu’il la découvrira chez les autres. S’il est témoin de Jésus-Christ, il n’en est pas sûr. « Il n’a rien entre les mains, pas de leçon à donner, ni de connaissances apprises, ni de projet pastoral » (Ch. Salenson évoquant le modèle de Marie dans son « Prier 15 jours » sur Ch. de Chergé page 116). C’est peut-être au bout d’une longue démarche, après avoir patiemment cheminé, battu le pavé au milieu de la foule, échoué, douté et parfois (rarement ?) perçu de modestes progrès, qu’il trouvera le sens ultime de l’espérance qu’il portait en lui, la même confiance intime qui était aussi portée par beaucoup d’autres. C’est grâce aux autres qu’il aura été converti.
Répondre à Dieu en se laissant surprendre par la recherche des hommes,
est un véritable chemin d’inculturation.
En lisant ces deux témoignages, on peut être frappé que, ceux et celles qui se sont laissé surprendre par la recherche des hommes, l’ont vécu aussi comme Parole de Dieu. Cela leur a demandé beaucoup d’ouverture d’esprit, beaucoup de respect pour les autres, pour ne pas récupérer leur recherche en cherchant à y annoncer la bonne nouvelle, beaucoup d’amour et une foi qui ne se fige pas. Nous découvrons combien la vie du chrétien ne se limite pas à imiter Jésus, ni appliquer dans sa vie les valeurs du christianisme, ni obéir aux dix commandements ; mais il s’agit de vivre un lien mystique avec Jésus, un lien qui pourra peut-être rendre visible sa présence active aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui.
On découvre aussi que mettre sa confiance en Dieu ne veut pas dire ne rien faire et laisser faire Dieu à notre place. Se laisser surprendre par Dieu qui lance ses appels à l’intérieur de la recherche des hommes en quête de ‘justice’ (au sens biblique) peut, non seulement prendre au dépourvu celui qui ouvre les yeux sur le monde, mais aussi déstabiliser l’image que l’on se fait de la présence active de Dieu dans le monde.
Relire sa vie, les moments ou les événements imprévus de son existence qui ont façonné notre existence en ‘serviteur’ des autres, cela transforme l’amour que l’on a pour les autres en amour réciproque, à l’image de l’amour qui unit le Père à son Fils : « Tout ce qui est à toi est à moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».
novembre 2011
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
La mission des ‘gens ordinaires’ :
|
En 2012, l’Eglise catholique va fêter le cinquantième anniversaire du concile Vatican II. A cette occasion, il est intéressant de rappeler une initiative étonnante prise par Paul VI que peu d’historiens de l’Eglise soulignent comme importante. Le Pape a voulu que des laïcs soient associés aux travaux du Concile. Marie-Louise Monnet fut ainsi la première femme ‘ordinaire’ à être invitée à participer aux travaux des pères conciliaires. Elle avait la conviction que les simples disciples du Christ ont un rôle à jouer dans le monde et dans l’Eglise. Cette conviction est née en elle en participant simplement à la vie de sa famille. Cette découverte l’a profondément imprégnée à tel point qu’elle va intervenir au Concile pour que dans le texte sur l’apostolat des laïcs, les enfants soient reconnus comme pouvant avoir une activité apostolique qui leur soit propre. Comme beaucoup de femmes, hier comme aujourd’hui, elle était active dans la vie de sa paroisse en étant animatrice d’un patronage.
Se trouvant à Lourdes en même temps qu’un rassemblement de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, elle va subir un choc qui va transformer sa vie. Elle entend Mgr. Gerlier parler de la Joc en ces termes : « Entre eux, par eux, avec eux, les jocistes veulent ramener au Christ leurs frères ouvriers. » Si l’évangélisation des jeunes de son patronage est de la responsabilité des jeunes eux-mêmes, quelle peut être alors sa mission dans l’Eglise ? Après avoir prié et réfléchi, Mlle Monnet pense que c’est en vivant simplement et en travaillant avec les autres personnes de son milieu que l’on peut témoigner de l’amour de Dieu pour les hommes. Elle va fonder un mouvement de jeunes filles de son milieu pour que, par leur vie, leurs actes, leurs paroles, elles témoignent de l’amour de Dieu pour le monde. Aujourd’hui, nous avons du mal à nous imaginer la révolution qu’a été l’initiative d’une femme fondant un mouvement de laïcs. Jusque là, c’étaient des clercs qui avaient eu cette audace et ce courage. Avec Marie-Louise Monnet, ce sera une jeune femme. Le cardinal Garonne pensera que c’est une chance extraordinaire pour l’Eglise d’avoir en son sein un mouvement de jeunes et de filles car elles avaient un regard neuf sur la vie du monde et sur l’avenir de l’Eglise. Autre révolution voulue par M.-L Monnet : elle va demander à l’épiscopat d’avoir comme aumônier de son mouvement non pas un religieux comme le voulait la coutume mais un simple prêtre diocésain car leur apostolat ne devait faire qu’un avec la vie de l’Eglise locale.
Nous vous recommandons vivement de lire un livre qui vient de paraître et qui raconte l’aventure apostolique d’une ‘femme ordinaire’, Marie-Louise Monnet. Micheline Poujoulat invite le lecteur à passer quinze jours en compagnie de cette ‘femme ordinaire’ qui a révolutionné profondément la vie apostolique de l’Eglise.
Cette page d’histoire de l’Eglise n’est pas retenue par les historiens de l’Eglise du 20ème siècle et pourtant, cette page nous rappelle que le renouveau du monde et de l’Eglise se joue dans la vie ordinaire avec des gens ordinaires. Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’évangélisation a toujours revêtu des formes différentes,
Le 21 Septembre 2010, dans le texte préparatoire au synode sur la nouvelle évangélisation qui doit se tenir en 2012, Benoît XVI rappelle plusieurs points de repère importants : « La mission d'évangélisation, continuation de l'œuvre voulue par le Seigneur Jésus, est pour l'Église une expression nécessaire et indispensable de sa nature… Au long de son histoire, l’évangélisation a revêtu des formes et des modalités différentes, selon les périodes, les contextes et les lieux… Comme les récentes mutations de la société ont profondément changé notre perception du monde, elles n’ont pas été sans conséquences sur la dimension religieuse de la vie des hommes. Aussi, dans le sillage de l'enseignement conciliaire, les derniers papes ont réfléchi à la nécessité de trouver des formes nouvelles permettant à nos contemporains d'entendre encore la Parole vivante et éternelle du Seigneur. Comme l’a souligné Paul VI, l’Eglise « doit chercher constamment les moyens et le langage adéquats pour leur proposer ou leur reproposer la révélation de Dieu et la foi en Jésus-Christ »
Cette préoccupation missionnaire ne touche pas seulement l’Eglise catholique. Pour ne prendre qu’un exemple, le groupe des Dombes (composé des théologiens des différentes religions chrétiennes) qui a réfléchi durant plusieurs années sur le ‘Notre Père’, la prière commune à tous les chrétiens, pose dés les premières lignes de son rapport la question de l’inculturation : « Le Notre Père, une prière qui ne va pas de soi dans la culture occidentale actuelle… La figure du Dieu Père qui suscite les interrogations les plus radicales… Devant l’excès du mal, comment croire en un Dieu Père ? Devant la mutation et la fragilisation de la figure paternelle… que peut signifier un Dieu Père ? » (p.24 dans ‘Vous donc, priez ainsi.’ Groupe des Dombes chez Bayard 2011)
Qui a mission d’inculturer l’évangile aujourd’hui ?
Spontanément, beaucoup de chrétiens pensent que la mission d’inculturer l’Evangile est la mission des évêques et des experts. En lisant le texte préparatoire du synode 2012 sur la ‘nouvelle évangélisation’ on pourrait douter que les laïcs aient une responsabilité dans cette mission car la mission des laïcs de partager l’évangile à leurs contemporains n’est mentionnée que deux fois alors que la responsabilité des Eglises locales est fortement mise en relief. En insistant sur la mission des Eglises locales, le Pape ne nie pas la responsabilité des laïcs mais il précise que la mission des laïcs doit toujours se vivre en communauté, en lien avec l’Eglise locale.
La mission des laïcs dans l’évangélisation toujours nouvelle.
Etant témoins engagés de communautés ou d’équipes de chrétiens en continuelle recherche pour rendre l’Evangile visible au cœur de leur milieu, de leur cité, des évêques de tous les continents préfèrent employer l’expression ‘l’évangélisation toujours nouvelle’ plutôt que ‘la nouvelle évangélisation’. En effet, la recherche d’une autre façon d’assurer la catéchèse, la composition de cantiques chantés au rythme prisé par les jeunes doit toujours être nouvelle. La restructuration du tissu paroissial et la refonte des équipes d’aumônerie dans différents domaines ont permis à bien des laïcs de prendre de nouvelles responsabilités pastorales mais cette recherche n’est jamais terminée. Que ce soit en Amérique ou en Europe, des mouvements de laïcs ont pris des initiatives audacieuses qui lui ont valu quelques fois la désapprobation de la société civile ou de l’épiscopat. Dans ces Eglises, l’évangélisation est en continuelle création, fidèle aux traditions culturelles du peuple.
Mais nous voudrions creuser ici une autre voie pour explorer la mission des laïcs dans le monde d’aujourd’hui en plein bouleversement. Nous nous inspirons d’une remarque du père R. Scholtus, supérieur du séminaire des carmes à Paris pour la creuser : « Pour que le neuf advienne, il ne suffit pas de le décréter, il ne suffit même pas de prendre des initiatives et d’agir, il faut inlassablement l’attendre et le guetter, le surprendre et l’accueillir. »
Guetter, surprendre, accueillir du neuf en train de naître
Comme des sociologues parlent du retour du religieux, est-ce dans ce domaine qu’il faut guetter du neuf ? En ouvrant le livre d’Isaïe, on découvre une réponse étonnante, surprenante. Ce prophète n’est pas un personnage unique. En fait, il s’agit de tout un courant de la tradition religieuse juive dont la figure emblématique est un certain Isaïe, fils d’Amos, qui vivait au VIIIe siècle à Jérusalem dans une grande famille proche du pouvoir. Il lance un message provocant à propos du rôle de la religion et de la foi en Dieu. « Je déteste vos célébrations, dit Dieu. Elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter. Vous avez beau multiplier vos prières, je n’écoute pas… Recherchez la justice ! » (1, 11-17) Les prophètes du peuple élu ont appris à celui-ci à guetter le neuf non dans ce qui se vivait dans le Temple, demeure de Dieu, mais en le sensibilisant à la recherche des traces de justice et ce, à travers le monde. Les prophètes pressaient leur peuple d’aller voir ailleurs que dans le Temple, d’écouter d’autres personnes que les responsables religieux pour être réveillés ; ce peuple qui avait tendance à s’abriter derrière Dieu ou à s’assurer la protection de Dieu. Le faisaient-ils pour attirer les peuples païens à se convertir au judaïsme ? Comme on le dirait aujourd’hui, s’agissait-il d’un plan pastoral d’un diocèse ou d’un thème d’année lancé par un mouvement ? Isaïe, en proclamant que « Le Seigneur accomplira pleinement et promptement sa parole sur la terre. » (Is. 10,23) ne fait que reprendre une vieille tradition. Dieu n’avait-t-il pas dit à Moïse : « « Je ferai miséricorde à qui je veux, je montrerai ma tendresse à qui je veux. » (Ex. 33,19) Le prophète Osée : « « Celui qu’on appelait ‘Pas-mon-peuple’, je l’appellerai ‘Mon-Peuple’ j’aimerai celle qu’on appelait ‘Non-Aimée’. » (Osée 2,25) Et là même où Dieu leur avait dit : « Vous n’êtes pas mon peuple, là ils seront appelés ’fils du Dieu vivant.’ » (Osée 2,1)
Quand les prophètes invitent leur peuple à scruter les traces de justice dans le monde, ils ne dénigrent pas le Temple mais invitent ce peuple à communier à l’amour surprenant de Dieu pour tous les hommes. Surprenant car Dieu ne conditionne pas son amour à une entrée dans le Temple. En communiant ainsi à l’amour de Dieu pour les hommes, ne donne t-on pas à notre propre amour une dimension gratuite ?
A la découverte des traces de justice dans le monde
Guetter les traces de justice dans le monde n’est pas une démarche facile car dans la Bible, la justice n’est jamais vraiment définie. L’idée biblique de ‘justice’ est beaucoup plus riche que le sens social que nous donnons habituellement à ce mot. Être juste, c’est, en quelque sorte, être ‘ajusté’ à Dieu tel qu’Il se révèle dans l’histoire de son peuple, être ‘ajusté’ à soi-même et à ses frères humains, être ‘ajusté’ à la Création confiée aux hommes. Les commentateurs de culture asiatique parlent d’harmonie. Pour eux, être juste selon la Bible, c’est vivre en harmonie avec Dieu, avec soi-même, avec les autres, avec la nature.
Guetter les signes de justice qui sont en train de mûrir dans le monde et en soi-même, c’est guetter Dieu qui travaille le cœur des personnes. « De même que la terre fait éclore ses germes et qu’un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Yahvé fait germer la justice et la louange devant toutes les nations. » (Isaïe 61,11)
C’est au cœur des nations païennes que Dieu fait aussi germer la justice. Le plus bel exemple nous est donné par un disciple d’Isaïe qui voit en Cyrus le serviteur de Dieu. Il le nomme ainsi parce qu’il délivre non seulement les juifs de leur exil mais qu’il leur accorde le droit de prier leur Dieu dans le Temple. Cyrus ne se convertit pas pour autant à la religion juive mais fait œuvre humaine. C’est cette voie que Dieu emprunte pour révéler son amour : « Le Dieu saint a révélé sa sainteté dans le justice. » (Is. 5,16)
Aujourd’hui, les laïcs ne peuvent-ils pas avoir ce rôle prophétique en étant guetteur et serviteur de tous ceux et celles qui font acte de justice dans le monde, quelquefois au prix de leur vie ou en compromettant l’avenir de leur famille ? Jésus a donné ce titre à Jean le Baptiste qui guettait la venue du messie « Jean était la lampe qui brûle et qui éclaire… » (Jn 5,35) Les guetteurs ne seraient-ils pas aussi la lampe mise sur le boisseau qui met en lumière le travail discret de l’Esprit Saint au cœur des nations ?
Dans notre monde brisé, guetter les traces de justice.
Isaïe appelle son peuple à chercher les signe de justice dans un monde qu’il décrit en termes qui peuvent choquer : « Le pays est rempli d’argent et d’or… Qu’avez-vous à fouler aux pieds le visage des pauvres ?… Les filles sont orgueilleuses… Elles vont à pas menus en -faisant sonner les grelots de leurs pieds. » (2,8 et 3,16)
Comment rechercher les traces de justice dans notre monde brisé, comment guetter ceux et celles qui luttent pour bâtir ensemble un monde plus humain, plus à l’image de Dieu ?
Homélie d’un prêtre lors d’un mariage… Essai d’inculturation.
Un internaute nous a fait parvenir l’homélie qu’il a faite lors de la célébration d’un mariage. Ce prêtre a guetté les traces de vérité, de justice, d’amour dans le vie de ces deux jeunes et a cherché avec eux les traces de la présence de l’Esprit dans leur vie.
« En relisant les notes que j’ai prises durant votre préparation, je n’ai pas été étonné que certains de vos désirs et projets d’avenir reflètent le monde d’aujourd’hui. Permettez-moi de citer simplement un des aspects de ces mutations culturelles que vous vivez et qui façonnent notre monde, notre vie d’aujourd’hui.
Marie, tu as dit : « Je ne veux pas me laisser embarquer… Je ne veux pas m’enfermer dans un milieu social… je veux assumer mon propre chemin … Que nos enfants soient libres de penser… J’admire Joseph car il refuse le conformisme… Que notre couple ne s’enferme pas dans un univers… » Si j’ai bien saisi ce que tu as partagé, tu ne veux pas être otage d’une tradition ni prisonnière d’un certain conformisme. Tu as conscience d’avoir beaucoup reçu de ta famille mais en même temps, tu as envie de n’être pas obligée d’être la copie conforme de ce qu’ont vécu les membres de ta famille
Quant à toi, Joseph, tu t’es exprimé en ces termes : « Il est important de ne pas se suffire à soi-même… Je tiens à réaliser en couple ce qui nous tient à cœur mais que chacun puisse faire ce qu’il a envie de réaliser… Cette vie à deux exige de se rendre disponible pour solliciter l’échange… se dire les choses qui ne sont pas toujours faciles à exprimer. » C’est bien pour cela, que vous teniez à vous marier à la mairie car, comme vous l’aviez exprimé : « Le mariage civil nous rend responsables dans la société. » En tous cas, vous voulez tous les deux échapper au conformisme mais cela ne veut pas dire que vous projetez d’enfermer votre vie de couple dans les murs de votre appartement.
En respectant ce que vous avez souhaité pour votre vie, vous avez réfléchi sur votre façon de vous aimer : pour vous, s’aimer ne veut pas dire fusionner au point de n’être plus qu’un, ni qu’il faut renoncer à ce à quoi vous tenez profondément. En ce sens, s’aimer ne veut pas dire faire des concessions mutuelles pour effacer ce qui vous différencie. S’aimer, c’est rester différents et unis. Et vous avez fait l’expérience que vous êtes restés unis quand vous vous respectiez l’un l’autre. Quand l’amour n’est pas possessif, il réalise le miracle d’unir profondément deux êtres différents.
Après avoir partagé votre projet, une seule question s’imposait à vous qui désiriez vivre votre mariage en présence de Dieu : « Que pense Dieu de notre non-conformisme, de notre façon de nous aimer ? A-t-il envie de nous accompagner dans cette façon de vivre notre vie de famille, notre vie en société ? » Pour vous éclairer, vous avez relu chacun de votre côté tout un évangile et vous avez retenu l’extrait qui éclairait divinement votre projet.
Joseph, tu as choisi le repas que Jésus a pris avec des pécheurs, au grand scandale des bien-pensants religieux de son temps. Tu as aimé ce Jésus qui n’est pas prisonnier d’un certain conformisme. Nous nous sommes demandés où Jésus avait puisé une telle audace, au risque de scandaliser et de mettre sa vie en danger. Le secret de la vie de Jésus est qu’il est libre intérieurement. Bien que lucide de ce qui bouillonne dans le cœur des gens, rien ne l’aveugle, rien ne l’amène à trier les gens entre bons et méchants, justes et injustes. Il est libre, alors il peut aimer d’un amour qui décèle la moindre lumière qui brille dans le cœur des hommes.
Jésus éclaire votre désir de ne pas être prisonniers d’un certain conformisme en vous appelant à mettre vos pas dans les siens : soyez libre pour aimer, pour vous laisser accueillir par l’autre car cette liberté vous permet de déceler la lumière qui brille d’une façon particulière en l’autre ou de découvrir la mèche qui fume encore en lui.
Cette liberté intérieure aide à s’aimer tout en se respectant différents. Pour Jésus, c’est la plus lumineuse façon de s’aimer car il est à l’image de son amour pour son Père, de l’amour de son Père pour lui. C’est un amour qui s’exprime par un échange : « Tout ce qui appartient à mon Père est à moi et je lui donne ma vie. ». C’est pour cela que l’on ne trouve nulle part dans l’Evangile Jésus recommandant à ses disciples d’aimer les autres. Jésus a souhaité que nous aimions les autres comme on s’aime soi-même, d’aimer ses ennemis, et il a ajouté : ‘Aimez vous les uns les autres.’ Vous qui vous êtes découvert différents et unis par un amour respectueux de vos différences enrichissantes, vous pouvez vous réjouir que l’amour qui vous unit est à l’image de l’amour de Dieu Père et Fils.
Marie, en choisissant l’évangile des épis arrachés par les apôtres un jour de sabbat, tu nous fais découvrir que Jésus était respectueux des traditions de son peuple mais en les mettant à leur juste place, au grand scandale des responsables de l’ordre religieux de son temps. Jésus réagit en disant que l’homme n’est pas fait pour suivre aveuglement les coutumes religieuses, l’homme n’est pas fait pour gagner son ciel en observant la loi mais, que la loi est un serviteur de la liberté responsable. Saint Paul consacrera toute une lettre aux Galates pour le leur rappeler car les Galates risquaient de penser que la loi est là pour non seulement être obéie mais pour gagner les faveurs de Dieu. Au fond, ce que vous souhaitez pour votre vie de famille et en société n’est que très traditionnel aux yeux de Jésus.
Permettez-moi de terminer en commentant ce que tu as dit lors de la préparation. Je te cite, Marie : « C’est dur de penser que je suis d’abord enfant de Dieu avant d’être celui de mes parents. » Ta réflexion est d’une belle introduction au sacrement de mariage que nous allons célébrer. Dieu n’est pas témoin de votre engagement. Mais Dieu s’unit profondément à vous à tel point qu’Il désire exprimer son amour pour les autres à travers le vôtre. Prenons simplement un exemple : Vous aimerez vos enfants. Comment vont-ils découvrir que Dieu les aime ? A travers votre façon de les aimer. C’est pour cela que votre expression : « Nous ferons tout pour que nos enfants soient libres. » recèle une profondeur insoupçonnée. Elle révèle que c’est la façon dont Dieu nous aime : il fait tout pour que nous soyons libres. N’est-ce pas ainsi que vos parents vous ont aimés et ont fait signe que Dieu vous exprimait son amour par eux. Si vous les interrogez, je suis certain qu’ils vous diront qu’aimer en servant la liberté de l’être aimé est source de joie mais aussi de déchirement.
Marie, quand tu diras dans un instant à Joseph ‘Oui, je t’aime’, c’est aussi Dieu qui exprimera son amour à Joseph par ton cœur. Joseph, ton amour est la demeure de Dieu en toi. Aussi, en ce jour, Dieu vous fait le plus beau cadeau de mariage en donnant à votre amour une dimension divine : votre amour a la capacité d’être universel et éternel, à l’image de l’amour de Dieu. »
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
Renouveler l’évangélisationTextes papales appelant à renouveler l’évangélisation |
Bousculée par les mutations culturelles et religieuses actuelles, l’Eglise a-t-elle encore sa place pour servir une humanité qui aspire à un monde plus humain, plus juste ? Sa Parole sur Dieu qui sauve le monde es-il encore crédible ? Pour nous éclairer, nous avons rencontré un responsable de la communication et qui suit, à ce titre, les publications du Vatican.
- Benoît XVI veut « promouvoir une évangélisation renouvelée dans les pays où a déjà résonné la première annonce de la foi et où sont présentes des Églises d’antique fondation mais qui vivent une sécularisation progressive de la société et une sorte d’éclipse du sens de Dieu. »(Juillet 2010) Il appelle à une ‘évangélisation renouvelée’ alors que Jean Paul II parlait de ‘ Nouvelle évangélisation’ !
- L’expression a évolué. Dans son encyclique ‘Pour annoncer l’Évangile’, en 1974, Paul VI a utilisé l’expression : ‘Des temps nouveaux pour l’évangélisation’. Il voulait préciser par là que « les conditions de la société nous obligent à réviser les méthodes, à chercher par tous les moyens à étudier comment faire arriver à l’homme moderne le message chrétien. » Jean-Paul II a employé l’expression « nouvelle évangélisation » dans son appel de Compostelle, en novembre 1982 : il souhaitait que l’Europe retrouve ses racines chrétiennes. Un peu dans la même veine, on peut se rappeler les paroles de Jean-Paul II qui en 1986, conjurait la France de se souvenir de son baptême. En 2003, dans l’exhortation Ecclesia in Europa, il s’adressait, non pas à l’Europe mais aux Églises européennes, en ces termes : « Église en Europe, la nouvelle évangélisation est le devoir qui t’attend. » Quant à Benoît XVI, il emploie le terme : ‘Évangélisation renouvelée’.
Comment comprendre ces différentes approches ?
- Pour éclairer votre question, faisons mémoire de l’histoire. Il est certain qu’un certain modèle de chrétienté qui a imprégné toute l’Europe pendant plus de mille ans est mort. C’est une époque où on était chrétien parce que la société l’était. Depuis la Renaissance, l’émergence de la liberté de conscience, puis de la laïcité et de la sécularisation ont changé la situation : appartenir à une société européenne n’implique plus d’appartenir à l’Église, on devient chrétien par choix. Ces dernières décennies, l’individualisme et le subjectivisme « postmodernes » ont accentué la chose, et provoqué en tout domaine une rupture de transmission brutale : beaucoup de parents en font l’expérience avec leurs enfants. En même temps, d’autres religions sont apparues de façon significative. La pratique religieuse traditionnelle, autour des paroisses, s’est effondrée, et cette structure ecclésiale s’étiole. Les diverses expressions des papes jalonnent la prise de conscience de ces nouveaux phénomènes et la recherche de réponses pertinentes.
- Si j’ai bien compris, quels que soient les termes employés, l’Église est appelée à une révolution pastorale ?
- Il est certain que Benoît XVI souhaite que les communautés chrétiennes soient plus volontaristes pour annoncer la Bonne Nouvelle, et plus identitaire c’est-à-dire qu’elles donnent au catholicisme une visibilité qui soit le reflet de son originalité.
- Aujourd’hui, comment renouveler la façon de faire connaître Jésus, sa présence et son message ? Faut-il, par exemple, proclamer la fin de la période durant laquelle l’Église qui est en France s’est enfouie dans le monde ?
- Cette période dite d’enfouissement l’a-t-elle été ? Prenons la démarche des prêtres ouvriers. Ils ont voulu ‘s’enfouir’ dans le peuple ouvrier pour signifier que Jésus et l’Église portent avec ce peuple le poids du jour, et que leur enfouissement proclame la présence libératrice du Dieu de l’Évangile. Leur expérience a fait couler beaucoup d’encre, a suscité de nombreux reportages… . Leur enfouissement parlait et parle encore à un peuple dont l’Église s’est éloignée. L’évangélisation renouvelée devrait s’inspirer de l’esprit de leur aventure. Il ne s’agissait pas pour eux de trouver de nouvelles méthodes ou recettes pastorales, mais d’engager tout leur être dans l’histoire, les combats, l’espérance de ce peuple. Il s’agissait de rendre vivant, au milieu du 20ème siècle, le mystère de l’Incarnation : l’aventure du Fils de Dieu qui avait risqué sa vie en faisant corps avec l’histoire de son peuple, tout en étant lui-même, et non pas d’abord par une proclamation.
- Alors, que faut-il faire aujourd’hui pour renouveler l’évangélisation ?
- Que notre territoire soit marqué par une longue présence d’Église, c’est un fait. Pensons à la présence d’églises romanes, gothiques et autres dans le paysage français. Pensons à cette extraordinaire création artistique de toutes disciplines inspirée essentiellement par la Bible. Mais il ne s’agit pas de regretter qu’en se libérant de la tutelle de l’Église catholique, le peuple se soit approprié les graines semées, de fait, dans notre culture par l’annonce de l’Évangile. La Liberté, l’Égalité, la Fraternité sont des valeurs qui ne sont pas étrangères aux graines semées par les disciples de Jésus. Ces valeurs, inscrites dans le cœur de tout homme et largement éveillées par l’Évangile, ont été redéployées par des politiques, des intellectuels, des chercheurs et ce, en dehors de l’Église voire contre elle. Peut-être ces valeurs se sont-elles universalisées justement parce qu’elles étaient libres de toute influence des institutions religieuses…
- Quelle peut être la mission de l’Église dans un tel contexte ?
- Ce contexte pose une terrible exigence aux communautés chrétiennes. Elles n’ont pas d’abord à se crisper sur la défense de valeurs malmenées par la culture actuelle, mais plutôt à rendre perceptible - à « annoncer » - par leur vie, leurs gestes, leur présence, leurs choix, leur parole, le mystère qui habite l’homme et le travaille secrètement : le mystère de l’Esprit. Chez nous, il y a tellement d’idées préconçues sur l’Église, son moralisme, son dogmatisme, son hypocrisie… Pour les disciples de Jésus, une des exigences les plus difficiles à vivre est que leur vie dans le monde, solidaire des attentes de l’humanité, éveille une question dans leur entourage, leur cité, leur milieu. Comme l’écrit Pierre dans sa première lettre : « Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. » (1 Pierre 3,15)
- On intitule aujourd’hui cette façon de vivre l’évangile ‘ inculturation’ Si je vous comprends, l’inculturation n’est pas une nouvelle méthode mais une nouvelle vision de l’humanité et une nouvelle conception de la mission de l’Église.
- Oui et non ! Ce qui est nouveau, c’est moins l’inculturation elle-même que la conscience que nous en avons. L’inculturation est l’incarnation de l’Évangile dans les diverses cultures humaines et en même temps, c’est très important, l’introduction des cultures dans la vie de l’Église. Allons plus loin : l’inculturation est une incarnation de l’Évangile et de la vie chrétienne dans un contexte culturel particulier telle qu’elle provoque une création nouvelle.
-Pourquoi pensez-vous qu’inculturation est une participation de l’Eglise à l’humanisation de la société ?
- Parce que la présence du Dieu de Jésus-Christ à l’histoire des hommes est une présence qui transforme et humanise. Les disciples de Jésus et les communautés chrétiennes ont pour mission d’être un signe parlant et fécond de cette présence aimante de Dieu dans le monde. En vivant avec Jésus, les disciples sont amenés à acquérir certaines sensibilités et à faire des choix, par exemple dans le sens d’un respect de la vie sous toutes ses formes, d’une affirmation de la dignité de chaque personne et des droits de l’homme, d’une solidarité universelle, d’une recherche de vérité transcendantale. Mais il ne s’agit pas d’une recherche d’efficacité démonstrative. C’est après coup que la fécondité de ces sensibilités et de ces choix se révèle, en même temps que certaines ambiguïtés méconnues sur le moment : l’histoire culturelle de l’Europe le manifeste bien.
- Ce que vous dites est-il vivable sans provoquer une certaine rupture avec les hommes et les femmes de son entourage ?
- Là encore, oui et non ! Il n’est pas demandé aux disciples de Jésus d’être des hommes et des femmes situés au-dessus des autres et avec une vie sans tache. Vivre en disciples de Jésus dans le monde d’aujourd’hui demande d’aller à la rencontre de ceux et celles qui, dans la vie, se battent pour la dignité des autres et leur propre dignité. L’Esprit leur donne les yeux de Jésus qui savaient découvrir chez un homme comme l’officier romain une foi qu’il n’avait jamais rencontrée dans son propre peuple. Effectivement, cela peut provoquer des ruptures… En un mot, il s’agit d’enfanter une terre nouvelle avec l’humanité d’aujourd’hui, bousculée par le souffle de l’Esprit. L’Apocalypse rappelle aux Églises qu’il s’agit d’un enfantement fragile : « En arrêt devant la femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né. » (Ap 12-4)
- Cet enfantement va-t-il redonner toute sa place à l’Église dans ce monde ? Va-t-il susciter des vocations sacerdotales et religieuses ?
- Je ne ferai qu’une brève remarque. Nous ne sommes pas maîtres de l’avenir. « Seul le Père connaît l’heure », dit Jésus à ses amis impatients (Marc 13,32). Nous sommes simplement appelés à vivre le présent pleinement, sans fermer les yeux sur ce qui est difficile. Souvent, l’homme rêve d’avenir pour ne pas avoir à regarder le présent en face et en vérité. Travaillons à enfanter aujourd’hui avec l’humanité un monde de ‘justice’, remettons l’avenir entre les mains de Dieu, que la liturgie reflète et célèbre ce que l’Esprit-Saint réalise avec l’humanité.
Pour approfondir ce thème :
Les nouveaux défis de l’inculturation d’Achiel Peelman aux éditions Lumen vitae 2007. L’auteur est professeur de théologie à l’université Saint-Paul d’Ottawa.
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
L’inculturation, une aventure exigeante
|
L’Europe occidentale prend ses distances par rapport à son héritage chrétien. Les mœurs changent, l’individualisme émiette la société, l’agnosticisme et l’indifférence religieuse galopent, les biotechnologies ouvrent des possibles inédits et l’on ne sait guère où placer des limites, les recherches spirituelles s’affranchissent des grandes institutions religieuses…
Ces bouleversements culturels exigent des disciples de Jésus d’« inculturer » leur foi dans ce monde en pleine mutation. Nous avons sollicité le P. Jacques Teissier pour qu’il nous précise les exigences de cette démarche en s’éclairant des textes du concile Vatican II.
Le Concile, qui s’est voulu une ecclésiologie en acte plutôt qu’une ecclésiologie en théorie, a consacré la prise de conscience et la nécessité de ce que nous appelons « l’inculturation » de la foi chrétienne. A vrai dire, il n’inventait rien ! Depuis ses origines, l’Église a toujours pratiqué « l’inculturation » comme M. Jourdain faisait de la prose.
Être Juif, c’est appartenir en même temps à un peuple et à une religion. Être disciple de Jésus, c’est tout simplement croire en lui : tout homme, de quelque peuple ou culture qu’il soit, peut avoir confiance en Jésus-Christ sans nul besoin de changer de peuple ni de culture, sans nul besoin de devenir, en quelque sorte, un autre homme… quitte à découvrir peu à peu combien certaines de ses évidences ou certaines de ses pratiques culturelles se trouvent bousculées par la surprenante qualité humaine et spirituelle de Jésus.
Le passage ne s’est pas fait sans douleur pour Jésus lui-même, qui a scandalisé en relativisant la place de la Loi juive et du Temple de Jérusalem. Il ne s’est pas fait sans douleur pour ses disciples ; les tensions entre Paul et Pierre en témoignent (cf. Galates 2,11-20). Sans doute ne peut-il pas davantage se faire sans douleur aujourd’hui encore. Il s’agit d’un véritable processus créateur, vécu au prix d’un discernement continuel, et non d’une simple transposition de ce que l’on vit et sait déjà… vécu dans une sorte de va-et-vient entre telle culture-religion et l’Église qui l’habite, de telle sorte que chacune s’en trouve façonnée, parfois très profondément.
Les exemples seraient innombrables :
-
Au XVIe siècle, avec l’émergence de la modernité, la liberté de conscience jointe à l’invention de la technique de l’imprimerie, a déclenché la libération des Écritures, remises à la disposition du peuple chrétien. Cette initiative des Réformés ne s’est pas développée sans violences indignes des disciples de Jésus ; elle est maintenant devenue le bien de toutes les Églises chrétiennes.
-
Des découvertes scientifiques telles que celles de Galilée ou de Darwin ont transformé notre vision du monde. Elles nous ont conduits à affiner considérablement, et par là à enrichir, notre lecture de la Bible : celle-ci ne nous enseigne pas de vérités scientifiques que nous pouvons découvrir par notre intelligence, mais qui nous sommes pour Dieu et qui il nous invite à être pour lui. Il a fallu plusieurs siècles de débats pour que la chose devienne évidente.
-
Durant la seconde moitié du 20ème siècle, le Christianisme a cessé d’être une religion occidentale. Voilà qui a questionné la suffisance culturelle et spirituelle de l’Occident, et exigé un nouveau processus d’inculturation, une interprétation renouvelée du message chrétien.
-
Les bouleversement culturels naissants de la deuxième moitié du XXe siècle appelaient des accentuations nouvelles : le Concile ne les a pas esquivées.
Les bouleversements culturels de notre époque demandent aux disciples de Jésus de vivre leur lien avec Lui sans renier leur culture telle qu’elle est, avec ses richesses, ses tâtonnements et ses ombres.
Au Concile, l’Église se reconnaît vraiment immergée dans l’histoire des hommes : « Jusqu’à ce que viennent les cieux nouveaux et la terre nouvelle, où la justice habitera (cf. 2 Pierre 3,13), l’Église pérégrinante, dans ses sacrements et ses institutions qui appartiennent à ce monde, porte la figure de ce siècle qui passe, elle vit parmi les créatures qui gémissent et sont encore maintenant en travail d’enfantement et attendent la révélation des fils de Dieu (cf. Romains 8,22 et 19). » (Lumen Gentium § 48)
C’est dire que l’Église ne surplombe pas l’histoire hommes, mais qu’elle se reconnaît pleinement immergée dans cette histoire telle qu’elle est, qu’elle cherche à l’accompagner à la lumière de l’Évangile de Jésus et qu’elle peut en recevoir quelque chose.
Quelle que soit leur culture, les disciples de Jésus-Christ inculturent leur foi en Lui en s’enrichissant de l’expérience d’autres disciples baignant dans d’autres cultures.
Au Concile, l’Église se reconnaît constitutivement diverse : « L'Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n'est liée d'une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à la fois consciente de l'universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses civilisations : d'où l'enrichissement qui en résulte pour elle-même et pour les différentes cultures. » (L’Église dans le monde de ce temps §58)
C’est dire que les chrétiens n’ont pas une double culture, qu’il n’y a pas de culture chrétienne universelle ni de modèle unique de la foi chrétienne… tout comme il y a quatre évangiles, et non un seul, pour tracer la figure de Jésus. C’est dire que l’Église ne sait pas tout d’avance de sa propre foi, comme si elle n’avait plus rien à apprendre du Mystère dont elle vit. C’est dire que la mission est la rencontre féconde entre des évangélistes - dont la foi n’est pas détachée de toute culture ! -, avec des hommes qui partagent ou non la culture de ces évangélistes.
Les chrétiens ne peuvent inculturer leur foi que s’ils agissent en toute liberté.
Au Concile, l’Église reconnaît – enfin ! serait-on tenté de dire – la saveur évangélique de la liberté de conscience revendiquée par le monde moderne : « La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l'objet d'une conscience toujours plus vive ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l'homme la possibilité d'agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d'une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir. (…) Le concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse (…) de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d'autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine. » (Dignitatis Humanae §1 et 2) « Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons pleinement libres… Vous avez été appelés à la liberté… » (Galates 5,1 et 13), insistait déjà l’apôtre Paul.
C’est dire que les chrétiens ne sont pas de simples exécutants d’ordres venus d’en-haut, mais qu’ils sont invités à mettre en œuvre leur liberté dans le « travail » d’inculturation auquel ils sont appelés.
Avec les Juifs, les chrétiens sont invités à découvrir par expérience que Dieu ne parle pas ‘en cachette’ : « Je te conduis par le chemin où tu marches ». (Isaïe 48, 17)
Au Concile, l’Église reconnaît que Dieu ne nous parle pas comme de l’extérieur, mais qu’il est à l’œuvre dans l’histoire des hommes et parle à chacun en ami : « Nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal » (L’Église dans le monde de ce temps §22). Jean Paul II prolongera audacieusement ces intuitions. Dans son encyclique Redemptor hominis (§6), de 1979, il reconnaîtra que ceux et celles qui suivent d’autres voies religieuses que celle du Christ sont animés par l’Esprit de vérité qui travaille en dehors des frontières visibles du Corps mystique du Christ. Dans Redemptoris missio (§28), de 1990, il précisera un point important : l’Esprit se trouve à l’origine de toute quête religieuse authentique, son action ne concerne pas seulement les individus mais aussi la société, l’histoire, les peuples, les cultures, les religions.
C’est dire que la forme sous laquelle la mission de l’Église s’exprime le mieux est celle du dialogue, selon l’intuition de Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam, du 6 août 1964, en plein Concile.
Les chrétiens qui cherchent à inculturer leur foi dans la vie de tous les jours n’oublieront jamais que leur démarche est inséparable de leur action pour la justice et de leur solidarité avec les pauvres.
Au Concile, en fidélité au ministère même de Jésus, l’Église prend garde à ne pas se laisser enfermer dans la prière ou dans ce qu’on appelle le sacré : « Fondée dans l'amour du Rédempteur, l'Église contribue à étendre le règne de la justice et de la charité à l'intérieur de chaque nation et entre les nations. » « Considérant l'immense misère qui accable, aujourd'hui encore, la majeure partie du genre humain, (…) le Concile estime très souhaitable la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations » (L’Église dans le monde de ce temps §76 et 90).
C’est dire que la mission est inséparable de l’action pour la justice, et de la solidarité avec les pauvres quels qu’ils soient.
Les disciples de Jésus inculturent leur foi grâce à leur insertion dans leur Église locale, particulière.
D’une part, l’inculturation est un travail de terrain, elle ne se décrète pas d’en-haut. D’autre part, elle donne des colorations originales à la vie, à l’expression, à l’action des communautés chrétiennes ; par exemple, il y a les mentalités propres à chaque peuple, mais il y a aussi, en Amérique latine, la situation d’exploitation économique, l’insécurité, la soif de libération… en Afrique, la question du développement et de la paix… en Asie, un univers spirituel très original et un nécessaire dialogue entre les religions… en Europe, une laïcité rigoureuse, accompagnée d’une soif spirituelle qui s’exprime hors des institutions religieuses…
C’est sans doute l’une des raisons importantes qui ont conduit le Concile à remettre en valeur la consistance propre des Églises locales, ou particulières : elles sont certes en communion avec « l’Église universelle », mais elles sont pleinement « Église », chacune avec ses charismes, et non de simples succursales de l’Église romaine. Comment concilier la diversité des Églises particulières inculturées et l’unité de l’Église ? C’est évidemment une question aussi importante que délicate, sans cesse en chantier. Mais le Dieu de Jésus-Christ ne nous donne-t-il pas l’exemple et le fondement d’une unité dans la différence ? Et c’est bien dans ce sens que l’Esprit de Pentecôte manifeste son universalité (cf. Actes des apôtres 2, 4-11).
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
|
Marie-Madeleine : En tant que pasteur au service d’un peuple, vous avez vécu la remise en cause de l’Église catholique au concile Vatican II, puis en mai 68, la secousse du monde à Prague, au Mexique, à Paris…. Croyez-vous vraiment que le livre de l’Apocalypse puisse aider les disciples de Jésus à traverser la crise que traversent et la société et les Églises ?
- Après avoir été ébloui par la vision du ‘Fils de l’homme’ entouré des Eglises, le livre de l’Apocalypse dénonce certaines mauvaises habitudes qu’ont prises ces Eglises vieillissantes. Puis il met en scène des visions ouvertes sur un avenir qui peuvent être reçues comme une invitation pressante faite aux communautés chrétiennes ancrées dans un monde tragique d’être lucides et de créer le présent qui fasse déjà goûter un avenir qui ressemblerait à une noce entre Dieu et l’humanité.
M. M. : L’image que l’on retient de l’Apocalypse ressemble plus à des scènes d’une violence extrême plutôt qu’à une fête de noces !
- Beaucoup dans l’Eglise ont laissé de côté le message de l’Apocalypse à cause de scènes de violence et de jugement qui risquaient d’effacer le message d’amour et de joie de l’Evangile. Les disciples de Jésus ont mis en avant sa résurrection avec la joie et l’espérance qu’elle procure. Cette priorité donnée à la résurrection de Jésus risquait de mettre au second plan l’horreur de Jésus en croix, véritable scandale. Rappelons-nous qu’il a fallu 400 ans pour que les artistes osent représenter Jésus en croix ; et encore, il était revêtu d’un vêtement de résurrection. La résurrection retirée de son contexte dramatique risque d’être reçue comme un rêve, comme une utopie et non comme une réalité qui éclaire l’histoire de l’humanité. C’est pourquoi l’auteur de l’Apocalypse rappelle que la vie de l’humanité reste dramatique, en dépit de la victoire du ressuscité sur le Mal et la Mort. A travers la violence des scènes, l’auteur de ce livre inspiré par l’Esprit-Saint, appelle les communautés chrétiennes à regarder avec lucidité ce que vivent les hommes et femmes. Avant de communier, la liturgie ne met-elle pas cette prière dans la bouche du célébrant : « Par ta mort, tu as donné la vie. » ? Ce n’est pas par ses miracles ni par sa force que Jésus donne vie au monde mais bien par sa mort sur la croix. Les disciples de Jésus sont provoqués à regarder en face la mort aux multiples visages. Elle peut être source de vie nouvelle si le croyant sait déceler une lumière qui brille dans les ténèbres.
M. M. : Il faut avoir traversé des épreuves pour oser parler de lumière au cœur des ténèbres ! La religion chrétienne ne risque-t-elle pas de favoriser le dolorisme, et même la peur, au détriment d’une annonce de la joie et de l’espérance de la résurrection ?
- C’est un risque ! En Espagne, en Amérique du Sud, la religion populaire a donné naissance et s’est nourrie d’œuvres qui représentent Jésus martyrisé, blessé par des plaies ouvertes ; mais n’oublions pas que ces peuples marqués par leur histoire dramatique ont aussi le sens de la fête collective. Leur culture populaire leur a permis et de ne pas perdre la mémoire de leur histoire et de savoir manifester la joie de vivre qui est en eux.
- Quelle attitude doivent avoir les disciples de Jésus quand ils sont confrontés au scandale des injustices ?
- L’auteur de l’Apocalypse voit des anges sonner six fois de la trompette et crier : « Malheur ! Malheur ! » Ces cris ont pour vocation de réveiller l’humanité qui vit avec insouciance alors que la mort aux mille visages fait des ravages. Mais rien n’y fait. Et l’auteur conclut : « On a beau crier ‘Malheur !’, aucun homme ne s’est converti. » Cette scène dit clairement que ce n’est en s’enfermant dans une tour pour mieux veiller à la vie de la société que les disciples de Jésus participeront à l’humanisation du monde, à l’annonce de la présence de l’Esprit-Saint travaillant le cœur de tout homme.
M. M. : Ces visions remettent en cause bien des réflexes que nous risquons d’avoir devant des drames. Au lieu de regarder les ténèbres pour les condamner, à quoi les disciples de Jésus sont-ils alors appelés ?
- La suite du récit de l’Apocalypse est très éclairante. Après celle des anges qui crient ‘Malheur !’ en pure perte, l’auteur de l’Apocalypse a une vision étonnante. Il voit un ange lui présenter un petit livre et l’inviter à le manger. Cette scène rappelle la vision qu’avait eue le prophète Ézéchiel (2,8-3,3). Sur le petit rouleau qui lui était présenté et qu’il était invité à manger, étaient écrits les cris des hommes. Ézéchiel doit faire siens les cris non pas seulement de son peuple mais des hommes. L’auteur de l’Apocalypse, lui, ne précise pas ce qui est écrit sur le livre. Des exégètes pensent qu’il s’agit de l’Évangile, de Jésus faisant portant dans sa chair le cri de tous les hommes. En tout cas, au lieu de crier ‘Malheur !’ Jean, en prenant le petit livre, est invité à manger, c’est-à-dire à être solidaire à la suite de Jésus, des hommes qui crient leur soif de justice, de vérité, de dignité.
M. M. : Ce que vous me dites me paraît très éloigné de la façon dont un certain nombre de membres de l’Eglise parlent du monde actuel. Est-ce grave ?
Oui, c’est grave car cela risque de creuser un fossé entre les chrétiens et ‘les hommes et femmes de bonne volonté’. Je m’explique. Un prophète, héritier spirituel d’Isaïe et qui vivait dans un monde de violence et en crise, invitait ses contemporains à déceler les traces de justice dans le monde et à mettre leur pas dans les pas de ceux qui travaillent et même qui risquent leur vie pour que la justice des hommes, reflet de celle de Dieu règne sur terre. Cette invitation éclaire une autre vision, inoubliable, de l’auteur de l’Apocalypse. Il voit une femme dans les douleurs de l’enfantement et un dragon prêt à dévorer l’enfant qui va naître. Les exégètes se sont interrogés pour préciser qui l’auteur désignait par cette femme. Il ne s'agit sûrement pas de Marie car à l'époque où fut écrite cette scène, les communautés chrétiennes ne donnaient pas à Marie la place qu'elle a actuellement. L'auteur parlerait-t-il de l'Eglise en mettant en scène cette femme? Les disciples d'Isaïe nous donnent une autre lecture en invitant les croyants à servir la justice que les hommes dans le monde cherchent à faire vivre.
Cette femme serait donc l’humanité avec en son sein les communautés de croyants.
M. M. : On pourrait prolonger ce que vous dites en évoquant ce que pourrait être l’apport des femmes dans la vie de l’Église. Elles connaissent l’attente des neuf mois pour mettre au monde la vie d’un enfant. Elles savent qu’il ne suffit pas d’une décision, aussi juste soit elle, pour que la vie apparaisse… ce que les hommes ont tendance à croire. Quand l’enfant est mis au monde, leur premier geste est de couper le cordon, de commencer à habituer l’enfant à devenir autonome. Leur autre geste est, bien sûr, de prendre leur enfant dans les bras mais aussi de le donner à son père, de reconnaître qu’elles ne sont pas propriétaires de la vie de cet enfant. Ne croyez-vous pas que notre Église a grand besoin de s’enrichir de la façon dont les femmes savent donner la vie et comment un couple peut servir l’autonomie de son enfant ?
- C’est étonnant, ce que vous soulignez car le livre de l’Apocalypse se termine par le récit d’une fête de noces. Dieu, en Jésus, s’allie à l’humanité pour enfanter la vie sur terre, une vie éternelle qui prend sa source dans la communion à la mort et la résurrection de Jésus. Le cadeau qui descend du ciel en l’honneur de ces noces est une ville, une ville ouverte à tous les horizons, une ville sans temple car toute la ville est ’la demeure de Dieu’ : tout ce que les hommes ont réalisé les uns pour les autres, pour que la vie sur terre devienne plus humaine, plus respectueuse de chacun, et ce, au cours d’une histoire souvent dramatique sera transfiguré et deviendra demeure de Dieu. Et cette aventure de l’humanité avec Dieu n’est possible que si chaque être humain à appris à être libre pour exprimer de bien des façons son amour et a été respecté par ses semblables, la société et les institutions religieuses.
M. M. : Ce que je retiens du livre de l'Apocalypse ce ne sont plus des images de violence et sa dénonciation. Ce livre me fait penser à ce que vivent nombre de mes amis et dont on ne parle jamais : dans leur vie de famille, leur vie amicale, leur milieu professionnel, leur participation à des associations, ils sont, avec d'autres, attentifs aux cris des hommes. Ils rejoignent ceux qui réfléchissent à ces situations de souffrance et d'injustice, cherchent à s'y situer et y répondre en respectant la dignité et la capacité d'innover de tous. Nous ne sommes pas tout puissants, souvent nous nous sentons tout à fait démunis, mais être présent, avec, en communion, c'est déjà énorme et n'est-ce pas une manière de manger le livre, le faire sien ? Je sais qu'ils reprennent des forces dans leur partage avec d'autres en équipe, leur confiance en Jésus et dans la prière. Eclairé par ce livre de l'Apocalypse, je me réjouis qu'ils participent à l'enfantement de la demeure de Dieu sur terre avec ceux et celles q'ils côtoient tous les jours et, qu'avec eux, ils préparent ce grand jour de noces annoncé par l'auteur de l'Apocalypse.
- Ce que vous me partager me touche car vous venez d’exprimer en termes justes comment des chrétiens inculturent aujourd’hui la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|
|
- Marie-Madeleine : En tant que pasteur au service d’un peuple, vous avez vécu la remise en cause de l’Église catholique au concile Vatican II, puis la secousse du monde à Prague, au Mexique, à Paris en mai 68…. Ces événements ont eu des répercussions imprévisibles sur la société comme sur les Églises. Nous traversons actuellement une crise de société dans laquelle nous voyons émerger confusément un nouveau sens de l’homme et de ses responsabilités dans l’histoire de l’humanité. Votre regard sur la crise que subit aussi l’Église est peut-être différent du mien, laïque portant aussi des responsabilités apostoliques. Pouvez-vous nous partager votre point de vue ?
- Je ne peux vous répondre à cette question qu’en pensant aux nombreux prêtres, religieux (ses) et laïcs avec qui j’ai vécu et vis ces événements. C’est en pensant à eux qu’il m’a paru intéressant d’interroger la Bible, ce livre ‘inspiré’ si souvent témoin d’un peuple en quête d’avenir et en quête de Dieu à travers des tempêtes. Dans la Bible, il y a un livre étrange, écrit alors que les Églises fondées par les apôtres traversaient une crise et que le tout-puissant Empire romain imposait sa main de fer à tous les peuples sans admettre la moindre contestation de son autorité : l’Apocalypse. Ce livre est interprété de bien des manières. Tout en m’appuyant sur de nombreuses études de spécialistes, je vais essayer de le laisser résonner dans notre contexte actuel, qui ressemble étrangement à celui dans lequel a été écrit ce dernier livre de la Bible chrétienne.
- Ne risquez-vous pas de récupérer le texte pour nous dire ce que nous devons penser ou comment être religieusement corrects ? Allergique aux dogmatismes, notre temps peut accepter de recevoir des éclairages et des questions, mais à condition de se sentir libre…
- Nous allons lire l’Apocalypse dans l’ordre où son auteur - sinon Jean, du moins un ou plusieurs de ses disciples – l’a écrit à la fin du 1er siècle, soit quelque 65 ans après la mort de Jésus et la naissance de l’Église. L’auteur écrit qu’il a eu plusieurs visions. Sa première vision est étonnante : il voit 7 chandeliers en or et, au milieu d’eux, un homme de toute beauté. Il ne nomme pas ce personnage, mais on devine qu’il s’agit de Jésus-Christ. Quand je relis mon histoire avec Jésus-Christ, ou plutôt l’histoire de Jésus avec moi, quand je pense aux nombreux partages avec des équipes de laïcs, avec des religieuses, avec des familles lors d’un baptême ou d’un enterrement, avec des jeunes préparant leur mariage… combien de fois avons-nous fait ensemble l’expérience du silence de Dieu, celle de ne pas savoir le nommer, ou même d’hésiter sur son existence… Cette première vision nous place aussi devant une expérience fondatrice de la foi chrétienne : c’est dans ce ‘visible’ que nous pouvons deviner ‘l’invisible’, sans forcément lui mettre tout de suite un nom. Autrement dit, pour chercher Dieu, ou laisser Dieu manifester sa présence, il nous faut regarder l’homme et chercher sa lumière intérieure, dans ses souffrances autant que dans ses joies et ses attentes. Ou, si l’on veut, car les deux choses vont de pair, il nous faut tourner notre regard vers Jésus, vraiment homme, comme l’ont fait les premiers disciples, et nous poser avec eux cette question : « Qui donc est celui-ci ? » (Mc. 4-41).
M.M. : Je trouve cette remarque très importante car nous faisons souvent cette expérience et nous pensons que cette interrogation naît en nous par un manque de foi. Il me semble très important pour nous, laïcs, de redécouvrir l’Évangile aujourd’hui en écartant le dogmatisme scolastique, ou le jargon religieux à la mode, afin de parler le langage de notre temps en prenant en compte ses richesses mais aussi ses doutes et ses interrogations…J'aime beaucoup que l’Apocalypse mette l’accent sur le caractère central de la figure du Christ, sur l'importance de méditer l'évangile en lien avec tous ceux que nous rencontrons, visages eux-mêmes de Jésus-Christ. Nous faisons en équipe l’expérience que nous ne pouvons redécouvrir l’Évangile que liés à d’autres, dépendants de la parole nourrissante et dérangeante des uns et des autres. Pourquoi pensez-vous que la méditation partagée avec d'autres est une voie privilégiée de rencontre de Jésus. ? Cela ne va pas de soi.
- L’Eglise primitive ne nous a pas légué un Evangile mais quatre. Il a fallu quatre disciples de Jésus insérés dans des communautés chrétiennes implantées dans des cultures différentes pour connaître non pas seulement la vie de Jésus mais découvrir ce qui l’a animé profondément. Isolé, coupé du monde, je ne peux pas accueillir le mystère de Dieu avec nous ni répondre à l’appel de Jésus de le suivre en accueillant en nous l’Esprit-Saint qui ‘renouvelle toutes choses.’ Laissons-nous laisser éclairer par le livre de l’Apocalypse. Ce dernier livre de la Bible n’est pas une profession de foi rédigée par d’éminents théologiens et approuvée par le Pape. Il ressemble plutôt à une parabole : il peut être interprété de différentes façons. Il fait appel à la liberté, éclairée ou non, de celui qui accueille ce texte. En ce sens, c’est un livre dangereux. Dans la Bible, cette façon, très ouverte, de présenter la Parole de Dieu n’est pas nouvelle. Dans le récit des 10 commandements (cf. Exode 20) donnés par Moïse à son peuple pour sceller l’alliance de Dieu, les deux premiers commandements sont positifs : « Tu aimeras Dieu et ton prochain comme toi-même. » Mais tous les autres sont négatifs : tu ne tueras pas, tu ne voleras pas…. Or ce peuple traverse le désert pour envahir une terre déjà occupée par un autre peuple : comment envahir et occuper une terre, dite ‘promise’ sans tuer ni voler… ? Il faudra que ce peuple apprenne tant bien que mal à contenir sa violence et à inventer des gestes de paix pour ne pas léser ni révolter ceux qui cultivent cette terre d’abondance « où coulent le lait et le miel. » Nous sommes appelés à accueillir en nous la Parole de Dieu mais aussi être inventif.
M , M. : - Si je vous comprends bien, le genre littéraire de l’Apocalypse nous rappelle que, pour vivre en Église aujourd’hui, il nous est demandé d’accueillir la Parole de Dieu en Église et d’être en même temps créateurs, inventifs, audacieux. Croyez-vous que l’Église catholique nous invite aujourd’hui à être libres et à créer dans l’esprit des Béatitudes ?
- Aujourd’hui, en France, l’Église est confrontée à de graves problèmes : manque de vocations sacerdotales, prêtres en majorité âgés qui n’ont plus le temps d’être présents à la vie des gens, faillite de la Catéchèse, absence des jeunes à la vie de l’Église… Certes, on doit souligner des dynamismes non négligeables tels que la présence de prêtres venant d’ailleurs, des diacres dans les services de proximité et de pauvreté, la responsabilité de plus en plus grande des femmes dans la vie de l’Église ou le nombre des catéchumènes… Il n’en reste pas moins que beaucoup de chrétiens que je connais ont l’impression d’assister à la disparition de l’Église en Europe.
- Dans mon diocèse, on a fait des plans d’action annuels pour nous préparer à l’avenir. Mais qui sait ce que nous réserve l’avenir ?
- Ne lit-on pas dans la Bible que l’on sacrifiait le premier né du troupeau à Dieu pour reconnaître que l’avenir Lui appartient ? La meilleure préparation de l’avenir n’est-elle pas de se donner totalement au présent ? Jésus lui-même n’a-t-il pas tout remis dans les mains de son Père alors qu’il allait mourir ? Mais revenons au livre de l’Apocalypse. Après la vision inaugurale de l’Apocalypse, l’Esprit-Saint demande à l’auteur d’écrire aux sept Eglises. J’insiste sur le fait qu’il s’agit de lettres différentes, personnalisées, et non d’une même lettre pour toutes les Églises. Elles sont adressées à l’Église qui est à Éphèse, Smyrne etc. Ce sont des Églises qui vivent au cœur d’une cité et dont la vie est liée à cette cité. La lettre adressée à l’Église qui est à Sardes décrit cette Église de la même couleur blanche que les teinturiers de la ville savent créer. La lettre adressée à l’Église qui est à Pergame décrit comment cette Église a osé refuser l’adoration à la statue de César qui trône au cœur de la cité. La cité déteint sur la vie de l’Église et la communauté chrétienne sait contester l’adoration des faux pouvoirs, non tant en dénonçant cette pratique qu’en ne s’y pliant pas. Ces lettres ne disent pas aux Églises ce qu’elles vont vivre dans 10 ou 20 ans ; elles décrivent brièvement, sans se voiler les yeux, ce que vivent ces Églises : leurs richesses aux yeux de Dieu, les pièges dans lesquels elles sont tombées, leurs illusions sur ce qu’elles croient être leur charisme. Je prendrais simplement deux exemples : à l’Église d’Éphèse, l’Esprit-Saint écrit qu’elle se croit riche d’amour alors qu’aux yeux de Dieu, elle est tombée dans la médiocrité ; à l’Église qui est à Smyrne qui se croit pauvre, par contre, Il écrit qu’elle est riche aux yeux de Dieu. Ce n’est ni le résultat des quêtes ni le nombre des vocations religieuses ou des pratiquants qui font qu’une Église est riche aux yeux de Dieu. Pour ne pas être écrasée par la crise et vivre pleinement le présent, ces lettres reconnaissent quel est le charisme de chaque Église et la conversion à laquelle chacune Église est appelée par l’Esprit-Saint.
- L’Esprit -Saint souffle-t-il encore aujourd’hui ?
-Faut-il vous rappeler que le concile Vatican II a souligné fortement combien les Eglises sont immergées dans la culture des cités : « Jusqu’à ce que viennent les cieux nouveaux et la terre nouvelle, où la justice habitera, l’Église pérégrinante, dans ses sacrements et ses institutions qui appartiennent à ce monde, porte la figure de ce siècle qui passe, elle vit parmi les créatures qui gémissent et sont encore maintenant en travail d’enfantement et attendent la révélation des fils de Dieu… »( Lumen Gentium 48) Plus loin, les Pères du Concile diront que les Eglises ne doivent pas être prisonnières de la culture de leur cité mais préciseront : « L'Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n'est liée d'une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à la fois consciente de l'universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses civilisations : d'où l'enrichissement qui en résulte pour elle-même et pour les différentes cultures. »» (Lumen Gentium 58) Cette immersion dans une cité particulière est de la responsabilité de tous les membres de l’Eglise car elle donne des colorations originales à la vie, à l’expression, à l’action des communautés chrétiennes. Pensons à la vie des communautés implantées en Amérique latine avec la situation d’exploitation économique, l’insécurité, la soif de libération… en Afrique avec la soif de développement et de paix entre ethnies… en Asie où elles vivent dans un univers spirituel très particulier et un nécessaire dialogue entre les religions… en Europe, où le christianisme est marqué par un laïcisme strict, interrogé par une soif spirituelle qui s’exprime hors des institutions religieuses…
M. M. : Cette immersion des Eglises dans un monde pluri culturel et multi religieux me semble remettre en cause l’image que je me fais de l’Eglise.
- Le Concile a remis en valeur la consistance propre des Églises locales, ou particulières : elles sont pleinement ‘Église’, chacune avec ses charismes, et non, comme beaucoup se l’imaginent, de simples succursales de l’Église universelle romaine. Comment concilier la diversité des Églises particulières inculturées et l’unité de l’Église ? C’est évidemment une question aussi importante que délicate, sans cesse en chantier. Mais le Dieu de Jésus-Christ ne nous donne-t-il pas l’exemple et le fondement d’une unité dans la différence ? Cette question résonne aussi dans les diocèses où les cités n’ont pas la même histoire. La non - reconnaissance de ces différents ‘visages’ d’Eglise est source de grande souffrance pour ceux et celles qui se donnent de toutes leurs forces pour rejoindre là où ils sont les habitants de leur quartier, leurs proches, les personnes de leur milieu, de leur peuple.
Votre contribution Pour partager vos expériences, initiatives, cliquer ici
|