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Visionnaire de l'invisible
La littérature

‘La corruption du meilleur engendre le pire’
Cayley David / Illich Ivan
(Actes Sud 2007)

 

Entendre l’Évangile
quand il parle avec la voix d’une autre culture



Avant de mourir en 2002, Ivan Illich avait accordé à D. Cayley un certain nombre d’entretiens qui sont édités sous un titre provocateur : ‘La corruption du meilleur engendre le pire.’ (Actes Sud 2007) Ce livre est en quelque sorte son testament spirituel qui éclaire l’ensemble de son œuvre.

Comme un certain nombre de nos lecteurs découvrent ici le nom de ce penseur, il nous a paru important de le présenter en quelques mots pour comprendre l’évolution de sa pensée. Ivan Illich a entrepris des études supérieures de philosophie et de théologie à l’université grégorienne de Rome et obtient son doctorat en histoire à l’université de Salzbourg. Il est ordonné prêtre à Rome. Cet aristocrate d’origine dalmatienne qui a souffert de la persécution nazie semblait taillé pour une carrière diplomatique. Le cardinal Montini, futur Paul VI lui demanda de rester au service du Vatican. Mais il préféra partir à Princeton pour étudier les écrits d’Albert le Grand. Aux USA, il fut attiré par le sort des portoricains dont la foi ardente bousculait le catholicisme new-yorkais très influencé par les émigrés venus de l’Europe. Son ministère sacerdotal auprès de ces émigrés l’amène à accepter d’être nommé vice-recteur de l’université catholique de Porto Rico.

Là, il prend conscience que l’école n’est pas un lieu de promotion pour les plus pauvres mais un lieu qui sert l’inégalité entre les hommes. De même, il s’interroge sur le bien fondé d’une pastorale très marquée par le cléricalisme.

Il attire près de lui « des jeunes prêtres plus préoccupés de rapprocher l’Église des gens que d’attirer les gens à l’église. » (p.27) Il leur ouvre la voie du chemin de l’inculturation et demande à son Eglise de prendre conscience que l’expression de la foi des portoricains est trop liée à la culture européenne.

Il apprend à ses élèves qu’il est important de relativiser sa propre culture afin d’entendre ce que dit l’Evangile quand il parle avec la voix d’une autre culture. Il attira l’attention du cardinal Suenens qui l’appela auprès de lui au concile Vatican II comme expert. Le P. Illich espérait que les évêques regarderaient en face les problèmes qui taraudent le cœur des hommes et des femmes. En cela, il rejoindra une intuition du cardinal Wojtyla décrite par le P. Congar dans ses mémoires. Alors qu’en commission, les évêques reprennent le chapitre II de ‘L’Église dans le monde de ce temps’, « Mgr. Wojtyla  fait des remarques d’une extrême gravité. On considère seulement, dit-il les question posées par la situation nouvelle du monde censée décrite au chapitre I ; mais ce monde moderne donne aussi des réponses à ces questions. Et il nous faudrait répondre à ces réponses, car elles constituent une mise en question de notre propre réponse. »  (Y. Congar. Mon journal du Concile, éditions du Cerf,  II p.312)

Finalement, le P. Illich prendra ses distances avec l’Eglise qui lui reprochera des opinions dangereuses en matière de doctrine, d’idées erronées contre l’Eglise, des conceptions bizarres à propos du clergé et d’interprétations subversives quant à la liturgie et à la discipline ecclésiastique. Dans ses conférences et écrits, il insiste pour que l’Eglise retrouve la saveur de ses origines.

              Ce livre d’entretiens est intéressant car il rejoint certaines préoccupations actuelles de notre Eglise. Nous en retiendrons deux parmi bien d’autres abordés dans ce livre: la charité et le pouvoir.

              La réflexion de Y. Illich prend source dans sa méditation du bon samaritain. Il souligne que les deux représentants officiels du peuple juif traversent la route pour ne pas être confrontés à l’impur qu’est ce blessé étranger alors qu’un samaritain, ennemi du peuple d’Israël, porte secours au blessé. Le blessé et le samaritain sortiront différent de cet épisode : le samaritain se fait frère du blessé et le blessé va retrouver la santé grâce à ce rapprochement entre ces deux hommes. Là et le meilleur : cette rencontre entre deux hommes les transforme en profondeur. Le pire est quand on institutionnalise cette rencontre. Alors, la corruption du meilleur qui engendre le pire dès qu’on travestit l’amour en une demande de service. Le peuple chrétien en déléguant à une institution la gestion de sa charité fait vivre sa générosité mais risque de passer à côté d’une rencontre qui le façonne à l’image de la Trinité. Cette institution  caritative va se situer dans le monde avec sa course au pouvoir et à l’argent pour pouvoir exister. I. Illich refuse une Église gestionnaire de son propre pouvoir temporel. Quand l’Église laisse corrompre ce qu’elle a de meilleur en elle,  la charité vécue comme un échange et pas uniquement comme un élan de générosité, peut engendrer le pire. C’est ainsi que l’Eglise a participé à la naissance de la culture moderne si dure, si libérale, pense I. Illich.

              Ce livre – testament provoque la réflexion car Ivan Illich rappelle avec vigueur que l’Eglise ne restera fidèle à Jésus et à son Évangile que si elle reste proche des hommes de son temps, que si elle vit sa rencontre comme un dialogue où chacun a une richesse à partager à l’autre. Comme le souligne avec vigueur l’auteur, pour vivre cet échange, les ‘clercs’ et ceux et celles qui exercent une responsabilité dans l’Église doivent lutter contre la tentation du pouvoir et rester lucide sur la culture qui les a façonnés.

 

R.P.

 

L'article de l'éditeur



 

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Illustration de © Robert de Quentin