Visionnaire de l'invisible
La littérature
La bataille du Vatican
Christine Pedotti
(Plon - 2012)
Le gigantesque débat qui a enfanté le Concile Vatican II
Ce livre n’est pas un commentaire des documents votés durant le Concile Vatican II. Il est le récit de l’accouchement dans les douleurs d’un événement qui va bouleverser plus d’un milliard de catholiques. Les rudes affrontements qui ont opposés certains pères du concile à la majorité n’ont pas toujours été revêtus de la bénédiction divine mais c’est sur ce terrain qu’a éclot l’aggiornamento de l’Eglise tant désirée par Jean XXIII. Le mérite de cet ouvrage est qu’il présente les personnages importants qui ont joué un rôle décisif durant le concile avec beaucoup d’honnêteté.
Nous ne pouvons pas ici résumer les quelques 573 pages de cet ouvrage passionnant qui raconte comment ont été abordé les problèmes de l’Eglise comme la liturgie, les deux sources de la Révélation que sont l’Ecriture Sainte et la tradition, le rôle du collège épiscopal et le gouvernement de l’Eglise, l’œcuménisme et la place des juifs, la liberté religieuse, l’Eglise et le monde… En lisant ce récit, on découvre que certains débats notamment sur les relations de l’Eglise avec le monde n’ont pas été un long fleuve tranquille mais que ces débats restent d’une actualité brûlante.
Comme l’axe de la réflexion de notre site est ‘Eglise pour notre temps’, nous présenterons uniquement ce domaine dans cette recension.
Jean XXIII qui avait parlé à son secrétaire de l’initiative qu’il voulait prendre de réunir un concile, avait ajouté : « En fait, ce n’est pas si vrai que le Saint-Esprit assiste le pape, c’est la pape qui assiste le Saint-Esprit. » Et tout au long de ces six ans, les participants du Concile feront l’expérience que ce n’est pas si facile d’assister le Saint-Esprit. Chacun a dû être confronté à cette question intime : Comment, comme expert en un domaine, distinguer ce que l’on croit profondément et ce que l’Esprit souhaite vivre avec cette assemblée ? Question d’autant plus complexe que Jean XXIII avait tenu à préciser : « Autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées. »
Les textes remis aux Pères avant le Concile présentait l’Eglise comme une forteresse assiégée menacée par tout ce qui n’est pas elle et profondément pessimiste à l’égard du monde de ce temps. Certains s’étaient élevés contre cette présentation car pour eux la révélation de Dieu n’est pas d’abord un ensemble de doctrines et de vérités, mais un événement qui ne cesse de se déployer. Ce déploiement se vit dans le monde aux multiples cultures. Il faut alors que les textes reflètent les différentes écoles de pensées, les différentes approches théologiques et culturelles.
Les textes sur la liberté religieuse ont dû être retravaillé plusieurs fois en commission car deux approches s’affrontaient : d’un côté, les droits de Dieu et de la vérité étaient mis en avant et de l’autre, les droits de la conscience humaine et de la liberté. Des intervenants proclamaient que la liberté religieuse n’est pas une concession à l’esprit du temps mais une caractéristique du christianisme. Défendre la liberté est ouvrir la voie vers la liberté. C’est la seule voie aujourd’hui. D’autres posaient la question de savoir si ce texte sur la liberté ne risquait-il pas d’ouvrir la voie à l’indifférentisme, au subjectivisme, au relativisme.
Pour la plupart des Pères la constitution pastorale sur l’Eglise et le monde avait, , une importance primordiale car elle devait être un message qui reflète l’amour de Dieu pour le monde : « Je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver. » avait proclamé Jésus. Il fallait que la constitution reflète cet amour. Mais comment ? Fallait-il réaffirmer la grandeur de l’Eglise catholique proclamant sa vérité et ses certitudes face à un monde plein d’interrogations. Certains pères cherchaient par tous les moyens que le texte rappelle avec force que l’Eglise qui détient la vérité n’a comme mission dans le monde que d’annoncer à temps et à contre temps cette vérité : Dieu s’est révélé et à donner un sens à l’existence humaine. L’Eglise est envoyée dans le monde pour annoncer cette Bonne Nouvelle. L’Eglise a le devoir de dire au monde ce qu’elle est et ce qu’elle propose. Ils ajoutaient qu’il ne fallait pas confondre les progrès techniques avec l’espérance chrétienne. Ils estimaient que dialoguer avec le monde risquait d’être un signe de relativisme coupable.
En commission, l’intervention du père Chenu a joué un grand rôle dans cette recherche. Il a rappelé que l’Eglise devait regarder le monde avec bienveillance pour y lire les signes des temps, signe de la présence de Dieu et de son action. « Prendre en considération la réalité propre du monde et le faire au nom de l’Incarnation, c’est-à-dire de la nouveauté absolue du christianisme qui se refuse à tout dualisme : le monde et Dieu, le corps et l’âme, le naturel et le surnaturel, le sacré et le profane. … L’actualité de l’Evangile passe par les questions des hommes. » (p 143) Plus tard, le cardinal Wojtyla a fait une intervention qui a beaucoup frappé le Père Congar : « Le cardinal s’était certes réjoui que le schéma tente de prendre en compte les questions que posaient le monde et la modernité, mais il avait très finement observé que ce monde donnait des réponses à ces questions et il avait ajouté : ‘Il faudrait que nous examinions sérieusement ces réponses et que nous donnions nos réponses à ces réponses car elles constituent une mise en cause de nos propres réponses.’ » (p 421) Dieu qui s’est fait homme prend part d’une façon définitive à l’histoire humaine. L’Eglise, comme son Seigneur est livrée au monde comme sacrement du Salut.
L’Eglise se réforme non pas pour changer mais pour rester fidèle à la foi qu’elle a reçue. Elle restera toujours un peuple pérégrinant habité et conduit par l’Esprit-Saint qui appelle les croyants à se mettre continuellement en question.
Mai 2012, R Pousseur