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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

Moi, Olga
Réalisateur : Petr Kazda, Tomás Weinreb
Sortie : juillet 2016

 

 

Affiche du film : Moi, Olga

       Olga est une jeune fille têtue et taciturne qui vit à Prague, dans la Tchécoslovaquie des années 1970. Les épaules voûtées, le regard bas et la cigarette au coin des lèvres, elle a le sentiment d’être rejetée partout, en famille, au travail, par ses amantes; elle est profondément blessée par le rejet de son homosexualité par la société. Elle en veut à la terre entière et échafaude, peu à peu, un plan terrible pour se venger de ses souffrances…

Moi Olga raconte l’histoire vraie d’Olga Hepnarova (Michalina Olszanska), dernière femme à avoir été exécutée en Tchécoslovaquie le 10 juillet 1973, peu après le ‘’Printemps de Prague’’ (Cette tentative de libération du joug communiste s’est achevée le 28 août 1968 par l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie), par pendaison courte, pour meurtre de masse prémédité. Bien qu’inspiré d’évènements réels, le film Moi, Olga se refuse à toute exploitation de ce triste évènement pour s’interroger sur ce qui a pu pousser cette « fille en bonne santé et à la peau blanche » à commettre en toute lucidité un acte dont la République Tchèque se souvient encore plus de 40 ans après les faits. Même si Pietr Kazda et Tomas Weinreb n’ont aucun parti pris dans l’histoire qu’ils racontent, ils ont mis du temps à trouver des financements pour faire ce film. Ils disent eux-mêmes : ‘’En République Tchèque, le sujet était délicat. Peu de personnes comprenaient pas  qu’on puisse filmer un tel drame cru et existentiel ; on pensait plutôt que nous voulions défendre une meurtrière en série…’’ C’est finalement grâce à la Pologne et à la France qu’ils ont pu terminer leur film. Porté par la performance de son actrice Olga Hepnarova, le film lève le voile sur les coulisses d’un fait divers qui a profondément marqué le pays.

Olga a délibérément tué ; elle avait même prévenu en envoyant, quelques jours auparavant, des courriers annonçant son geste. La jeune femme y voyait une réparation, celle d’une vie incomprise depuis longtemps. A 13 ans, sa mère l’a fait interner en hôpital psychiatrique après plusieurs tentatives de suicide et de nombreuses fugues. Olga en nourrira une haine profonde envers le monde. Devenue asociale, elle sera virée de ses lieux de travail. Rebelle à toute hiérarchie, à tout ordre moral, elle vivra en quasi-ermite dans un cabanon, n’ouvrant sa porte qu’aux femmes dont elle tombera amoureuse. Mais elle replongera dans la colère quand celles-ci la rejetteront, inquiètes de son comportement imprévisible. A son procès, elle refusera que son avocat plaide la folie pour tenter de la disculper. Elle tiendra à être condamnée, à mort, pour devenir un martyr, celle qui aura été anéantie par l’incompréhension de sa famille et de ses proches…

Michalina Olszanska, Olga, s’est jointe au projet très peu de temps avant le début du tournage. Elle s’est fondue dans son personnage et elle est devenue Olga. Pietr Kazda dit : ‘’Sa concentration était extraordinaire, elle ne parlait à personne et, pendant les pauses, elle se préparait pour la scène suivante. Après le tournage, elle repartait pour l’hôtel où elle restait seule, comme Olga. J’ai vraiment aimé travailler avec Michalina : c’est un avantage considérable quand on n’a pas tout à expliquer à une actrice. On en ressortait le meilleur, juste avec quelques mots et quelques regards’’.

L’homosexualité d’Olga est intégrée dans le récit, sans que le personnage soit défini uniquement par son orientation sexuelle. Pietr Kazda explique : ‘’C’était une question complexe. D’un côté son orientation sexuelle était si évidente à nos yeux que nous n’avions nul besoin de la mettre en exergue. Elle faisait partie d’une minorité sexuelle et cela faisait partie de sa vie. Mais Olga avait bien d’autres problèmes : elle recherchait la solitude, sans pouvoir rester complètement seule.

En fait notre film parle du manque de compréhension ; c’est pour cela que nous l’appelons un « drame existentiel ». Une grande partie du film se concentre intimement sur Olga, sa vision du monde nihiliste et furieuse. Mais, après son crime, on la perçoit de façon plus détachée, distante, objective, comme si nous l’observions de l’extérieur. Nous avons toujours essayé d’être et de ne pas être avec Olga Hepnarova. Nous avons tenté de trouver un équilibre entre notre vision et les faits que nous connaissions. Il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas sur elle. Pour nous, son crime vient de l’irrationnel’’.

Pietr Kazda et Tomas Weinreb retracent le parcours d’une enragée et de son enfer personnel. A l’époque, Olga fut perçue comme une folle par l’opinion publique. Les cinéastes reconstruisent le puzzle autour d’une hypothèse plus brutale, celle d’une victime suffoquant sous des souffrances telles qu’elle n’a pas trouvé d’autre d’échappatoire qu’une vengeance transgressive. Olga, lectrice de Kafka et de Camus, aurait pu être l’héroïne d’un de leurs romans, répondant à la violence sociale par un crime, ultime cri d’alarme. Qu’elle ait été ou non psychotique, qu’elle ait agi par douleur d’une rupture amoureuse, n’a guère d’importance. Moi Olga la considère avant tout comme une âme torturée, ruminant ses névroses jusqu’à l’implosion autodestructrice, comme un électron libre ne supportant plus la ‘’normalisation’’ du Printemps de Prague. Comme De Niro dans Taxi Driver, Michalina Olszanska est impressionnante de malaise dans la peau de cette fille, tout à tour attachante et inquiétante, jusqu’à rendre bouleversante la scène finale de libération tragique de cette jeune femme, inadaptée à son époque. Avec son regard d’animal sauvage et apeuré, elle se donne corps et âme à son personnage. Le plan serré sur un visage hermétique à l’extérieur, son mutisme et son énergie au bord de l’anesthésie, révèlent son isolement, voire son exclusion pure et simple, lorsqu’elle quitte l’espace visuel

Pour les cinéastes, la véritable victime est aussi la coupable. Moi, Olga est le récit d’un désespoir, engendrant marginalisation et passage à l’acte. Il en découle un portait préférant le questionnement intime au jugement moral, à la fois déstabilisant et bouleversant. Le point de vue adopté permet l’empathie vis-à-vis d’un personnage blessé, buté, incapable de communiquer et inadapté à « un monde abstrait qui ne la concerne pas ». Moi, Olga nous laisse avec ses mots d’une violence déchirante, nous enserrent dans une souffrance intérieure qu’on finit par éprouver, tout en incitant graduellement à la distance : est-elle vraiment l’une de ces « prügelknabe » (souffre-douleur) dont elle veut défendre la cause ou une pauvre jeune femme dont la dépression suscite une haine viscérale du monde jusqu’à la folie ? Et d’ailleurs, où commence la folie, à partir de quelle frontière franchie peut-on la nommer ? « Je suis folle mais ma folie est clairvoyante. Vous paierez pour vos rires et pour mes larmes ! ». Cette seule condamnation désigne le tourbillon où Olga sombre, à jamais insaisissable.

Claude D’Arcier - Août 2016

 

 


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