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Visionnaire de l'invisible
La littérature

De l'amour
Luc Ferry
(Odile Jacob - 2012)

 

De la loi reçue d’en haut à l’amour

 

Luc Ferry, agrégé de philosophie et de science politique nous livre dans Une philosophie pour le 21ème siècle ses réflexions sur l’évolution de la société. Il ouvre le débat sur une constatation : Nous avons le sentiment que le cours du monde nous échappe. Nos valeurs n’ont plus prise sur notre manière de vivre. Ce long moment d’égarement est en train d’engendrer un nouveau principe de sens qui va nous permettre de prendre conscience de notre responsabilité. Quel est ce principe ?

Pour le philosophe, sa vocation est de trouver un principe de sens nouveau, un principe organisateur d’une conception inédite de la vie bonne malgré la mort. Aujourd’hui, le défi qui est lancé aux philosophes est de définir la vie bienheureuse pour les mortels sans passer par Dieu ni par la foi. L. Ferry relève le défi en définissant ce qu’est la vie bonne : « Une vie bonne, c’est une vie dans laquelle il y aura de l’amour, heureux ou malheureux, dans laquelle l’amour aura transfiguré la vie quotidienne  et aura donné sens à l’existence. » (p. 35) 

Cette vie bienheureuse sans Dieu se traduit par une ‘révolution de l’amour’. Cette révolution se manifeste par la conception que la société a du mariage. Nous passons du mariage arrangé par la famille traditionnelle au mariage d’amour, fondateur de la famille d’aujourd’hui. On passe de ‘être marié par d’autres’ à ‘se marier’.

Dans un humanisme non métaphysique, le deuxième humanisme, l’histoire de l’amour passe de la plus grande transcendance à la plus grande immanence. L’expérience de l’amour renouvelle aussi la question de notre rapport au sacré car elle induit une sacralisation de l’autre. Aimer est avoir la joie que l’autre existe et de le laisser exister. Luc Ferry reconnaît que fonder la famille sur l’amour-passion est la fonder sur un sol terriblement fragile et variable. Vivre consciemment un amour fragile et variable ne fait guère rêver. Ce deuxième humanisme annoncé par J. Ferry pourra-t-il grandir durablement, s’épanouir sur un tel  terrain sablonneux ? Un deuxième humanisme peut-il naître que sur l’amour-passion faisant l’impasse sur la justice ?

              Pour bien mettre en relief cette révolution, le philosophe décrit à sa façon la période d’avant la révolution de l’amour. ‘Avant’, « on s’aimait six jours et on s’emmerdait soixante ans. » (p. 76) « Au Moyen-Âge, la mort d’un enfant est souvent tenue pour moins grave que celle d’un cochon ou d’un cheval. » (p.74). Heureusement, c’est ‘avant’ est bien résolu car les principes anciens qui ont dominé les époques passées ne nous disent plus rien. Ils sont définitivement relégués dans le passé « Pour donner tout de suite un exemple hors de la philosophie, on peut aimer infiniment la musique de Bach et, en même temps, on sent bien qu’elle appartient à un temps qui n’est plus le nôtre. » (p.26) On peut habiter le monde de Bach mais on ne peut rien inventer si on reste dans cette demeure.

Et pourtant, Jules Ferry reconnaît que les artistes ont une approche réellement plus large et plus profonde de l’humain que celle du philosophe. Pour lui, « l’art est l’incarnation de grandes idées et de grandes valeurs dans un matériau sensible… C’est ce qui donne une supériorité de l’art à la philosophie… » (p.217)  « L’art … et un des lieux du sens commun, ce autour de quoi les humains se rassemblent, par-delà les frontières et les classes sociales, et qu’ils appellent pour cela les ‘grandes œuvres’. On joue des concertos de Mozart aussi bien à Pékin qu’à Bombay ou à Londres.» (p. 91)

Le deuxième humanisme proposé par L. Ferry « est comme un hommage laïque et sécularisé au message de Jésus. » (p. 239) « Nous retrouvons ici, du moins au départ, cet élément fondamental du christianisme qu’est la transmission de l’amour, » (p.157)

Cette révolution de l’amour n’est-elle pas qu’une étape vers un troisième humanisme ? 

 

On lit avec beaucoup d’intérêt cette analyse de notre époque car bien des remarques sonnent justes et semblent donner sens à l’évolution de notre monde qui nous échappe. Mais en même temps, on a l’impression qu’on passe à côté de quelque chose d’essentiel. L’a-t-il perçu quand il écrit  que les artistes ont une approche réellement plus large et plus profonde de l’humain ? Et pourtant, l’auteur réduit l’apport des artistes à la société quand il écrit que les artistes n’incarnent par leurs créations artistiques que les idées et les valeurs de leur époque. Un artiste est génial quand il parvient à exprimer par ses œuvres les lames de fond qui  travaillent le cœur de ses contemporains qui souvent n’en ont pas encore pris conscience. Pour ne prendre qu’un exemple, Picasso, dans sa deuxième période, a peint des visages complètement recréé par lui, ce qui a dérouté plus d’un de ses admirateurs. Est-ce que cet artiste n’exprimait-il pas cette envie qu’avaient ses contemporains d’avoir la liberté de créer  leur corps, leur peau, leur sexe ?

Celui pour qui Jésus est quelqu’un qui compte dans sa vie sera touché du respect que Luc Ferry témoigne envers ceux qui n’ont pas la même vision que lui sur le christianisme. Mais une question plus profonde que la foi en Jésus se pose. Peut-on laïciser le message de Jésus sans le laïciser lui-même ? Ne passe-t-on pas alors à côté d’une dimension qui est le propre de l’homme ? Pour le philosophe indien R. Panikkar, la mystique est la caractéristique humaine par excellence. Elle est l’expérience de la Vie qui est en nous. La mystique appartient à la nature de l’homme, elle l’invite à participer consciemment, c’est-à-dire humainement, à l’aventure de la réalité. (Mystique, plénitude de vie paru aux éditions du Cerf) Cette dimension mystique de l’homme ne permet-il pas à l’homme du 21ème siècle d’aller habiter quelques temps dans la demeure de Bach pour mieux construire aujourd’hui un monde plus humain ?

 

 

Septembre 2012, R.P.

 

 

 

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