Les Bouleversements culturels /Réaction d'expert
Moi, homme, un mystère ?
Actuellement, aux USA, une campagne est ouverte pour accorder les mêmes droits aux grands singes et aux hommes. Les paléontologues qui ont observé la vie des grands singes nous apprennent que le propre de l’Homme et des grands singes est l’outil, le langage, l’art de vivre ensemble, l’émotion comme le sourire, la peur, la tendresse, … Les primates et les hommes ont une mémoire et une culture. Les hommes peuvent apprendre de ces animaux comment vivre dans la nature et se médicamenter grâce à certaines plantes. Le philosophe Luc Ferry dit dans un interview au Figaro Magazine du 23 juillet 2014, que ce qui caractérise l’Homme est de « s’arracher à la nature, ce qui permet à l’homme d’entrer dans une sphère de moralité, de notions du bien et du mal… Je pense que nous sommes capables de faire des choix, bons ou mauvais, face à la nature, grâce à cette distance que n’ont pas les grands singes. » Est-ce vraiment la façon de se situer au cœur de la nature qui caractérise l’homme de l’animal ?
Depuis que l’Homme existe, que de bouleversements dans sa vie ! Grâce à son sens de sa proximité avec le monde animal et son approche pas toujours respectueuse de la nature, l’Homme a appris à domestiquer des animaux. Grâce à son intelligence créative, à sa mémoire, il a inventé l’agriculture. En l’inventant, il a aussi pris possession de la terre pour sa tribu et a appris à se défendre des prédateurs, qu’ils soient des hommes u des animaux. Grâce à sa capacité de réflexion, il a remplacé la pensée mythologique par la pensée rationnelle, quitte à fermer les yeux devant l’invisible qui li échappe. Grâce à son génie, l’homo sapiens a inventé un langage différent de celui des animaux qui lui permet de communiquer et la paix et la guerre plus efficacement. Il a inventé des rites pour s’unir et conjurer la violence qui habite son cœur, quitte à enfermer les adeptes par un pouvoir religieux sur les consciences. Grâce à son sens artistique, il a inventé des danses, des chants, des mythes et des poèmes pour exprimer son étonnement devant le mystère de la vie et de la mort, et peut-être déjà pour exprimer sa quête spirituelle. La création artistique a permis à l’Homme de chercher à ouvrir une porte sur son inconscient, d’exprimer l’invisible, l’indicible. Sa culture a engendré la diversité qui a engendré le partage et la violence, la découverte de l’autre et son exclusion.
Ces changements de la condition humaine sont nés pour des raisons bien différentes. Nous n’allons pas ici entrer dans le débat des philosophes, des sociologues et des paléontologues mais retenir retenons trois réflexions d’experts qui posent bien des questions :
* Selon Jean Clottes, expert international pour l’art rupestre auprès de l’Unesco, l’énergie créatrice de l’homme ne tire pas sa force d’une réflexion sur l’amour mais plutôt d’une inquiétude sur la mort, et surtout sur la vie après la mort. Selon lui, la mort et le rêve pourraient être à l’origine de la quête spirituelle de l’homme. En affrontant ainsi le mystère de la mort, l’humanité se découvre comme dynamisée par un élan de vie. « La spiritualité peut être considérée comme un éveil, celui d’une pensée qui dépasse les contingences de la vie de tous les jours. L’homme commence à s’interroger sur le monde qui l’entoure et c’est cela l’essentiel. Il y cherchera souvent une réalité autre que celle que ses sens lui font percevoir et à laquelle il a toujours, comme les animaux dont il procède, réagi instinctivement. On n’est pas loin de l’art. » (Jean Clottes Pourquoi l’art préhistorique ? p.54 Gallimard 2011)
* La naissance de l’art reste pour Emmanuel Anati, archéologue italien, un mystère. Pour lui, les grottes ornées posent la question de l’art et de la spiritualité qui animait nos ancêtres. Tout art est message qui s’adresse à une collectivité ou une formulation d’un avertissement, ou le récit d’une histoire ou la manifestation ou l’affirmation d’une présence. Ce message peut aussi s’adresser aux divinités. L’art est l’indice d’une profonde spiritualité.
* L’homme face au mal destructeur provoqué par les autres ou qui sort de son coeur est abordé par Claude Lévi-Strauss, ethnologue. Il cite dans son livre Tristes tropiques (Pocket p 210) le mythe de Gonoenhodi, l’Être suprême qui créa les hommes. A la première tribu il donna l’agriculture et à l’autre, la chasse. Une divinité s’aperçut que l’Être suprême avait oublié la tribu Mbaya au fond d’un trou. Comme tout était distribué, elle eut droit à la fonction d’opprimer et d’exploiter les autres. Le mal est resté un mystère pour l’homme.
Ces mystères sont une opportunité pour l’homme car elle ouvre un horizon qu’il est appelé à toujours scruter. Grâce à un combat intérieur, l’Homme a acquis une liberté intérieure, du courage et de l’audace pour avoir un regard lucide sur sa vie quand l’environnement est hostile, qu’on est concentré sur sa survie, que la peur paralyse. Il a fallu aussi à certains de nos ancêtres, peut-être plus attirés par le spirituel que d’autres, une grande dose de confiance en eux-mêmes pour croire que ce qui émergeait de leur pensée et de leur cœur était au moins aussi important que de chasser des bêtes pour se nourrir.
Vu les bouleversements culturels et l’explosion de la violence, certains craignent aujourd’hui que nous retournions à l’état barbare. Mais ce qui était valable il y a des milliers d’années pour l’Homo sapiens, l’est aujourd’hui pour nos contemporains. L’histoire de l’humanité nous apprend que tout homme est un mystère même pour lui-même. Il est une terre ensemencée qui peut faire germer la justice et la vérité comme l’injustice et le mensonge, la pais comme la guerre dans un monde merveilleux et violent.
Novembre 2014 - R. Pousseur