Témoignage d'un prêtre

                 J’ai lu le dossier ‘Une société en gestation.’ Il m’a provoqué à relire ce que je suis en train de vivre et je vous en fait part.

                 Je viens d'accompagner une préparation et sépulture d’homme âgé de 73 ans. Depuis 36 ans, suite à un terrible accident, il était paraplégique, totalement paralysé de ses membres inférieurs. Son épouse, infirmière, a arrêté son travail pour s'occuper de lui. Avec son aide et une volonté à toute épreuve, Claude a retrouvé son travail de bureau dans un service public. Ils ont participé à une équipe ACI jusqu'au jour cela n'a été plus  possible. Les opérations se succédant, les 5dernières années: dialyse, amputation des membres inférieurs..., Tous ceux qui le rencontraient étaient frappés par son courage, il rayonnait une force intérieure qui interpellait tous ses visiteurs. « Nous allions le voir à son bureau pour retrouver le moral » « Il ne se plaignait jamais.» Me voyant parfois un peu découragé, il me disait : « Non...on ne baisse pas les bras, on va se battre, ne nous décourageons pas... je suis encore utile, pensons à nos enfants et à nos petits enfants (ceux-ci aimaient venir auprès de lui) ». Il était animé par une foi extraordinaire. Sa femme l'a entendu prier en disant: « Merci, Seigneur, de me faire porter ces souffrances! » Toujours attentif aux autres et conscient de sa situation, il n'acceptait pas les "jérémiades" mais il échangeait sur les difficultés des autres, s'interrogeait comment les aider... s'oubliant lui-même! Et pourtant son corps lui était un « compagnon précieux pour qui je veux me battre et je ne peux que remercier tous ceux qui m'aident à le soigner même si cela est dur. » « Avec lui, dit sa femme, nous avons vécu une communion extraordinaire, nous nous sommes aidés à vivre et à grandir ensemble". Un témoignage pour bien des gens, croyants ou pas...  Et pour moi le premier! Cela me renvoyait, ces jours-ci, à un dialogue avec le conservateur du musée où sont exposées des œuvres de Soulages qui a peint des tableaux noirs mais laissant deviner une lumière intérieure. D'une situation qui peut nous enfermer dans la nuit, dans le noir, jaillit une Lumière » qu'il faut prendre le temps de découvrir, pour la contempler et la comprendre.

                 Tout cela m'interpelle, et je me pose la question sur la qualité de mon écoute. Comment, prêtre, ne suis-je pas un passeur qui aide l'homme à passer du côté de Dieu avant qu'il soit écrasé, et à reconnaître Dieu ?   Mais sa femme et bien d’autres le sont aussi envers moi! Comment  nous aident-ils a grandir nous mêmes prêtres et comment nous le leur partageons jusqu'à les en remercier?

                 Je relève aussi une autre question pour moi : Comment j'aide par mon écoute, ceux qui me partagent leurs joies et leurs souffrances?  Comment je vais écouter une jeune femme (de ma famille!) qui pour avoir un enfant fait appel, en couple, à la procréation après  les réactions du Vatican à l'occasion de l'attribution du Prix Nobel au biologiste anglais père "des bébés éprouvettes" pour lui éviter de s'enfermer dans la culpabilisation?   Comment concilier les traditions de l'Eglise avec les aspirations de la société moderne, en cherchant et pour l'un et pour l'autre une fécondité nouvelle dans la liberté? Comment encore écouter, accompagner un jeune couple (je vois lui et elle séparément) qui se prépare au divorce, tout en ayant des engagements dans l'Eglise, comment dans leur détresse, découvrir un chemin de lumière. Voilà beaucoup de "questions", de "comment" qui ne vont pas nous apporter des réponses tombées du ciel, sans les avoir partagés, prenant le temps, oubliant d' abord nos principes,  nos solutions, en les accompagnant de temps de prière! Cela nous invite à  "réviser" dans nos équipes de prêtres et avec des laïcs,  cet accompagnement et à nous dire comment dans les ténèbres qui souvent nous entourent apparaît un rayon de lumière. Grand merci pour tout ce dossier, riche et interpellant et pour le travail qu'il vous a demandé. Merci de me le partager bien simplement.

Novembre 2010       Un prêtre du centre de la France