Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Circles
Réalisateur : Srdan Golubovic
Sortie : 9 juillet 2014
1993. Guerre en Bosnie. Marko, un soldat serbe, sauve Haris, un petit vendeur de cigarettes, des mauvais traitements de trois autres soldats et paye le prix de ce geste. Douze ans plus tard, le père de Marko travaille à la reconstruction d’une église quand le fils d’un des trois soldats se présente pour être embauché ; à Belgrade, un amis de Marko, chirurgien cardiaque, doit opérer une victime de la route qui se trouve être le meneur de la bande des trois soldats ; et, en Allemagne, Haris, qui mène une vie paisible avec sa famille, voit surgir l’ancienne petite amie de Marko, qui fuit un mari violent. Comment chacun, porteur de cette histoire douloureuse, va-t-il réagir devant ces situations nouvelles ?
Srda Golubovic est né en 1972 à Belgrade où il a fréquenté la Faculté des Arts Dramatiques. Même si Circles est son premier film à sortir en France, il n’en est pas à son premier coup de maître. Sa réputation de metteur en scène engagé, traitant de sujets forts et passionnants, s’est bâtie dans les plus grands festivals du monde où il a remporté de nombreuses récompenses. Son premier film Absolute Hundred, sélectionné dans plus de 30 festivals internationaux, a gagné 29 récompenses, tant dans son pays qu’à l’étranger. Son second film, Le piège, présenté au Forum de Berlin en 2007, a gagné plus de 20 récompenses internationales. Circles est son troisième long métrage et le premier à sortir en salles en France. Il est également l’un des fondateurs de la maison de production Bas Celik, vivier de jeunes artistes travaillant pour l’industrie musicale locale et le secteur de la publicité.
Interrogé par un journaliste de ‘’ZooTropFilm’’, il commente son œuvre :
‘’En 2007, j’ai lu l’histoire vraie de Srdjan Aleksic, un soldat serbe qui a sauvé son prochain, musulman, d’un passage à tabac par d’autres engagés serbes et je me suis rendu compte que c’était une des seules histoires positives qui soit ressortie des guerres meurtrières qui ont secoué l’ex-Yougoslavie. Il est devenu mon héros personnel, recouvrant ma représentation de l’humanité et du courage. J’ai alors voulu faire un film qui pose la question : l’héroïsme a-t-il un sens ?...
A travers le personnage du chirurgien en cardiologie, je m’interroge sur la position que nous avions majoritairement en Serbie pendant le conflit. Nous étions opposés à cette guerre, nous avons protesté contre, mais nous n’avons pas cherché à agir. Nous sommes restés dans une position de voyeur…
Bogdan, le fils d’un des agresseurs de Marko, n’est pas comme son père. Il ne veut pas avoir à porter le fardeau des exactions de ce dernier et qu’on le punisse éternellement pour cela. Il veut avoir sa chance dans la vie, même s’il respecte sa famille. Quant à Ranko, le père de Marko, il agit comme Sisyphe, en construisant pierre par pierre cette église en haut de la colline. Il souhaite que cela dure jusqu’à la fin de ses jours, sinon sa vie perdrait tout sens. C’est le personnage qui a le plus de mal à pardonner, surtout lorsqu’il se retrouve dans la situation où il doit ou non prendre la décision de sauver Bogdan…
- Marko, comme le souligne son père Ranko, est comme une pierre jetée dans l’eau ; elle fait des ronds pendant un moment, puis l’eau redevient calme comme avant… C’est le sens du titre Circles = Les Cercles. Tous les autres personnages tournent autour de lui. Tous leurs agissements sont liés à ce que Marko a fait en 1993. Il a établi les bases d’une éthique de vie … Sera-t-elle comprise et suivie ?
- Le personnage de Ranko bien que très complexe devait être joué de manière minimaliste. J’étais conscient que le comédien qui l’interprèterait ne devrai pas faire le moindre mouvement de trop. Il me fallait un acteur avec beaucoup d’expérience, capable de faire émaner de l’intérieur force et énergie. Il est alors devenu évident que c’est Aleksandar Bercek qu’il me fallait…
- L’un des thèmes principaux du film est le pardon. Savoir pardonner n’est pas une chose facile. Circles s’intéresse à des personnages qui pensaient ne jamais pouvoir pardonner. J’ai tenu à laisser au public la liberté d’avoir son propre avis sur les décisions prises par chacun des personnages du film, même si je tenais à être très clair sur le fait que pardonner ne veut pas dire oublier. Le pardon est la forme la plus pure de la justice, tout comme la réconciliation et la repentance. Ils sont le fruit de décisions intimes et d’une propension à la catharsis …’’
Douze ans après, un "accident" survenu pendant la guerre en ex-Yougoslavie influence, encore aujourd’hui, la vie de ses témoins ou acteurs. Circles s'ajoute à la longue liste des films qui racontent les séquelles d'un conflit qui laissera des traces encore sur plusieurs générations. Conçu comme un thriller psychologique polyphonique (La construction en film choral nous fait suivre trois histoires parallèles), Circles exige du spectateur une attention soutenue au gré d'un récit parfois chargé. Néanmoins, ce film est poignant dans ses non dits, dans sa mise en scène avec une certaine aisance narrative. L'interprétation, sobre et retenue, surtout avec le personnage de Ranko, confère à l'ensemble une grande dignité qui est propice à l’interrogation personnelle.
Jean-Claude D’Arcier - 25 juillet 2014
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