Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
20.OOO JOURS SUR TERRE
Réalisateurs : Iain Forsyth, Jane Pollard
Sortie : 24 décembre 2014
Le portrait intime et fascinant d’un icône de la musique.
Ce film célèbre l’anniversaire de Nick Cave, en concentrant sur une seule journée, une synthèse de sa vie et de sa production artistique. D’après la fiche-cinéma proposée par le distributeur du film, Carlotta Vod, on apprend que le chanteur Nick Cave, né en Australie en 1957, fait partie des figures artistiques les plus importantes des trois dernières décennies. Artiste pluridisciplinaire et iconoclaste, il est à la fois auteur-compositeur, chanteur, écrivain, scénariste et acteur.
C’est en 1973 qu’il a monté son premier groupe de rock, The Boys Next Door, bientôt renommé The Birthday Party. Ils deviennent rapidement des piliers de la scène punk avec leur rock à influence gothique, d’abord en Australie, puis en Europe où le groupe va s’installer. Nick Cave déploie un charisme impressionnant sur scène, hurlant et bondissant volontiers durant toute la durée des concerts. Après la dissolution du groupe en 1984, Cave crée une nouvelle formation, appelée Nick Cave and The Bad Seeds – Les mauvaises graines. Ce nouveau groupe a déjà sorti quinze albums, dont le grandiose Murder Ballads en 1996, où figure son célébre duo avec Kylie Minogue ‘’Where the Wild Roses Grow’’. Le dernier en date, Push the Sky Away, sorti en 2013, a été une fois de plus acclamé par le public et la critique – le film en montre certains enregistrements.
Nick Cave est un monument du rock. Et pourtant il est peu question de musique dans ce film car 20 000 jours sur terre est un documentaire musical d’un autre genre, réalisé par Iain Forsyth et Jane Pollard. Le spectateur suit Nick Cave pendant 24 heures, ce fameux jour particulier. Pas d’évocation linéaire et chronologique de sa vie, son œuvre, mais une approche plus introspective, plus personnelle. Nick Cave se réveille chez lui à Brighton, et tout au long de cette journée il évoque les thèmes et les lieux qui lui sont chers : la création, son père disparu, l’Australie, Berlin, la religion… On rencontre sa petite famille, son épouse Susie Bick et leurs jumeaux. On croise les personnages importants de sa vie. Un repas chez Warren Ellis, une conversation en voiture avec Kylie Minogue (telle une apparition fantomatique), une séance chez son psy. Le film se déroule comme sur un fil tendu entre réalité et fiction. Nick Cave met en scène sa mémoire et ses souvenirs.
‘’Le temps passe trop vite pour se consacrer à l’oisiveté’’ conclut Nick Cave à la fin de ce film, un peu éprouvant, mêlant documentaire et fiction et dédié à la puissance de l’acte de création. Pendant un an, Iain Forsyth et Jane Pollard ont suivi le célèbre chanteur dans Brighton, sa ville adoptive du sud de l’Angleterre, pour magnifier le musicien, poète, acteur et scénariste pour ce vrai faux 20.000e jour de sa vie sur Terre.
Pour cela, ils ont créé un univers intense et hyperréaliste, exigeant un dispositif de mise en scène très élaboré. Leur but était que tout ce qui se passait durant cette ‘’journée’’ devait paraître complètement authentique, avec un minimum d’indications scéniques, une fois que la caméra tournait. Nick Cave la définit ainsi : ‘’Cette journée est à la fois réelle et moins réelle, plus vraie et moins vraie, plus intéressante et moins intéressante qu’une véritable journée. Tout dépend du point de vue duquel on se place’’. Cette journée a été conçue autour de deux scènes clés qui permettent à Nick de parler de lui et de ses idées, de façon à pouvoir tirer de ses paroles quelque chose de nouveau, de profond et de solide.
La première scéne est un rendez-vous chez le célèbre psychanalyste Darian Leadern. ‘’Nous voulions quelqu’un de confiance avec qui nous pouvions travailler en étroite collaboration. Nous étions convaincus que Darian amènerait Nick à répondre à des questions de maniére différente que ne le ferait un journaliste, puis de développer à partir de ça…’’, confie Forsyth.
La seconde clé est la visite du chanteur aux ‘’Archives Nick Cave’’, initialement situées à Melbourne, mais reconstituées en Angleterre pour le film. ‘’Nous savions qui si Nick pouvait passer deux jours au hasard à saisir des objets et des photos, il y aurait un véritable cheminement intérieur pour lui ; ce serait une façon de libérer un flot de souvenirs’’.
Les réalisateurs étaient à la recherche de ces moments qui vous donnent des frissons.’’ Cela a eu lieu lorsque Nick parle de Nina Simone à Darian ou lorsqu’il dit avoir ressenti ou avoir été témoin d’une transformation lors d’un concert. On l’a tous senti dans la pièce’’, confie Jane Pollard. Les films précédents de Forsyth et Pollard montrent une fascination pour les concepts d’état altéré, de songe et d’hallucination et pour tout ce qui se passe entre le sommeil et le réveil. D’où ces trois scènes avec Cave dans la voiture. Les réalisateurs souhaitaient trouver le moyen de représenter visuellement ces moments où l’esprit s’échappe et erre dans une autre réalité. ‘’La voiture amène Nick d’un endroit à un autre et structure la journée ; mais c’est aussi le lieu où celui-ci parvient à faire le tri dans ses pensées. La voiture est une extension de l’esprit de Nick, où les autres personnes surgissent dans une sorte de dialogue intérieur’’, dit Pollard. ‘’Peu importe qu’ils soient réellement là ou non’’, conclut Forsyth. Dans la voiture les voix se matérialisent sous la forme de trois personnes qui ont joué un rôle majeur dans la vie de Nick : l’acteur britannique Ray Winstone, l’un des interprètes du film The proposition, écrit par Nick Cave ; le musicien allemand Blixa Bargeld qui, pendant 20 ans, faisait partie des Bad Seeds ; et la chanteuse et actrice australienne Kylie Minogue Cave avec laquelle Nick a enregistré son plus grand tube à ce jour, en 1996.
‘’Nick ne sait pas jouer’’, dit Pollard. Mais il est brillant lorsqu’il est Nick Cave. Il nous fallait donc bâtir des scénarii qui comportent au moins un élément de réalité et de surprise pour lui, où il aurait la possibilité de réagir de façon sincère, de penser et d’être dans le moment présent’’. Nick Cave évoque, souvent avec humour, sa carrière, son épouse Susie à qui il offre une déclaration d’amour sublime, Nina Simone collant son chewing-gum sur le piano de la scène ou exigeant ‘’Champagne, héroïne et saucisses’’, son père qui se transcendait en lui lisant Lolita de Nabokov… Sa voix en off relie le récit en lui donnant une densité poétique rare.
Pour leur premier long-métrage, tourné alors que l’artiste composait son dernier album Push the Sky Away, les deux documentaristes ont construit une œuvre originale et profonde sur cet homme cultivé, talentueux et drôle. Récompensé au dernier festival de Sundance par les prix de la mise en scéne et du montage dans la catégorie ‘’World Cinéma Documentary’’, 20.000 jours sur Terre est une œuvre hybride, à la frontière du documentaire et de la fiction, sur ce musicien, icône du rock depuis les années 1980 avec son groupe mythique. Les deux cinéastes sont issus du monde de l’art contemporain et leurs créations sont très proches de la scène musicale. Invités à filmer l’enregistrement du dernier album de Nick Cave en 2013, les trois artistes ont eu l’idée de développer un projet parallèle, autour de la personne du musicien. Prenant pour point de départ les carnets de notes de Nick, le film se construit suivant une forme atypique, mêlant voix off, dialogues avec des personnalités phares dans la carrière de Nick et des extraits de concerts où l’artiste se dévoile peu à peu.
Dans la lignée du film One Plus One de Jean-Luc Godard, 20.000 jours sur Terre apporte une vraie singularité au genre très codifié du documentaire musical car, ici, il s’agit moins de découvrir qui se cache derrière le vrai Nick Cave que d’entrer dans le mystère de la création artistique. Ce film est très intéressant, si on arrive à ne pas ‘’décrocher’’ dans tous les allers et retours qui nous entraînent dans l’invention musicale d’un artiste qui trace sa route entre la notoriété qu’il veut préserver et une image de lui plus intime et plus complexe qu’il veut faire connaître.
Claude D’Arcier - Décembre 2014
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