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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

DHEEPAN
Réalisateur : Jacques Audiard
Sortie : 26 août 2015
Palme d’Or du festival de Cannes 2015

 

Un film sur le choc des cultures qui est superbe et poignant.

Affiche du film  "Dheepan"

      Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, où Dheepan a trouvé un travail de gardien, ils se connaissent à peine et tentent de construire un foyer.

Palme d’Or du festival de Cannes 2015, ce film de Jacques Audiard plonge Dheepan, Yalini et Illayaal, trois réfugiés ayant fui la guerre, dans la violence d’une cité de la banlieue parisienne. Un choc des cultures qui est superbe et poignant. Du Sri Lanka à la France, de la guerre civile à la guérilla urbaine, Jacques Audiard emprunte au film de genre pour raconter une splendide histoire d’exil et d’amour. Ce "Dheepan", porté par deux comédiens magnifiques, avait rendez-vous avec le palmarès de ce 68e Festival.

A l’écran, Dheepan est joué par l’étonnant Anthonythasan Jesuthasan, engagé à l’âge de 16 ans par les Tigres tamouls, installé en France depuis le début des années 1990, où il a enchaîné les petits boulots avant de devenir auteur et aujourd’hui acteur. Le film ne raconte pas son histoire mais s’en inspire. L’arrivée en France avec un grand choc culturel, la barrière de la langue, les petits détails du quotidien, à la fois si semblable et si différent... Audiard raconte l’exil avec réalisme mais sans excès, distillant des touches de rêve et des instants de grâce suspendus qui font sa marque depuis le début de son grande carrière derrière la caméra. Ici ils prennent notamment la forme d’un éléphant majestueux, impassible, la trompe usée, qui se dissimule dans la forêt. Dheepan, le personnage, est un peu comme lui. Une force tranquille, imperturbable, abîmé par le passé, mais solide et présent, confiant dans l’avenir.

Peu avant, ces trois personnages ne se connaissaient pas mais ils sont devenus  une famille, unie pour fuir la guerre civile et trouver refuge en France. Dheepan, ancien guérillero indépendantiste, Yalini et leur fille Illayaal sont les héros magnifiques de ce film. Il fallait oser, s’éloigner des têtes d’affiche habituelles et choisir trois inconnus pour réaliser ce film français en tamoul ! Installés dans une cité sensible où Dheepan a trouvé un emploi de gardien, ils vont apprendre à vivre ensemble. Alors qu’ils espéraient en avoir terminé avec la violence, ils sont confrontés à une autre violence, celle de cette cité contrôlée par des trafiquants de drogue. Tandis que Yalini rêve de fuir en Angleterre, Dheepan donne un sens à sa vie en retrouvant ses réflexes de combattant pour protéger sa famille d’adoption. A la fois thriller social, roman d’amour, drame, et conte, Dheepan  ne répond à aucun genre précis, tout  en les mêlant tous. Comme cette scène étonnante  où Yalini tente d’expliquer à un Dheepan impénétrable le sens de l’humour. Malgré la dureté des situations décrites, Jacques Audiard signe un film où la tendresse et l’humanité pointent toujours.

Scène du film  "Dheepan" Le gardien improvisé va prendre goût à cette nouvelle vie à trois. Tout comme Illayal, qui va aller à l’école malgré ses craintes initiales. C’est moins vrai pour Yalini qui rêve de rejoindre sa cousine en Angleterre. Pourtant, elle finit par accepter un job d’auxiliaire de vie chez un vieux monsieur handicapé, habitant l’immeuble d’en face. Et c’est là que Jacques Audiard, et ses coscénaristes Thomas Bidegain et Noé Debré, font évoluer leur récit vers un autre genre, plus violent. Brahim (Vincent Rottiers), le neveu de l’employeur de Yalini, fait son retour dans la cité après un séjour prolongé en prison. Bien vite, on découvre qu’il est l’un des acteurs principaux du trafic de drogue qui pourrit cette cité, où l’on n’apercevra pas l’ombre d’un flic jusqu’à la fin du film.

Alors, la justice, c’est Dheepan qui va la rendre. Pas au nom d’une quelconque revendication politique, comme dans son existence précédente. Mais parce qu’il veut préserver cette paix qu’il est venu chercher, à des milliers de kilomètres de chez lui. C’est aussi sa nouvelle famille qui donne désormais un sens à son existence. Oscillant en finesse entre le mélo, la chronique sociale et le thriller, Dheepan est un film à la fois fort et doux, magnétique et beau comme le visage de ces deux comédiens. Leur histoire d’amour, qui est née sur les décombres de la guerre, va se sceller dans un chaos final qui nous émeut profondément.

Au départ, l’homme et la femme ne se connaissent pas, comme le public du film qui ne sait en général pas grand-chose de la guerre qui ravage leur pays, qui ne connait rien de ces personnages qui doivent paraître intimes. La bonne idée du film est de mettre le spectateur à égalité avec cette fausse famille; ils doivent se découvrir mutuellement et, tout en étant de faux époux et de faux parents, s’occuper pour de vrai de l’enfant, et, pourquoi pas, finir par s’aimer. Car Dheepan  est aussi le récit d’un amour qui naît. On suit Dheepan, ex-chef de guerre au sein des indépendantistes tamouls, parachuté gardien dans une cité, aussi délabrée que violente et appelée ironiquement ‘’Le Pré’’, elle aussi en guerre civile. De quel genre de guerre s’agit-il ? Comment comprendre ces règles étranges liées au trafic de drogue ? C’est la première fois que la vie d’une cité est montrée à travers les yeux de migrants qui doivent tenter d’interpréter les règles et d’y décrypter les mœurs, quitte à se tromper. Par exemple Dheepan propose à sa fausse épouse de porter le voile : « Ça a l’air d’être comme ça en France. » La femme, qui est chrétienne, refuse. Elle est embauchée par des trafiquants de drogue, comme aide familiale chez un vieil homme invalide chez qui ils ont installé leur quartier général. Le caïd et la femme cherchent à se parler. Quand on ne se comprend pas, on peut quand même se parler et de se faire des aveux, c’est ce que montre le film, dont les dialogues sont en grande partie en tamoul. Celle qui s’intègre le mieux est l’orpheline, prise en charge par l’école et très vite chargée d’être l’interprète de ses faux parents.

Les problèmes rencontrés par Dheepan sont les mêmes que ceux de l’acteur qui joue son rôle, lorsqu’il est arrivé en France.  En France, l’acteur Anthonythasan a dû effectuer tous les petits jobs que l’on peut  imaginer. Sans-papiers, il a distribué des petites annonces dans les halls d’immeuble. Il a été ensuite cuisinier, puis valet de chambre à Disneyland Paris. Dernièrement, il travaillait dans un supermarché. “Lorsque j’aurai épuisé ma paie du film, peut-être que je retournerai faire la plonge dans un restaurant”, dit-il en souriant, avant de préciser que son vrai métier, c’est “écrivain”. Paru en 2001, son premier roman, intitulé Gorilla, raconte ses souvenirs d’enfant soldat tandis que le second, Traitor, évoque le massacre de prisonniers politiques par le gouvernement sri-lankais. Le troisième a dû sortir en juillet 2015. De son personnage, l’acteur estime qu’il lui ressemble ‘’à 50 % seulement… La différence, c’est que je n’avais pas la même approche que lui. Dans le film, il garde ses qualités de militant, de soldat. Moi, j’avais complètement rompu avec ce passé guerrier”. Du Sri Lanka, Antonythasan parle avec une pointe d’émotion dans la voix, même si une partie de sa famille l’a rejoint en Europe. ‘’Mon pays me manque, oui. Je pourrais y retourner demain, à condition d’avoir la même liberté d’écrire que celle que j’ai en France.’

 

Le film, porté par une mise en scène de haute volée, retrace le parcours de ces migrants, de la violence de la guerre civile à la paix relative et à la joie d’un amour naissant, jusqu’aux dernières scènes plus discutables en forme de revange moovie sanglant. Comme souvent chez Jacques Audiard, c’est dans la violence que s’opère la rédemption. On peut en discuter.

 

Claude D’Arcier - octobre 2015

 

 


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