Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Le conformiste
Réalisateur : Bernardo Bertolucci
Sortie : 1971 - 4 novembre 2015
Depuis son enfance, Marcello est hanté par le meurtre d’un homosexuel qu’il croit avoir commis. En quête obsessionnelle de rachat, il s’efforce de rentrer dans le rang. Il épouse Giulia, une jeune bourgeoise naïve. Fasciste par conformisme, il est envoyé par les services secrets de Mussolini en mission en France pour approcher et supprimer son ancien professeur de philosophie en exil qui lutte au sein d’un groupe de résistance antifasciste. A Paris, Marcello rencontre le professeur en compagnie de sa séduisante femme Anna, du même âge que Giulia.
Ce film est une belle réussite. Le scénario est très fort et nous montre un petit professeur, fasciste par conformisme, acceptant une mission dont le dénouement va lui échapper et qui révélera sa lâcheté. Les décors italiens dans le style mussolinien sont assez prodigieux. La caméra donne le vertige, accumulant des travellings insensés et des plans séquences vertigineuses. L'interprétation est excellente avec Jean-Louis Trintignant très impressionnant de complexité et d’ambiguïté, Quant à Sandrelli et Sanda elles nous enchantent car elles sont très joliment filmées. Certaines scènes resteront en mémoire, comme le fonctionnaire avec des noix sur son bureau, le père dans son asile, la scène du bal à Nogent, et la scène finale où Trintignant dénonce son ancien ami. Seule la scène de l'assassinat du professeur et de sa femme est un peu longue, mais ça n'empêche pas le film d'être un réel chef d'œuvre du cinéma italien.
"Le conformiste", c’est le portrait de l'homme qui cherche à survivre à tout prix. Il travaille dans les services d'espionnage, pendant le gouvernement de Mussolini. Jean-Louis Trintignant incarne cet homme opportuniste, qui navigue au gré des circonstances et ne ressent absolument rien pour personne, ni amitié ni amour. Seule sa survie compte pour lui. Bernardo Bertolucci écrit une critique virulente contre le régime de Mussolini, en montrant les ravages de cette idéologie sur les personnes. Toutes les scènes comptent, toutes les phrases des différents personnages traduisent leurs diverses personnalités et l'on devine tout de suite qui sont les moutons et ceux qui ne veulent pas se soumettre à l'autorité de l'époque. Dominique Sanda incarne une femme courageuse, forte de caractère, belle comme le jour, séduisante, s'opposant à tous les principes de bienséance et à toutes les conventions. Bref une femme qui aime la vie, tout en défendant une vision contraire à l'ordre fasciste. Tiré du roman de A. Moravia, le film propose un scénario d’une grande profondeur, qui figure comme l'un des premiers longs-métrages engagés contre l'idéologie du parti fasciste italien. Bertolucci nous montre aussi comment un homme qui se dit amoureux d'une femme peut la trahir au point de la regarder se faire massacrer sans tenter d'intervenir. ‘’Le conformiste’’, pour le réalisateur, c’est un homme ignoble, qui accepte les avantages et les inconvénients de son parti, mais qui n'hésite pas à retourner sa veste lorsque le succès politique change de camp dans son pays. Cette image d’un homme du vingtième siècle, vivant durant la période la plus raciste de la seconde guerre mondiale, montre qu'il n'est qu'un barbare, un tueur, un être égoïste qui ne respecte rien ni personne du moment qu'il peut retirer son épingle du jeu. Ces hommes sont des collaborateurs, insensibles et cruels ; leur violence est volontaire, leurs actions sont la torture et le meurtre. Bernardo Bertolucci réalise un portrait virulent et réaliste de cette période de crise économique qui a laissé le pouvoir à la haine et à la barbarie. Un long-métrage essentiel et toujours d'actualité. Un chef-d’œuvre à voir ou à revoir avec grand plaisir.
Il faut aussi parler de la photographie de Vittorio Storaro qui est une hallucination visuelle, comme le seront ‘’Apocalypse Now’’ et ‘’Le Dernier empereur’’, un autre chef-d’œuvre de Bertolucci. Entre les danses lascives et la musique lancinante de Georges Delerue, le personnage de Marcello erre et se souvient. Il se souvient d'événements qui l'ont conduit au drame évoqué dans le film, de sa carrière, de son enfance (dont un événement particulièrement ignoble qui serait le moteur de ses convictions politiques), qui sont évoqués par des scènes de flash-back aussi élégantes que les personnages et les crimes qu’ils commettent. Car même le meurtre, même le sexe peuvent être accomplis avec élégance pour Bertolucci. Marcello tombe amoureux d'une femme qu’il va trahir, il s'attache à des convictions qu'il quittera le lendemain. Conformiste ? Certainement pas. C'est un personnage tiraillé par ses idées, ses supérieurs, les femmes qui l'entourent. Lorsque Marcello est pris dans une joyeuse farandole dont il ne peut s'échapper, on comprend qu'il s'est pris dans les mailles d'un terrible filet. Il paraît en sortir indemne, mais sans doute en proie à la folie. ‘’Le Conformiste’’ est une longue rêverie sur les années trente, magnifiquement reconstituées : décors, voitures, costumes... Dans un train, le soleil couchant accompagne les amants qui s'endorment ; dans une pièce sombre, on fait jouer les ombres pour créer une caverne platonicienne.
Comme dans ‘’La Luna’’ et dans ‘’Le dernier empereur’’, Bertolucci met en scène un homme poursuivi par son passé et en quête de son identité, souhaitant a tout prix se fondre dans la masse, En niant tout ce qui le différencie des autres, il adhère au fascisme et finit par agir contre ses propres sentiments. Les scènes finales, montrant la fin du régime mussolinien et par conséquent l'éclatement de toutes ses illusions, ont un parfum d’apocalypse. Une fois de plus, Jean Louis Trintignant est extraordinaire Transposant à l’écran le roman d’Alberto Moravia, Bernardo Bertolucci dépeint avec une grande puissance la décadence d’une bourgeoisie prise dans le tourbillon de l’histoire. Ce tableau d’une époque, sublimé par le raffinement extrême de la mise en scène, se double d’une plongée saisissante dans l’inconscient d’un homme qui cède aux sirènes du fascisme par besoin de se fondre dans la masse. Écrasé par le gigantisme de l’architecture totalitaire – certaines scènes ont été tournées au Palazzo dei Congressi, dessiné et construit par Adalberto Libera pour le gouvernement de Mussolini –, Jean-Louis Trintignant donne une épaisseur bouleversante à ce personnage impénétrable. C’est au fond un drame sur la banalité du mal, toujours à l’œuvre dans notre monde. Un très grand film donc, qui confirme Bertolucci comme un très grand réalisateur.
Claude D’Arcier - janvier 2016
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