Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Mia Madre
Réalisateur : Nannni Moretti
Sortie : 2 décembre 2015
Rien ne va plus, dans la vie de Margherita : le tournage de son film est chaotique, sa mère est à l’agonie, son couple se délite, sa fille s’éloigne et ses certitudes volent en éclats. A travers ce magnifique autoportrait masqué, Nanni Moretti se dévoile sans jamais s’exhiber, confiant le rôle de son double à Margherita Buy, sa sœur dans le film, en évitant tout pathos.
Dans Mia madre, on peut distinguer trois films différents : le premier, politique, raconte un conflit social dans une usine ; le second, plus comique, évoque le tournage chaotique de ce premier film par Margherita (Margherita Buy), qui est en conflit permanent avec son acteur américain, Barry Huggins (John Turturro) ; et enfin le troisième relate l’agonie de la mère de Margherita, soutenue par son frère (Nanni Moretti), qui est un observateur effacé et bienveillant.
Le metteur en scène du Journal intime se raconte à nouveau dans Mia madre : il parle de son métier de cinéaste, des doutes qui concernent son engagement politique, de l’angoisse de la mort et de la volonté de continuer à vivre malgré tout. Mais il fait cette autobiographie au féminin, autour du personnage de Margherita, femme active d’une cinquantaine d’années, autoritaire et totalement débordée, dans sa vie personnelle comme dans son travail de cinéaste. Désemparée par la mort prochaine de sa mère, elle n’arrive pas à prendre le recul nécessaire, comme son frère qui a réponse à tout. Par ailleurs, les scènes de tournage de son film, que l’on suit dans un récit parallèle souvent très drôle, ne sont pas faites pour lui redonner le moral. L’acteur américain, Barry Huggins, très cabotin, ne manque pas les occasions de se vanter d’une pseudo-rencontre avec Stanley Kubrick, alors qu’il est incapable de mémoriser trois lignes de son texte.
Bref, Margherita ne sait plus trop où elle va. Le conseil abstrait qu’elle donne habituellement à ses acteurs (‘’rester à côté de son rôle, pour qu’on voit à la fois le comédien et le personnage à l’écran’’) s’applique bien à son état du moment. Elle est à côté de ce qui se passe.
Dans un style classique, Moretti construit son film sur un rythme binaire, alternant comédie et mélodrame de façon très équilibrée. On rit devant les extravagances de Barry Huggins, magnifique personnage, en particulier dans la scène du tournage où il improvise une danse avec une des techniciennes du film. Mais on a aussi le cœur serré quand on comprend, au moment des adieux, l’ampleur de ce qui arrivera après soi alors qu’on ne sera plus là pour le voir.
Quatorze ans après La chambre du fils, Nanni Moretti offre un nouveau film où il est question de mort et de renaissance. Contrairement à la Palme d’Or de 2001, Mia madre ne commence pas par une disparition brutale et insupportable, mais par le tournage d’un film social dirigé par l’irascible Margherita dont on découvre peu après que la mère se meurt à l’hôpital. Toute l’intrigue est rythmée par ces incessantes allées et venues entre le plateau et l’hôpital, entre la vie racontée, l’action filmée et la mort annoncée.
Nanni Moretti n’est pas loin de réussir une alchimie parfaite avec ce film d’une grande fluidité, à la fois grave et léger, embrassant large sans jamais manquer de justesse ni de profondeur. Toutes les strates de la vie s’y déposent en une même vision poignante suscitée par le départ prochain de la mère aimée. « Elle nous a appris la vie, elle fera toujours partie de nous », dit le frère à sa sœur. Dans un geste d’effacement humble et pudique, Nanni Moretti transfère cette réflexion venue du tréfonds de l’intime dans un superbe rôle de femme, qui aurait bien pu valoir un prix d’interprétation à Margherita Buy, bouleversante de fragilité derrière sa rudesse et son apparente inaccessibilité.
Pour moi, c’est un des plus beaux films de Nanni Moretti, une œuvre touchant à des choses essentielles, si gracieuse dans sa manière de tout lier et de tout emporter, tristesse et amour, comique et tragique, misanthropie et humanisme. Mia Madre est une œuvre universelle, qui parle du fond de cet endroit mystérieux où les êtres peuvent s’atteindre, démunis, désarmés mais pourtant si vivants.
Claude D’Arcier - janvier 2016
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