Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
L’Humour à mort
Réalisateur : Daniel et Emmanuel Leconte
Sortie : 16 décembre 2015
Le 7 janvier 2015, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo était victime d'une attaque terroriste qui allait coûter la vie à douze personnes dont les plus grands dessinateurs de presse français, Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré. Le lendemain, une policière est tuée dans la rue. Le 9 janvier, une nouvelle attaque visait des juifs de France. Quatre otages ont été assassinés. Ce film est un hommage à toutes ces victimes.
Ce documentaire poignant de Daniel Leconte, et de son fils Emmanuel, revient sur l'attentat meurtrier contre « Charlie Hebdo » et le choc qu'il a provoqué dans le pays. Reprenant des extraits de C’est dur d’être aimé par des cons, documentaire sorti en 2008 sur le procès des caricatures de Charlie Hebdo, ils y joignent des images des manifestations consécutives au 7 janvier et aux jours qui ont suivi, recueillent la parole des survivants (Coco dessinatrice, le directeur de la rédaction, Éric Portheault le cogérant, et Riss) et font intervenir des intellectuels sensés, comme Élisabeth Badinter ou Philippe Val. Ce tour d’horizon des événements remet les pendules à l’heure et surtout, la question de la liberté d’expression au centre du débat. Il nous fait pleurer, et rire à la fois. L’année 2015 ne s’achève donc pas sans les visages, les voix, les vannes et la mauvaise foi de tous ces journalistes, dessinateurs, auteurs, qui nous manquent.
Les auteurs veulent ‘’redonner vie aux assassinés, leur redonner la parole’’. Ce documentaire retrace le film des événements, avec des témoignages à vif en images d'archives, en passant aussi par le gigantesque rassemblement qui installa, pour un temps en France, ‘’l'esprit du 11 janvier’’. ‘’C'est un peu, poursuit le cinéaste, comme si les victimes répondaient aux tueurs en leur disant : Vous avez hurlé que vous aviez tué "Charlie", la preuve que non. On est toujours vivants’’. A l'heure où le pays vient de connaître à nouveau, le 13 novembre dernier, le massacre que l'on sait, ce film aide à se souvenir que la fraternité est essentielle alors même que la meurtrissure est encore si vive dans nos mémoires.
Réalisé dans l'urgence et l'émotion, ce documentaire qui réunit témoignages et archives, moins d'un an après les attentats de janvier dernier, est un hommage poignant au talent et au courage de l'équipe de “Charlie Hebdo”.
De son premier film de 2008, Daniel Leconte a tiré des témoignages vibrants et drôles : Tignous, Cabu et Charb revivent, souriants, presque gênés d'être ceux par qui le scandale arrive. Cette fois, c'est dans l'écoute des survivants que Daniel Leconte excelle : Coco, mais aussi Riss et le directeur du journal.
Comme le remarque Pierre Murat, journaliste à Télérama, on apprécie aussi la remise en cause de certains organes de presse qui ne sont pas associés à la publication des caricatures de Mahomet ; ce qui fait que la rédaction de Charlie Hebdo s’est retrouvé seule, en première ligne. De même est bienvenue la parole de Soufiane Zitouni, philosophe et professeur Soufiane Zitouni, déclarant :’’On n’a pas besoin de musulmans modérés mais courageux ». Comme pour conjurer l'horreur, c'est en chansons que se termine le film : une fête de copains au cours de laquelle Cabu entonne Fleur bleue et La Tarentelle de Caruso, de Charles Trenet. Hélas, depuis le 13 novembre, c'est l'horreur qui l'a emporté.
Manifestations, conférences de presse à Libération, récit poignant et dévastateur du scénario de l'attentat par Coco, contrainte, un canon dans le dos, d'ouvrir le chemin aux assassins, mots simples de la sidération — le claquement sec, « un bruit de merde, tac tac », des tirs de kalachnikov — présence bouleversante de la chienne de Riss protégeant et léchant le visage de son maître (‘’elle a tout vu’’), L'Humour à mort frappe fort parce qu'il se tient au bord du drame. Ce choc ricoche et s'amplifie avec les événements du 13 novembre. On sort de là essoré mais tellement réveillé, poursuivi par des remarques inattendues : « Auriez-vous pu penser que vous puissiez être un jour la France ? » demande l'un des deux documentaristes à Philippe Val qui fut directeur de l'hebdomadaire.
Ce film est surtout une œuvre vivante et sensible. On peut oublier le déroulement précis du drame, chacun peut en fonction de l'endroit où il se trouvait, où il est tombé, donner sa propre appréciation de la tragédie, mais cette parole récoltée dans l'urgence produit une vérité poignante qui aujourd'hui, loin d'être ensevelie par les nouveaux attentats, redouble d'acuité.
Ce devoir de mémoire est mieux qu'un bon film. C'est une bonne action.
Claude D’Arcier - Février 2016
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