Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
Francofonia, le Louvre sous l’Occupation
Réalisateur : Alexandre Sokurov
Sortie : 11 novembre 2015
1940. Paris, ville occupée. Et si, dans le flot des bombardements, la guerre emportait La Vénus de Milo, La Joconde, Le Radeau de La Méduse ? Que deviendrait Paris sans son Louvre ?
Deux hommes que tout semble opposer – Jacques Jaujard, directeur du Louvre, et le Comte Franz Wolff-Metternich, nommé à la tête de la commission allemande pour la protection des œuvres d’art en France – s’allient pour préserver les trésors du Musée. Au fil du récit de cette histoire méconnue et d’une méditation humaniste sur l’art, le pouvoir et la civilisation, Alexandre Sokourov nous livre son portrait du Louvre.
‘’Qui voudrait d’une France sans Louvre ? Ou d’une Russie sans Ermitage ? La plus heureuse des villes n’est pas à l’abri d’un désastre… Les Français devront composer avec un ennemi diplomate et puissant’’. C’est sur cette question que s’ouvre la dernière réalisation d’Alexandre Sokourov, rencontre expérimentale, presque opaque, du roman historique, du traité politique, de l’essai artistique et d’un discours philosophique.
Ce film raconte l’histoire du sauvetage des œuvres du Louvre. Compte tenu de la menace de guerre provoquée par l’invasion des Sudètes par l’armée allemande, les collections du Louvre sont empaquetées les 27 et 28 septembre 1938, sur ordre du directeur du Louvre, Jacques Jaujard, et transportées par camions au château de Chambord, selon un plan préparé depuis longtemps par la Direction des musées nationaux.
Début septembre 1939, Jaujard répète la procédure afin de protéger les œuvres des possibles bombardements. D’autres châteaux, notamment dans la Vallée de la Loire, sont réquisitionnés, avec le consentement de leurs propriétaires, pour accueillir les collections.
Au printemps 1940 en Allemagne, le conservateur de la province de Rhénanie, le comte Wolff-Metternich, est nommé à la tête de la commission pour la protection des œuvres d’art. De nombreuses raisons parlent en faveur de la création d’un Département de Protection des Œuvres d’Art, par exemple l’expérience de la Première Guerre Mondiale, pendant laquelle de précieux biens culturels avaient été perdus à jamais, et également l’intérêt pour les nombreux trésors d’art allemands qui se trouvaient en France depuis les guerres napoléoniennes. La coopération des deux hommes aura permis le sauvetage du musée et de ses œuvres.
« Que serions-nous sans les musées? » Cette question, centrale dans l’esprit du cinéaste russe Alexandre Sokourov, hante son nouveau film, qui prolonge celui qu’il avait ramené de Saint-Pétersbourg : dans L’Arche russe (2003), il arpentait les couloirs de l’Ermitage en un époustouflant plan-séquence de 90 minutes.
Avec cette nouvelle œuvre, le cinéaste semble composer avec ses habitudes. Il en résulte ici un montage patchwork, une écriture découpée, fonctionnant par paragraphe. FRANCOFONIA est une sorte de dissertation à la hiérarchie logique mais n’échappant pas pourtant aux digressions, avec des envolées lyriques qui ne cachent pas une posture égocentrique.
En évoquant l’art, la dictature, la mémoire et son rôle de relais, Sokourov, après son Élégie de la traversée et L’arche russe, continue son cycle thématique sur l’importance du musée dans l’inconscient européen. Ce qu’il y a de plus étonnant dans son approche de ces collections du souvenir, c’est qu’elle possède deux aspects très différents : d’un côté, le plus évident puisque le cinéaste russe le répète inlassablement, est celui de sa propre fascination pour ces constructions mémorielles que sont les œuvres d’art ; et l’autre, qui traverse son texte, est une analyse politique schizophrène sur le ‘’poutinisme’’ et sur l’état actuel de la politique européenne.
Francofonia procède par illustrations, avec des techniques multiples. De l’image d’archive à la fiction, de la webcam à l’effondrement du quatrième mur, Sokourov réalise un fantastique travail de mélange et de mise en parallèle, en transcendant sa perspective à chaque changement de cadre. Il doit beaucoup à son chef opérateur Bruno Delbonnel, qui produit des images superbes.
Mais l’œuvre présentée par Sokourov présente aussi des limites. Dans la succession parfois un peu chaotique de la palette d’esprits qu’il s’amuse à mélanger, le spectateur pourrait être laissé sur le carreau. Car avant d’être un film, Francofonia est une expérience à vivre, une tentative de cinéma ambitieuse et particulière. L’essai est courageux, mais l’indigestion n’est jamais très loin. A trop vouloir trop jouer avec le spectateur, le cinéaste perd parfois de sa sincérité et ses intentions politiques sonnent souvent faux.
« Qu’aurait été la culture européenne sans l’art du portrait? », se demande Sokourov, fasciné par ces tableaux, ces portraits figés dans le temps. Ces visages d’une humanité disparue, ces images d’un peuple éternel, que refusent d’autres civilisations, représentent, pour lui, la clef de voûte de la culture occidentale, son legs le plus précieux. Comment ne pas comprendre que, pour lui, c’est le cinéma qui remplit aujourd’hui cette fonction.
Claude D’Arcier - Février 2016
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