Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma
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Réalisateur : Joachim Trier
Sortie : 11 novembre 2015
La préparation d’une exposition consacrée à la célèbre photographe Isabelle Reed, trois ans après sa mort accidentelle, amène son mari et ses deux fils à se réunir dans la maison familiale. Refait alors surface un secret qui plonge leurs vies, apparemment calmes, dans le chaos. Féru de littérature, Joachim Trier signe un nouveau film où l’écriture apparaît comme un acte libérateur. Une œuvre subtile et imaginative servie par un casting prestigieux (Isabelle Hupper, Gabriel Byrne). Librement inspiré du roman Feu follet (1931) de Pierre Drieu la Rochelle, le film insiste davantage sur la souffrance des enfants (Jesse Eisenberg, l’aîné et Devin Druid, le cadet) que sur les travaux de leur mère. Entre scènes de rêve et réalité brutale, le réalisateur explore la vie intime d’une femme complexe, vue par les yeux de ceux qu’elle a marqués à jamais. Si le film comporte quelques longueurs, il livre une réflexion passionnante sur la force des images et la libération que peut apporter l’écriture après un décès. Trois ans après sa mort, Isabelle Reed n’a finalement jamais été aussi présente. Bien plus que lorsqu’elle était vivante et qu’elle s’absentait pour couvrir les conflits du monde en tant que photographe de guerre. Bien plus que lorsqu’elle rentrait, toujours absente d’une autre manière, marquée par ce qu’elle avait vu, ayant du mal à renouer avec une vie familiale. Alors qu’une exposition qui lui rend hommage se prépare à New-York, son mari Gene et leurs deux fils, Jonah et Conrad, n’ont pas encore fait leur deuil. Conrad (formidable Devin Druid), adolescent mal dans sa peau de 15 ans, se réfugie dans le monde virtuel des jeux vidéo. Jonah, l’aîné qui masque sa peine derrière la façade d’une réussite sociale et familiale, découvre une autre facette de sa mère tandis qu’il classe ses clichés. Et Gene qui tente de renouer avec une vie normale, partagé entre les non-dits pour protéger ses fils et la vérité douloureuse mais libératrice. En mêlant les points de vue des protagonistes, les rêves, les souvenirs et la réalité, Joachim Trier, réalisateur norvégien du film remarqué Oslo, 31 août (2011), livre une œuvre délicate et touchante sur la famille, l’adolescence et l’absence.
Présenté en compétition à Cannes sous le titre Plus fort que les bombes, le film de Joachim Trier a été rebaptisé Back Home, suite aux attentats de Paris. Car rien ne doit permettre d’associer cette chronique familiale, qui n’évoque aucunement le terrorisme, aux tueries du 13 novembre dernier. ‘’Le film décrit comment ses proches doivent faire face au décès accidentel d’une femme de caractère’’, confiait l’acteur Gabriel Byrne à 20 Minutes en mai dernier. C’est l’histoire de trois hommes et un décès. Trois hommes (son mari et ses fils) qui préparent une exposition posthume d’une photographe de guerre, décédée brusquement trois ans auparavant. ‘’Ils ignorent encore s’il s’agit d’un accident ou d’un suicide, ce qui les empêche de faire leur deuil’’, explique Gabriel Byrne. ‘’La femme disparue, c’est Isabelle Huppert dont la présence lumineuse relie les nombreux retours en arrière des protagonistes. Elle apporte à son personnage une présence qui dure même lorsqu’elle n’est plus à l’écran’’, reconnait Byrne.
Joachim Trier montre, alternativement et sans coupure nette, les points de vue des deux fils et celui des parents. Il montre les songes et les souvenirs de chacun, y compris ceux de la défunte, qui était une photographe de guerre connue — d'où le titre originel Sous les bombes. Ses archives s'intègrent au patchwork visuel qui s’établit entre les scènes, qu'il s'agisse d'images mentales des personnages ou de celles puisées sur le Net par Conrad, le cadet.
La lecture du synopsis laissait prévoir un film psychologique avec des jeunes mal dans leur peau et un père désorienté par son deuil. Pourtant, dès le très beau plan d'ouverture - la main d'un père qui serre celle de son nouveau-né -, Joachim Trier donne une grande douceur à son récit, y apporte une profonde humanité et un refus du mélodrame hystérique.
Comme le remarque Yannick Vely dans sa critique de Paris-Match, Trier se permet même quelques touches d'humour, dans les dialogues entre les frères notamment. Son sens de la narration apporte une vie naturelle, avec des apartés surréalistes, des voix-off, des photos, qui donne au drame psychologique une dimension presque expérimentale. Bien sûr, ce qui se joue ici, la reconstruction d'une famille après un deuil, les émois d'un adolescent au lycée, a déjà été filmé à de multiples reprises (et parfois mieux), mais Joachim Trier s'approprie le sujet avec élégance et fluidité. Et chaque pièce du son puzzle s'assemble sans forcer, avec naturel et simplicité. Après la mort d'une mère et épouse, une famille comme un assemblage de solitudes qui s'entrechoquent en sourdine. Depuis la mort d’Isabelle, épouse et mère à mi-temps, que reste-t-il de l'absente, en dehors de ses célèbres clichés bientôt exposés ? Un veuf dont les secrets ont été trop longtemps tus, et deux fils qui réinventent les souvenirs d'une femme invincible, et pourtant infiniment vulnérable. Une famille comme un assemblage de solitudes qui se cherchent dans le bouleversement provoqué par cette absence dont il faut lever, progressivement le mystère. Le sujet du film est intéressant et les acteurs excellents. La mise en scène de Trier ne manque pas d’élégance. C’est cependant le scénario qui se révèle le plus impressionnant par sa construction et sa subtilité.
Claude D’Arcier - Février 2016
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