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Visionnaire de l'invisible
La littérature

J’étais étranger et vous m’avez accueilli
Enzo Bianchi
(Lessius - 2008)

 

L'étranger dans la Bible et dans la Vie...

 

Dans nos pays d’Europe et de vieille chrétienté, la question de l’étranger, de l’immigré et du réfugié se fait chaque jour plus pressante. L’immigration, qui a toujours été présente, devient un phénomène d’une grande actualité car il connaît des proportions inédites et une accélération nouvelle. Les questions qu’elle pose ne peuvent plus se satisfaire de réponses convenues, qu’elles soient politiques ou spirituelles.

Certes, il faut reconnaître qu’il y a des limites à l’accueil de l’autre, qui sont conditionnées par les capacités du pays d’accueil à  lui fournir les conditions d’une vie normale et digne. Mais, nous sentons bien qu’il nous faut engager, à frais nouveaux, une réflexion sur « le sens de notre vie civile en commun ». C’est ce que propose l’auteur.

 

Après la longue période de la « chrétienté », qui établissait l’Eglise en position dominante dans le monde occidental, les chrétiens doivent aujourd’hui reconnaître et accepter leur situation minoritaire et retrouver leur vocation à l’exil parmi les nations. C’est peut-être la grâce du moment qui leur est offerte, d’être invités à redécouvrir leur situation « d’étranger et de pèlerins » en ce monde, comme le dit l’apôtre Pierre (1 P 2/11), la condition d’ « extranéité » que l’Evangile définit comme une « présence dans le monde sans être du monde », ainsi que l’exprime la prière de Jésus pour ses apôtres qui «n’appartiennent pas au monde comme moi je ne suis pas du monde » (Jn 17/15-19).

Cette condition d’extranéité indique à l’Eglise que les formes culturelles, dans lesquelles elle exprime son message au cours des siècles, sont transitoires et provisoires. Elle invite à faire la différence entre la « vérité », cette dimension profonde que chacun découvre en partie sans jamais la posséder totalement, et ses traductions concrètes dans les cultures humaines. Le Concile Vatican II a osé dire que les  autres religions aussi « apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostra aetate 2). En découvrant la présence de ces « semences de vérité », de ces « pierres d’attente », de ces « signes des temps » dans la vie du monde, l’Eglise pourra se découvrir elle-même « levain dans la pâte », annonce et préfiguration d’une dimension qui la dépasse  infiniment, tout en l’habitant intimement, et qu’elle nomme « le Royaume de Dieu ». Alors, l’annonce du message chrétien se réalisera dans un mouvement dialectique entre la « déculturation » de l’évangélisateur et l’ « inculturation de l’Evangile », qui permettra que l’autre ne soit plus un simple objet à conduire vers ma vérité, mais un sujet, un frère à accueillir dans sa vérité. Ainsi, « le discernement de ma propre vérité ne pourra se faire sans l’autre, et encore moins contre l’autre », écrit Enzo Bianchi, « mais dans la rencontre entre sujets différents, entre étrangers qui découvrent qu’une compréhension et qu’une relative communion sont possibles, précisément parce l’on a renoncé à se comporter en patrons, en détenteurs uniques du sens et en propriétaires de la vérité…Les autres ne sont pas les adversaires de la vérité, mais bien plutôt des occasions pour s’interroger, rechercher, approfondir » (p. 13).

Aujourd’hui, un défi est lancé à tous les citoyens du monde : celui d’apprendre, ensemble et les uns par les autres, à articuler vérité et altérité dans le sens de la communion et de la rencontre, et non plus dans l’arrogance et l’exclusion. Or, de nos jours, se manifeste parfois une certaine nostalgie de la chrétienté qui conduit à imposer une foi ou une morale que le christianisme ne peut que proposer. Or l’Evangile nous invite à ne pas nous comporter à la manière des grands de ce monde (Lc 21/25).

C’est dans ce cadre que l’auteur propose quelques pistes pour nous « orienter vers une prise en charge consciente de l’extranéité et une pratique crédible et féconde de l’hospitalité ». Et  cela  en  quatre temps :

 

1 – L’étranger dans la Bible.

La question des « étrangers » est souvent ressentie comme une menace, comme une atteinte possible à l’identité culturelle et religieuse de ceux qui accueillent, mais aussi comme une présence critique, capable de les remettre en question.

Dans l’Ancien testament, Israël lui-même est étranger : « Vous avez été étrangers (Le terme hébreu ger désigne l’immigré, l’étranger – résident, celui qui vit au sein d’un peuple qui n’appartient pas à son sang.) au pays d’Egypte » (Ex 22/20). Ce peuple s’est d’abord perçu lui-même comme étranger, au point d’adopter le nom que lui donnaient les autres peuple : ‘ibri, hébreu, ce qui signifie : « habitant au-delà des frontières ». Et c’est précisément, à travers cette extranéité, qu’Israël s‘est découvert comme peuple choisi par Dieu.

Deux récits fondateurs racontent l’origine de ce choix : Le premier est celui d’Abraham, l’ « Araméen errant » à qui Dieu a dit : « Quitte ton pays… » (Gn 12/1). Tout en assumant une différence à l’égard de sa terre d’origine en étant tendu vers la « terre promise » par son Dieu (Gn 15/6-7), Abraham marquera   aussi une rupture par rapport à l’idolâtrie des peuples d’accueil. Le second récit est celui de la libération d’Egypte, sous la conduite de Moïse, qui fait de cette masse d’esclaves, le peuple de Dieu. La petitesse et la fragilité de ce peuple  l’appelleront sans cesse à témoigner de l’amour de Dieu pour le petit et l’étranger

La terre appartient à Dieu (Lv 25/23). Chaque fois qu’il oublie sa différence, qui tient au fait que son identité est définie par sa foi au Dieu de l’Alliance, Israël est ramené à sa condition d’immigré.

Israël  est invité à accueillir l’étranger : Aimez l’étranger (Dt 10/19). L’expérience de la condition d’émigré a été fondatrice pour l’identité du peuple de Dieu. La Torah propose un véritable  ‘’droit de l’étranger’’. « Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous connaissez en effet le souffle de l’étranger » (Ex 23/9). Le Code de l’Alliance (Ex 20/22 – 23/33) marque à la fois une séparation d’avec les populations étrangères et des préceptes en faveur des étrangers. Le peuple d’Israël, qui a été une poignée d’étrangers en Egypte, doit maintenant protéger l’étranger en son sein.

« Tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lv 19/34). Le Code de sainteté (Lv 17-26), rédigé après l’exil, invite à une séparation avec les populations non juives, mais il insiste sur les droits et les devoirs des étrangers. Et cela est fondé sur une considération théologique : « Je suis le Seigneur votre Dieu ». Dans l’amour pour l’étranger, dans l’accueil et la protection de l’immigré, le peuple de Dieu réalise sa vocation.

L’économie du salut peut donc se résumer dans la dilatation de la bénédiction d’Abraham à tous les peuples de la terre (Gn 12/1-3). Si Israël reconnait que son droit est le même que celui des étrangers, alors il bénéficiera du don de la Loi qui est la voie vers la justice et la paix.

Dans le Nouveau Testament, par l’accueil des goyim en son sein, l’Eglise naissante a pris une attitude radicalement universaliste, manifestant qu’elle avait compris le commandement du ressuscité d’aller parmi les « nations » pour en faire des disciples (Mt 28/18-20).

Jésus lui-même a été perçu comme un étranger, parce qu’il a vécu « autrement », en se manifestant « autre » à ceux qu’il a rencontrés : Jean-Baptiste (Mt 11/1-15), sa famille (Mc 3/21), sa communauté religieuse (Mc 3/22), ses concitoyens de Nazareth (Mc 6/1-6) qui le rejettent (Lc 4/16-30). Jésus mettra en scène ce rejet dans la parabole des vignerons homicides (Mc 12/8-12).

L’évangile de Jean expose l’extranéité de Jésus comme un élément central de sa révélation : il vient du Père (Jn 16/28) ; il est sa Parole, devenue chair (Jn 1/14). Luc le présente aussi comme un étranger sur la route d’Emmaüs (Lc 24/18).

Jésus respecte la distance avec les païens, mais il sait la dépasser quand il les voit accueillir la volonté de Dieu (Lc 7/1-10). Il propose même un Samaritain étranger comme exemple d’amour du prochain (Lc 10/29-37). Au jugement final (Mt 25/31-46), l’accueil ou le refus de l’étranger sera attribué « à moi », le Christ qui vient. L’étranger est l’autre, un frère à aimer que nous donne le Père.

L’extranéité de Jésus requière de ses disciples qu’ils deviennent à leur tour étrangers, vivant « dans le monde sans être du monde » (Jn 17/11-16).

Pour Pierre (1 P 2/11), les chrétiens doivent savoir qu’ils résident de manière temporaire parmi les hommes. Le nom des chrétiens sera « ceux de la Voie » (Ac 9/2), c'est-à-dire « ceux qui sont en route », et leur communauté sera toujours étrangère dans la cité du monde.

La dimension d’extranéité de Jésus est donc devenue constitutive de l’Eglise elle-même, communauté pérégrine, précaire, appelée à vivre dans l’attente eschatologique du Seigneur qui vient.  

Lorsque le Seigneur viendra dans la gloire (Mt 25/31), ceux qui auront pratiqué l’hospitalité à l’égard des étrangers découvriront qu’ils auront reçu le Christ lui-même (Mt 25/35-40). Ceux-là sont « amis de Dieu » (Jc 2/23) parce que capables d’amitié pour les hommes !

 

2 – Tous étrangers, appelés à s’accueillir.

Dans toute rencontre, nous sommes toujours deux étrangers, l’un en face de l’autre. C’est ce que rappelle le poète Edmond  Jabès : l’étranger te permet d’être toi-même, en faisant, de toi, un étranger…Et Julia Kristeva : Etrangement, l’étranger nous habite ; il est la face cachée de notre identité… Pourquoi, dès lors, rencontrer l’étranger ? Parce que les hommes sont tous étrangers les uns aux autres.

C’est pourquoi, toute rencontre invite à aller au-delà de la peur de l’autre. Pour cela, il faut bien identifier le caractère de la différence qui est à l’origine de nos peurs. La peur devant la différence éthique est aujourd’hui plus déterminante que la peur devant la différence religieuse ; aujourd’hui, on est devant un brassage d’éthiques diverses, ce qui amène chacun à durcir des positions qui prennent facilement des colorations fondamentalistes. Quand apparaît une différence en matière éthique, par exemple sur les questions de la famille, chacun se sent personnellement menacé. Il faut donc prendre le temps de bien analyser ces différences et ces peurs pour comprendre qui est l’autre dans son altérité. Pour cela, il faut lui permettre de dire lui-même qui il est. De même, les chrétiens dans la société  doivent renoncer à se comprendre sans les autres, même devant le durcissement arrogant des affirmations identitaires qui conduisent  nécessairement à l’opposition frontale. Pour un chrétien, dévoiler son identité, c’est nécessairement s’impliquer dans une rencontre en vérité avec son partenaire.

 

3 – Pratiquer l’hospitalité.

Les étrangers arrivent chez nous, venant de pays, de cultures et de mondes religieux divers, non seulement très éloignés des nôtres, mais aussi très différents les uns des autres. Par conséquent, les « autochtones » ont tendance à se sentir menacés dans leur identité culturelle et religieuse, ils craignent pour leur emploi et leur sécurité, et finissent par ressentir la peur. Nous en arrivons à penser que l’hospitalité se limite à ceux que nous invitons.

Mais l’autre véritable n’est pas celui que nous choisissons, mais celui qui vient à nous : c’est un être humain et ceci doit suffire pour que nous l’accueillions. Pour devenir homme, il faut humaniser sa propre humanité ; celle-ci s’accomplit à travers l’accueil de l’humanité de l’autre. Se considérer comme l’hôte de l’humain qui est en nous, hôte et non maître, peut nous aider à prendre soin de l’humain en tout homme, à sortir de l’indifférence. L’hospitalité humanise d’abord celui qui l’exerce. La manière de pratiquer l’hospitalité révèle le degré de civilisation d’un peuple, et non pas  seulement son développement technologique. L’expérience de la vie monastique peut nous offrir une déontologie de l’hospitalité :

-Garder sa porte ouverte : on choisit d’accueillir l’autre avant même de le connaître.

-Ecouter : il s’agit d’abord d’écouter la présence de l’autre avant ses paroles. Il y a une part d’inconnu en l’autre et dans la rencontre avec lui. Et l’étranger cesse de l’être lorsque nous l’écoutons dans son irréductible différence. Ecouter est une attitude active pour accorder du poids à la parole de l’autre, lui faire place en nous.

-Suspendre son jugement : écarter ses préjugés pour écouter l’autre à qui il appartient de dire qui il est. C’est avant tout une attitude du cœur.

-Pratiquer la sympathie : mettre en œuvre une « observation participative » qui accepte de ne pas comprendre l’autre, mais d’accueillir sa vérité.

-La sympathie ouvre la possibilité d’un dialogue qui peut changer les personnes.

-Donner ce qu’on a : l’autre, qui est devenu une personne dans un dialogue qui croise sa parole avec la mienne, devient destinataire d’un don essentiel : la nourriture. La table est l’espace où la nourriture est partagée ensemble et devient source de convivialité, de communion.

L’hospitalité est un don : pour celui qui accueille comme pour celui qui est accueilli. Elle est un rite de passage à travers un espace librement partagé. Faire place à l’autre ne réduit pas notre espace vital mais, au contraire, il élargit notre demeure et notre horizon.

 

La lecture de ce livre a renouvelé mon désir de fraternité. Il offre une méditation spirituelle profonde qui invite chacun à s’interroger sur sa capacité effective à accueillir l’autre, imprévu, non sélectionné.

Cependant, une chose est cette éthique de la rencontre personnelle, qui me semble très libérante pour aborder l’autre ‘’d’homme à homme’’, comme une personne que je vais découvrir et qui va m’aider à me découvrir moi-même. Socrate ne le recommandait-il pas déjà à ses auditeurs en leur disant : « Connais-toi toi-même » ? Mais autre chose est de trouver la façon d’accueillir dignement la masse des migrants qui arrivent dans nos pays, souvent après un parcours très douloureux. C’est une question politique à laquelle E. Bianchi ne répond pas. Certes, ce n’est pas son propos ; mais une ouverture sur cette dimension politique de l’accueil, à un niveau plus collectif que personnel, aurait été bienvenue pour un chrétien soucieux de faire progresser la qualité de l’hospitalité offerte dans son pays.

Il me semble aussi que le brassage des cultures provoque un métissage, redouté par certains et souhaité par d’autres. Il ne s’agit plus seulement d’accueillir l’autre, ni de découvrir la part ‘’étrange’’ qui est en nous-mêmes, mais d’affronter, lucidement et courageusement, des mutations sociales profondes qui obligent à redéfinir, à frais nouveaux, les bases  qui fondent notre démocratie : liberté, égalité, fraternité.

 

 

 

Mai 2012, Jean-Claude D’Arcier

 

 

 

 

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