Visionnaire de l'invisible
La littérature
Pluralisme et interculturalité
Raimon Panikkar
(Cerf - 2012)
Le monde n'est pas un 'village global'
Le grand théologien Raimon Panikkar a beaucoup réfléchi sur les bouleversements culturels qui marquent profondément nos sociétés et qui interrogent notre façon de vivre ensemble. Dans Pluralisme et interculturalité paru aux éditions du Cerf, l’auteur dénonce le risque de compartimenter notre humanité en ethnies étrangères les unes aux autres alors que beaucoup réduisent notre monde d’aujourd’hui à un ‘village global.’ Cette utopie atteint la réflexion théologique : « L’espoir est maintenant qu’il puisse y avoir une théologie universelle qui créerait un petit coin confortable pour le musulman, un autre pour le non-croyant, chacun étant heureux parce que nous sommes tolérants, n’imposons rien et acceptons tout, chacun étant à sa place… Mais l’autre devient un problème précisément parce qu’il fait irruption dans ma vie et est irréductible à ma manière de voir… » (p.14) Le pluralisme apparaît lorsque le conflit se dessine comme inévitable. « Le pluralisme est aujourd’hui un problème existentiel qui soulève des interrogations aiguës sur la manière dont nous allons vivre notre vie au milieu de tant d’options. (p. 35)
Raimon Panikkar, de mère espagnole catholique et de père indien hindou part de sa propre expérience pour rappeler que l’individu n’est pas la totalité de l’homme qui n’est pas lui-même la totalité de l’humanité qui n’est pas elle-même la totalité de la réalité. L’homme pluraliste dément tous les absolutismes, les fanatismes et les réductionnismes à une unité artificielle. Aucun groupe, aucune vérité, idéologie ou religion ne peut formuler une revendication totale sur l’homme. Pour l’auteur, le pluralisme commence par la reconnaissance de l’altérité.
Vis-à-vis de la religion touchée par le pluralisme, plusieurs attitudes sont actuellement en vogue : certains ont une attitude agressive car ils pensent que leur religion est la meilleure, d’autres pensent que la seule voie pour vivre ensemble est d’être tolérant ou d’avoir une attitude progressive car ces derniers pensent que toutes les religions ont une part de vérité. Pour l’auteur, être tolérant ou progressif sont des attitudes qui se révèlent finalement régressives.
Le pluralisme des religions peut être une chance si chacun change d’attitude. D’abord, il est bon d’avoir un sens de l’histoire car le concept de religion change selon les époques. La culture et l’histoire donnent à chaque religion son langage propre. Il faut aussi éviter l’approximation : peut-on placer sous la même étiquette le confucianisme et le judaïsme ? Ensuite, il faut absolument s’interroger sur sa propre attitude car le pluralisme est une chance quand chacun fait l’expérience de la relativité de ses concepts et de sa condition humaine. Enfin, il serait dramatique de vivre sa religion en fermant les yeux sur la réalité du monde d’aujourd’hui : « Les religions peuvent-elles accepter que le monde ait besoin de trente millions de soldats et utilise 60% de ses ressources pour la guerre ? Les religions peut-elle être aveugle au fait que 20% de l’humanité consomment 85% des sources d’énergie, en disposent et en tirent profit ? … Comment les religions peuvent-elles ignorer ces thèmes dans le monde d’aujourd’hui ? » (p. 109) A ces conditions, l’auteur pense qu’il est possible de maintenir son identité religieuse et de conserver une attitude pluraliste.
Si certaines réflexions de Raimon Panikkar méritent d’être discutées, nous ne pouvons qu’adhérer à ce qu’il écrit à propos des cultures et des religions : « Aucune culture, religion ou tradition ne peut résoudre isolément les problèmes du monde. » (p. 424).
Avril 2012, R Pousseur