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Visionnaire de l'invisible
La littérature

L’insoumise
Laure Adler
(Babel, Actes Sud - 2012)

 

Avoir les outils pour comprendre l’inacceptable

 

De Simone Weil, dans les milieux chrétiens, on connaît, bien sûr, ses écrits spirituels : L’Attente de  Dieu, ou La Pesanteur et la Grâce ; mais moins ses écrits philosophiques ou politiques.

Depuis déjà plusieurs années, Gallimard a entrepris la publication des œuvres complètes de Simone Weil et en particulier ses cahiers de notes qu’elle noircissait abondamment des réflexions que lui inspiraient les dramatiques événements que vivait alors l’Europe.

A la suite de cette publication, il s’en est suivi plusieurs commentaires et essais sur Simone Weil soulignant l’intérêt et la pertinence de sa pensée pour aujourd’hui. On se dit, comme Laure Adler, dans l’introduction à la courte biographie qu’elle a publiée en 2008 sur Simone Weil : qui d’autre qu’elle peut nous permettre de « penser l’événement et de résister intérieurement », « d’avoir les outils pour comprendre l’inacceptable : l’oppression des plus humbles et la précarité de ceux qu’on laisse sur le bord du chemin » ?

Le récit des dernières années de la vie de Simone Weil que nous donne Laure Adler est une bonne introduction pour redécouvrir la profondeur et la pertinence des écrits laissées par la jeune, brillante et engagée philosophe morte à Londres en 1943 à l’âge de 34 ans. Laure Adler remonte le temps et parcours le chemin à l’envers depuis la fin tragique de Simone dans un sanatorium londonien comme si sa mort était la clé secrète qui permettait de percer le mystère de cette vie si exceptionnelle, si dense, si courte. D’ailleurs, s’est-elle laissée mourir ? Elle, qui refusait de s’alimenter, en communion avec les millions de déplacés, de déportés, d’emprisonnés et de blessés de ce terrible conflit qui secoua toute l’Europe. Elle, la pacifiste des années 37-38 qui rêvait, en cette année 43, d’être parachutée en France pour participer au combat de la Résistance.

Au moment d’être hospitalisée, Simone notait dans son carnet les versets d’un poète tibétain : « Ayant  médité la douceur et la pitié, j’ai oublié la différence entre moi et les autres » Le livre de poèmes de ce tibétain se trouvait dans le minimum de bagage qu’elle avait emporté de New York à Londres quand elle était venu en 41 rejoindre la France Combattante.

Par de courts chapitres, Laure Adler aborde les différentes facettes de la vie et de la pensée de Simone Weil. Sa présence à Londres au service de la France Combattante, ses grandes discussions avec Maurice Schuman ou avec la socialiste André Philippe sur l’avenir politique de la France. Ce dernier lui donnera comme conseil : « dégorgez-vous !», l’invitant à mettre par écrit les milles et unes intuitions ou pensées qui surgissaient de son brillant cerveau jamais au repos. Son passage à New York, malheureuse d’être loin de ceux qui souffrent. Son séjour à Marseille, quand, avec sa famille, elle avait dû fuir la Zone Occupée, son travail comme ouvrier agricole, ses échanges sur la foi chrétienne avec Gustave Thibon et avec le dominicain Perrin, à qui elle confie son désir d’abandon qui, elle l’espère, la mènera à bon port, et elle précise : « ce que j’appelle bon port, vous savez, c’est la croix. » Les années qui précèdent la guerre, son engagement pacifiste – en 1936, elle était partie se battre au côté des républicains espagnols et avait vu les ravages que produisaient la guerre, pas seulement sur les corps, mais aussi dans les esprits – sa lutte contre le colonialisme, mais aussi sa passion à chercher la vérité dans toutes les sagesses humaines : elle aimait les contes de tous les pays, elle apprit le sanskrit pour lire dans le texte ‘La Bhagavad-Gîtâ’. Ses premières années comme professeur de philosophie et déléguée syndicale de son lycée du Puy où elle découvre très concrètement l’antisémitisme, son expérience de plusieurs mois comme ouvrière chez Renault ou pêcheur en haute mer pour connaître, du dedans, la condition ouvrière. 

Tout au long de ces chapitres, Laure Adler, cherche à nous faire comprendre la personnalité de Simone Weil, avec ses contradictions, ses traits de génie, sa folle sainteté, et nous montre que précisément, avec elle, les questions restent ouvertes, ne se referment pas sur un système sécurisant, comme, par exemple, s’est voulu  le marxisme. La quête de la vérité maintient celui qui en est possédé en perpétuelle attente et éveil. Elle, qui allait à la messe, à la fin de sa vie, presque tous les jours, n’a pas voulu demandé le baptême chrétien. Elle pensait qu’on le lui refuserait car, au nom de sa probité intellectuelle, elle ne voulait pas abdiquer de l’exercice de sa raison et craignait qu’on lui demande d’adhérer sans discussion possible à l’ensemble des dogmes de la foi catholique. Ce qu’elle aurait alors refusé.

              Ce livre donne envie de relire des textes importants de Simone Weil comme Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociales  et L’Enracinement que l’on présentera prochainement sur ce même site.

 

 

Septembre 2012, Jean de Montalembert.

 

 

 

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