Visionnaire de l'invisible
La littérature
Mystique plénitude de Vie
Raimon Panikkar
(Cerf - 2012)
La mystique appartient à la nature de l’homme
Raimon Panikkar est né à Barcelone d’une mère espagnole catholique et d’un père indien et hindou. Il a donc grandi dans un monde pluriel et ses études en chimie, philosophie et théologie lui donnèrent un terreau fertile pour réfléchir au sens de la vie et à l’importance de la vie spirituelle pour devenir pleinement humain. Le centre de sa réflexion sur la mystique peut se résumer en ces termes : Pour grandir en humanité il ne faut pas seulement faire mais être. Son livre aborde la mystique sous l’angle spirituel et philosophique. Aussi, il est difficile de résumer en quelques phrases la richesse de cette réflexion d’autant plus que pour R. Pannikar, la mystique appartient à la nature de l’homme, elle l’invite à participer consciemment, c’est-à-dire humainement, à l’aventure de la réalité.
La mystique est la caractéristique humaine par excellence. Elle est l’expérience de la Vie qui est en nous. Elle n’est pas démonstration, interprétation, explication. La mystique nous fait voir que notre humanité est quelque chose de plus que la pure rationalité.
L’expérience mystique fait prendre conscience que la vie est donnée, qu’elle est un don. Conserver la vie est le premier instinct de l’homme. La Vie se vit. Ce qui rend l’homme autonome, c’est la vie qu’il a en lui.
L’expérience de la Vie est en même temps corporelle, intellectuelle et spirituelle. Elle est matérielle, humaine et divine. La totalité de la condition humaine est partie prenante de l’expérience mystique. L’expérience mystique favorise la connaissance de soi-même et quand on se connaît, on connaît les autres créatures dirait Maître Eckhart. On ne peut séparer connaissance et amour, l’hérésie de notre époque. La vision inclut l’Autre, soi-même et l’humanité, autant la terre que le divin. Dieu passe par les casseroles, dit Sainte Thérèse d’Avila.
L’expérience mystique est le fruit de l’amour au sens plénier du terme. On veut conserver la vie parce que on a l’amour de la vie de la Vie. « Habituellement, le mystique agit sans un pourquoi, sans une justification intrinsèque à l’action elle-même – et c’est le secret de l’amour… La ‘théologie de la libération’ nous rappelle que la voix et le cri des opprimés sont des révélations divines, que révèle justement la mystique. » (p.30) « L’amour n’est pas un guide, c’est plutôt un moteur, l’auto-énergie de l’Être, la vie elle-même. » (p.41) « ‘Aimer son prochain comme soi-même’ ne signifie pas lui vouloir du bien comme à un être séparé mais veut dire élargir mon cœur (amour) de telle sorte que l’autre devienne partie de moi-même. » (p. 101)
Jésus avait confié à Nicodème qu’il lui fallait renaître s’il veut voir le règne de Dieu. Pour R. Panikkar, renaître est aimer, connaître, marcher humblement. L’humilité ne consiste pas à ne viser que des cimes mais de jouir du chemin. La liberté veut dire abandon de la motivation. L‘expérience de la vie n’est pas l’expérience du passage du temps. L’eschatologie n’est pas à projeter dans un temps historique linéaire alors qu’au 20ème siècle, placer le centre de la vie dans le futur était devenu pour beaucoup le symbole de la transcendance. Renaître c’est s’être libéré du passé et du futur, du poids du passé et la peur du futur : c’est la vie ‘infinie’, cette Vie dont Christ a dit qu’il était venu l’apporter, ou plus exactement, pour faire que nous la vivions. (Jn 10,10) Renaître c’est choisir l’arbre de la vie et renoncer à se laisser guider uniquement par l’éthique comprise comme science rationnelle du bien et du mal. Renaître est se laisse emmener vers Dieu par l’Esprit Saint : « L’Esprit demande des voiles pour être reçu, et un timonier attentif, mais ne tolère pas les pilotes motorisés. Il souffle quand cela lui convient, où il veut et comme bon lui semble. » (p.37)
Septembre 2012, R.P.