Visionnaire de l'invisible
La littérature
Comment parler de Dieu aujourd’hui ?
Fabrice Hadjadj
(Éditions Salvator - 2012)
Anti-manuel d’évangélisation !
Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Telle fut la question posée au dramaturge Fabrice Hadjadj lors d’une assemblée du Conseil pontifical pour les laïcs présidé par le cardinal Rylko. Le conférencier a ajouté un sous-titre à sa conférence : ‘Anti – manuel d’évangélisation’
Il est difficile de résumer cette conférence décapante. Aussi, nous nous contenterons de retenir certains passages qui remettent en cause certaines méthodes dites d’évangélisation. Des partisans de la nouvelle évangélisation cherchent à utiliser les moyens de communications modernes pour attirer le public déchristianisé alors que Jésus parle de Dieu en se laissant mettre en croix. « Quand on se demande seulement ce qu’il faut faire pour bien parler de Dieu, on finit par n’être qu’un faiseur. La vraie question est plutôt de savoir ce que nous sommes, en tant qu’êtres parlants. » Et l’auteur de rappeler que Moïse est arrivé au buisson ardent la face nue et chaussé et qu’il s’est retrouvé la face voilée et les pieds nus. Moïse est devenu un être parlant de Dieu.
La parole vraie n’est pas celle du publicitaire qui cherche avant tout à être efficace dans sa stratégie de communication. La force d’un témoignage ne dépend pas de la maîtrise de techniques oratoires alors que le témoin cherche ses mots. Son ‘balbutiement’ vient d’une expérience, d’un contact avec un événement. Ainsi en est-il de la foi : dans la rencontre avec le Christ, les croyants font l’expérience que « le plus spirituel est uni au plus charnel, la plus haute gloire à la plus commune nature, la miséricorde la plus insondable à la plus abyssale misère. Il n’y a pas de parole adéquate devant une telle disproportion, ou plutôt la seule parole adéquate est celle qui balbutie de merveille et d’effroi, – la seule posture authentique, celle qui perd l’équilibre et part à la suite tout en partant à la renverse. »
On ne parle de Dieu qu’en dialoguant avec quelqu’un : « L’adresse a une dimension essentielle de la parole. » (p.26) Parler à quelqu’un s’est se laisser affecter par la situation de son interlocuteur. « Sans adresse, et donc, sans écoute préalable, sans attention à la personne à qui je parle, j’ai beau articuler des choses véridiques, je ne parle à personne,ou, pour le dire plus nettement, je ne parle pas. » (p. 27) Comme le dit Thérèse d’Avila : « Il semble insensé de dire à quelqu’un d’entrer dans la pièce où il est déjà. » Le sage est celui qui trouve quelque chose à apprendre de chaque homme, disait Rabbi Zoma. Les apôtres n’ont pas prétendu apporter quelque chose d’extérieur mais de révéler ce qui est déjà là pour le porter à son accomplissement.
Parler de Dieu n’est pas mettre une chape de plomb qu’on coule sur l’interlocuteur mais lui ouvrir les yeux sur l’aube qui se lève. Alors, Dieu ne surgit pas comme une réponse mais comme un appel. Car « si Dieu semble se cacher, c’est afin de se rendre présent par ses créatures… La générosité divine... rend sa créature féconde participante de ses bontés, coopératrice de son action. » (p.153) Le philosophe porte une doctrine… le bouddhiste propose une voie de méditation… le musulman présente le Coran, le chrétien annonce une libre rencontre entre l’auditeur et le Christ qui se dérobe au prédicateur lui-même.
Les disciples de Jésus ne sont pas des ‘ingénieurs-conseils de la Révélation’ ni des ‘bateleurs de l’Absolu’ mais des hommes et des femmes de dialogue en quête de Dieu, attirés par les buissons ardents qui provoquent à « balbutier quand ils énoncent des hauteurs divines. » comme l’écrit Saint Grégoire le Grand dans Moralia en Job 5,36.
Octobre 2012, R.P.
