Visionnaire de l'invisible
La littérature
Une Europe sans religion dans un monde religieux
Jean Pierre Bacot
(Cerf - 2013 )
L’Église en Occident a-t-elle encore un avenir ?
Benoît XVI a recentré l’Eglise catholique sur la personne de Jésus Christ. Par son engagement et sa simplicité le Pape François rappelle qu’être témoin de Jésus est la seule parole audible pour l’humanité du 21ème siècle, quelque soit la situation de l’Eglise dans laquelle vivent et participent les disciples de Jésus-Christ.
Mais en lisant les réflexions de certains analystes de la situation de l’Eglise en Occident, on peut se demander si elle a un avenir devant elle.
Dans Une Europe sans religion dans un monde religieux paru aux Editions du Cerf, Jean Pierre Bacot, docteur en sciences de l’information a effectué une vaste enquête sur les effectifs religieux, les croyances et les pratiques religieuses en France, en Europe centrale et en Amérique du Nord. Pour cela, il s’est appuyé notamment sur les statistiques que tout internaute peut trouver sur les sites d’Internet. Dans les pays cités plus haut, il n’existe plus aucune contrainte politique ou religieuse sur les consciences. L’observateur ne peut que constater que la chute des personnels religieux dans le christianisme et le judaïsme est constante depuis des années et que cette baisse du personnel religieux ne va tarder à toucher la religion musulmane. Il est important d’avoir en mémoire en quels termes l’auteur définit la religion : « La religion est un mode d’être des communautés humaines, une structuration de l’espace humain en sa totalité. » (p.167)
Jean Pierre Bacot ajoute cette remarque importante : « La disparition programmée du catholicisme français s’effectue dans une presque totale indifférence. Il en est de même dans d’autres pays, qu’ils soient de culture dominante catholique, protestante ou mixte. » (p 12) Prenons un exemple pour illustrer cet effacement de l’Eglise catholique : En 2011, on peut compter 12.000 prêtres diocésains. Il est intéressant de préciser qu’en 2010, sur quelques 110 prêtres ordonnés, on compte 80 ‘classiques’, 20 ‘traditionalistes’ et 10 ‘charismatiques’. En 2021, on en comptera plus que 2.000. Il est à noter que, d’après les statistiques, les baptêmes et les mariages à l’Eglise sont aussi en nette baisse. Aujourd’hui, 60% des petits français ne sont pas baptisés. Seule, la cérémonie funèbre est la dernière à résister à la laïcisation. Une des raisons avancée par l’auteur pour expliquer ce déclin vient de la pastorale de l’Eglise : L’Eglise a vécu une « période d’inculturation, le catholicisme se fondant de plus en plus dans le monde contemporain, avant qu’on en arrive à la dernière étape, celle que l’on nomme l’ ‘exculturation’, l’Eglise se montrant incapable de fournir une alternative à l’idéal de promotion de l’individu et de réalisation de soi dont on constate qu’il est devenu une véritable injonction. » (p 48) Dans les années à venir, quel visage va prendre alors l'Église ?
En étudiant les statistiques, l’auteur relève un autre aspect de la situation religieuse actuelle en France. En France, on compte environ cinq millions de personnes concernées par une pratique religieuse régulière. Mais il est important de souligner « qu’une grande partie de cet ensemble de pratiquants est composée aujourd’hui d’hommes, de femmes et d’enfants d’origine étrangère et / ou socialement défavorisés. » (p. 177) Donc, ce qui restera de religion en France sera assez peu français, et même fort peu latin.
L’Eglise en France habite avec d’un côté athéisme élargi et de l’autre une spiritualité réactivée. Entre les deux, on aura un continent où vont coexister une spiritualité non religieuse, une foule de syncrétismes très individualisés et provisoires et une indifférence par rapport à toute recherche religieuse.
Devant ce déclin irréversible des religions, le relatif silence qui accompagne l’effondrement du catholicisme relève-t- d’un tabou ou d’une somme d’indifférence ? Quand on parcourt certains discours de responsables religieux, on note que beaucoup d’entre eux cherchent à détourner le lecteur de cette déshérence cléricale qui va modifier le paysage religieux d’une façon irréversible. « Nous pensons avoir montré en quoi ce type de discours relevait en fait, comme d’autres, d’une stratégie de consolation ou d’obscurantisme d’une réalité qui s’éclaircit d’année en année. » (p. 213)
Les statistiques permettent d’avoir un regard lucide sur une réalité. Mais elles ne nous disent pas tout de cette réalité. Il suffit de lire avec attention l’analyse de deux démographes sur l’évolution de la population française pour s’en convaincre.
Dans ‘Le mystère français’, qui vient de paraître aux éditions Le Seuil, Hervé Le Bras et d’Emmanuel Todd décrivent la France d’aujourd’hui divisée en deux : l’une avec un avenir (La région Rhône – Alpes, le Sud Ouest, la Bretagne et l’Alsace), l’autre stagnante (Le bassin parisien, le Nord et le pourtour méditerranéen.) D’après ces deux démographes, cette rupture est engendrée par deux attitudes bien différentes par rapport à la mondialisation. Les régions Rhône –Alpes, le Sud Ouest, la Bretagne et l’Alsace, ont hérité de la présence du catholicisme une habitude de ‘l’autorité’ qui s’est laïcisée certes mais qui ont doté ces régions d’une protection face à la crise. Quant aux autres régions, notamment le bassin parisien, le Nord et le pourtour méditerranéen, l’idéal d’individualisme égalitaire issu de la révolution renforce l’isolement des plus faibles.
Dans son numéro de mars 2013, n° 393, la revue Futuribles, consacre un dossier sur l’impact social et politique des religions. Pierre Bréchon, professeur à l’IEP de Grenoble étudie les effets qu’une religion dominante a sur une civilisation, un territoire. Quand la religion catholique est dominante, la population est plus favorable au partage et au rôle spécifique de l’homme et de la femme. Quand c’est la religion protestante est dominante, c’est le libéralisme sur les plans des mœurs et de l’économie qui domine. Si c’est la religion orthodoxe qui est majoritaire, il est surprenant de découvrir que le peuple est plus favorable à la permissivité qu’à l’autorité. Quand aux pays de tradition musulmane, l’accent est mis sur la famille de type traditionnelle et sur l’autorité. Pierre Bréchon conclut cette étude très éclairante par ces mots : « C’est la géographie religieuse qui introduit les différences les plus importantes dans les systèmes de valeurs et non pas les dimensions individuelles de la religiosité. »
Le ‘Courrier international’du 28 mars 2013’, annonce en première page que Les dieux sont de retour. D’après cet hebdomadaire, l’éveil de l’islam contraint les autres religions à se positionner sur l’échiquier géopolitique, à peser sur les choix politiques. D’autres intellectuels européens notent que la modernité ne peut plus se définir par une stricte séparation du séculier et du religieux. La crise des idéologies et la société de consommation qui a creusé les inégalités engendrent le retour du religieux et les religions traditionnelles aspirent à percer sur le domaine politique. Le cas le plus frappant est illustré par ‘l’Islam politique’. Le printemps arabe n’est pas né de l’Islam mais les islamistes ont vite repris l’initiative politique. La question fondamentale a surgit de ces soubresauts : dans quel système de référence va évoluer nos systèmes ? Les identités s’érodent alors le religieux devient le marqueur de l‘appartenance à une communauté. Des identités spirituelles et religieuses prennent une dimension supranationale. Les migrations en masse et les échanges d’information incontrôlables inquiètent de plus en plus les gens et leur font craindre sur leur identité. Le fossé se creuse entre tradition conservatrice et sa négation libérale.
D’autre part, une étude fait apparaître que la plupart des députés européens reconnaissent que la religion joue un rôle au parlement comme réalité sociale (lutte contre la discrimination et dans la politique sociale) et politique mais aussi comme source d’inspiration personnelle.
Ces études mettent à mal l’affirmation sans nuance que la religion est uniquement une affaire privée. Certes, la foi, la confiance qu’un croyant met en son Dieu ne peut être qu’une affaire personnelle. Mais la religion définie comme une manière de vivre ensemble animée par une recherche de réponses aux questions les plus profondes qui travaillent les hommes comme la vie, la mort, le mal, la souffrance, l’injustice… ne peut qu’avoir des répercussions sur la vie en société, sur l’économie et la politique et sur ce qu’on entend par la séparation des Eglises et de l’Etat.
Mai 2013 - Robert Pousseur