Visionnaire de l'invisible
La littérature
Et le soufle devient signe
François Cheng
(L'iconaclaste - 2002)
Quand le vide accueille l’infini
François Cheng, poète, essayiste et romancier, est arrivé en France ne connaissant pas le français avec comme seul bagage des bâtons d’encre : « Mon père ne m’a pas légué des meubles ou des bijoux, mais des bâtons d’encre. Ils sont pour moi un trésor de famille plus précieux que l’or. Tous les matins, je calligraphie pour me calmer, pour chasser l’inquiétude et entrer dans la danse de la vie. Cette pratique quotidienne m’est devenue indispensable comme une prière intérieure. »
Non seulement il ne connaissait pas le français mais était d’une culture étrangère à la culture occidentale. Pour le chinois, la création est continue alors que Voltaire comparaît le Créateur du monde au grand Horloger. Pour le chinois, l’Homme, qui ne fait qu’un avec la création toujours en marche, en est un participant actif. L’homme est appelé à se recréer en permanence. L’Homme n’en finit pas de naître et de renaître.
L’occidental pense achever son œuvre par le plein tandis que le chinois « privilégie la création d’un espace d’accueil et de circulation qui intègre l’infini dans la finitude. » (p 16) Le calligraphe fait cette expérience du vide quand il prend un bâton d’encre et prend le temps de mettre au monde son encre. Ce temps de silence et de concentration est le temps où le calligraphe devient lui-même ‘encre’. « Avant de dessiner un bambou, laissez-le croître d’abord en vous. » enseigne le sage Su Si. (p 22) En calligraphiant, il entre en relation avec le Souffle qui est à l’œuvre dans tout ce qui existe. « Le geste lent produit la grâce, le geste rapide produit la force. Il faut cependant posséder la rapidité pour maîtriser la lenteur. » enseigne Jiang Cui. ((p 15)
François Cheng qui présente son œuvre calligraphique dans ce livre étonnant ajoute : « C’est dire que mon exercice est toujours inspiré, non par un esprit de convention, mais d’inventivité et de création. » (p 24)
François Cheng nous rappelle que les émigrés arrivent dans le pays d’accueil avec un trésor en eux. C’est en faisant fructifier leur trésor intérieur qu’ils s’intégreront dans un pays de culture occidentale où le ‘vide’ n’a plus sa place. Alors les Occidentaux qui aiment le plein, attendent de l’immigré s’assimile à leur culture ‘pleine d’elle-même’.
Le témoignage de François Cheng élu à l’Académie française en 2002, fait écho de la réflexion d’un sage chinois : « Il faut savoir entendre ce qui n’est pas dit et discerner ce qui n’est pas montré. » (p 122)
Septembre 2015 - R. Pousseur