Visionnaire de l'invisible
La littérature
Méditations du Crépuscule
Bernard Poupard
(Salvator - 2015)
Réflexions d'un moine au seuil de sa vieillesse
Bernard Poupard est un moine bénédictin ayant vécu au carrefour des cultures et des religions, d’abord en Allemagne lors de ses études de philosophie, au Maroc où il a débuté sa vie monastique, puis en Côte d’Ivoire et en région parisienne, particulièrement en Seine et Marne. En 2000 il a rejoint le Monastère de Clereland en Belgique, dont il a été le prieur.
Au soir de sa vie, il nous livre quelques belles méditations sur la vie et la vieillesse qui peuvent intéresser en premier ceux qui ont passé les 70 ans, mais aussi tout autre lecteur en raison de la riche expérience humaine partagée.
Comme le dit Bernard Poupard dans l’ouverture de son livre : « il ne s’agit pas seulement de « considérations », selon le beau mot des classiques, sur l’expérience acquise. Le jour qui tombe est le jour d’aujourd’hui, et il est promesse du lendemain. J’aime ce temps où je m’émerveille de vivre encore, et si je m’adosse à une sagesse patiemment élaborée, je me plais à guetter les aurores qui pointent, les défis qui se dessinent. Je voudrais regarder le présent avec autant de lucidité que de bienveillance. »
Dans un style élégant et chaleureux, où l’humour a sa place (« je prie rarement en fermant les yeux fermés, car alors je m’endors facilement ») l’auteur nous livre son expérience personnelle de la vieillesse, partagée avec ses frères moines dont nombreux sont vieux comme lui, une vieillesse pleine de mémoires mais aussi de passions toujours jeunes. Le livre est construit autour d’une douzaine de chapitre qui aborde un thème qui fixe la réflexion de l’auteur. Voici les titres de quelques de ces chapitres : Sérénité et Mélancolie, Vieillesse, Désillusion et Etonnement, Silence et Parole, ou encore Fidélité et Détachement. Il y a aussi un chapitre sur l’Etranger et un autre sur la Beauté du monde. Chaque chapitre peur se lire pour lui-même, et l’ordre de lecture importe peu.
J’ai aimé le chapitre sur Fidélité et Détachement. Pensant aux nombreuses personnes qu’il a côtoyées dans sa vie, Bernard Poupard s’interroge « Pourquoi certains traits sont-ils restés fixés et d’autres se sont-ils dissipés ? Sans doute parce que les uns m’ont ému ou au contraire blessé tandis que les autres m’ont croisé avec une grâce légère. Cette recherche du temps perdu peuple ma vie de tous ceux qui m’ont accompagné à chaque étape depuis mon enfance et dont je suis un débiteur insolvable… J’en fais mémoire avec piété, comme il sied bien de le faire au soir de sa vie, mais aussi avec le poids de l’oubli qui est la griffe de la mort. Ce travail de mémoire met en cause la fidélité. Je sais trop le prix des fidélités qui me tiennent dans l’existence pour ne pas éprouver l’amertume des infidélités, les miennes et celles des autres. »
Et vient vite la question à propos des infidélités, est-ce échec ou faute ? Citant Jean Pierre Guillebaud qui préfère y voir de l’échec, Bernard note « Je ne m’en tire pas aussi aisément entre la faute et l’échec » Il y a toujours beaucoup d’honnêteté dans les propos de Bernard Poupard. Plus loin il notera que la fidélité n’empêche pas le détachement. « C’est même un alliage lancinant du vieillissement. L’âge contraint à des détachements répétés auxquels on ne consent pas facilement. »
Bernard Poupard est moine : la méditation quotidienne de la Bible et le chant des psaumes ont rythmé sa vie et sa quête de Dieu et de l’humain. Voilà comment il termine ce chapitre sur Fidélité et Détachements : « Quelle est la ligne rouge de ma fidélité au long de ma vie. C’est clairement la lecture constance de la Bible… Il ne s’agit pas de la poursuite d’une sorte de métier, comme d’autres peuvent se spécialiser dans un domaine de recherche savante. C’est le lieu de ma quête intérieure, de ma rencontre avec un Autre qui me juge et qui me sauve dans l’histoire si enchevêtrée de mes fidélités et de mes détachements. La Bible raconte inlassablement des alliances rompues et des infidélités adultères. Elle m’apprend que Dieu est toujours perdant devant les libertés qui limitent sa puissance et son vouloir, mais toujours aussi gagnant par son attente irrépressible. Nous sommes toujours sur des chemins de retour. La route s’ouvre encore. C’est vraiment notre plus fort message : l’espérance n’est jamais morte. »
Tout au long de ce livre Bernard Poupard aborde notre monde contemporain, ses défis, ses prouesses et ses renoncements. Une fraîche lecture offerte par un ancien, libre intérieurement.
Février 2016 - Jean de Montalembert
