Visionnaire de l'invisible
La littérature
À la table des hommes
Silvie Germain
(Albin Michel - 2016)
Quand les hommes oublient la liberté de la Nature
Le roman de Silvie Germain commence par une description pleine de tendresse d’une truie qui a mis au monde une huitaine de petits dont six sont rivés à l’un de ses trayons. Un porcelet, pas assez combatif, n’a pas réussi à se frayer une place à la tétine. Il reste en retrait attendant et couinant de faim. Brusquement, la ferme est bombardée. Tout est détruit. Seul, le porcelet qui attendait qu’on lui laisse une tétine pour se nourrir a échappé au massacre. Comme tout est brûlé autour de lui, il part dans le forêt et découvre que dans la forêt il n’y a pas de territoire délimité, ni interdit, ni de frontières établies par les hommes de la région et au nom desquelles ils s’entretuent depuis des mois. Il fait l’expérience que « quand le péril s’éloigne… le corps retrouve son ardeur, le monde son attrait, la vie son innocence, la liberté sa saveur. » (p 29) dans cette forêt, il se lie à un enfant sauvage qui ne connaît rien des conduites humaines mais découvre la vie avec une corneille qui l’accompagne. « La compagnie de la corneille et celle des bêtes qu’il croisait, parfois côtoyait dans le forêt, lui manquent d’un coup terriblement. Jamais, auprès d’elles, il n’a connu l’angoisse, la méfiance, la déception ou la solitude… Avec les humains, rien de tel, tout est compliqué, équivoque, et souvent inquiétant. » (p 141)
Ce roman est hanté par une idée fausse qui rend l’homme aveugle : « Aux bêtes, l’inanité, l’abrutissement et le soupçon de la dangerosité. Aux hommes, l’intelligence, le savoir, la science, le sérieux. » (p 204)
Avril 2016 - R. Pousseur