Visionnaire de l'invisible
La littérature
L'éclipse de la mort
Robert Redeker
(Desclée de Brouwer - 2017)
Aujourd’hui, nous n’avons plus accès
à la face lumineuse de la mort.
Et pourtant, c’est à l’ombre de la mort
que la vie humaine s’est développée
L’éclipse de la mort
Aujourd’hui, notre vie est désormais sans mort,
et la mort est sans vie.
‘Mourir’ est remplacé par ‘partir’.
Notre vie n’est plus ordonnée vers sa fin,
vers la mort qui lui donnait sa profondeur et son sens.
L’éclipse de la mort est révélatrice de notre époque.
Est-ce si grave ?
La pensée des philosophes
Dés le début de l’humanité, toutes les sociétés ont voué un culte aux morts. Les cultes et symboles ont exprimé tout au long de l’histoire humaine ce besoin de sens que la mort n’exprime pas dans sa brutalité.
« La mort n’a pas de sens : elle ne dit rien elle ne veut rien dire, elle n’a ni message ni révélation à communiquer. La mort est béance horrible corruption puante, royaume des vers, charogne… : toutes les figures de notre destin. … Quoiqu’il en soit, par le moyen des philosophes et des religions, la mort, qui par elle-même n’a aucun sens, acquiert le sens que les hommes lui confèrent, un sens social, un sens d’institution chaque fois différent d’une société à une autre, pour en conjurer l’effroi… Un sens spirituel également. » (p. 36-37)
Pour Epicure, la mort n’est rien d’autre que la peur de la mort. « L’art et la mystique sont les médiateurs assurant la possibilité le spectacle effrayant de la mort. » (p 83)
Héraclite pensait que les dieux enviaient aux humains la mortalité.
Lucrèce enseignait que ne plus craindre la mort nous délivrerait des religions alors que les dieux grecs jalousaient la vie des hommes parce qu’elle-ci c’achève dans la mort.
Freud pensait que le désir sexuel a quelque chose du désir de la mort. La mort est une fusion de l’individu avec autre chose que lui.
Auguste Comte, philosophe, écrivit que : « Le culte des morts est signe d’humanité. » (p 23)
Lacan a suggéré qu’accepter la mort est accepter la vie.
Pour beaucoup, façonnés par la culture judéo-chrétienne, la mort est une punition. La culpabilité a permis de donner un sens à la mort et l’apprivoiser.
Devons-nous réjouir d’avoir à mourir ?
Aujourd’hui, pour un certain nombre de nos contemporains, ce culte est confié au crématorium. Robert Redeker n’est pas tendre pour ceux qui adoptent cette pratique : « En deux heures, tout est fini, nettoyé. Comme au Karcher ! C’est javalisé, radicalement propre… Incinéré est donné victoire au vide. » (p 69)
Dans L’éclipse de la mort (Editions DDB 2017) Robert Redeker propose une réflexion humaniste. Ce n’est pas la mort qui fait peur à beaucoup aujourd’hui, c’est mourir avec ce sentiment de solitude, de détresse. La mort est le destin tragique de chacun d’entre nous. Personne ne peut mourir à notre place. La mort apparaît à beaucoup d’hommes contemporains comme n’ayant aucun sens.
Et pourtant, « C’est à l’ombre de la mort – de sa pensée – que la vie humaine s’est développée. C’est à travers la mort que l’homme a découvert son humanité. C’est la mort qui l’a initié à la transcendance, qui lui souffla l’intuition d’un autre type de vie, d’une autre réalité que la réalité matérielle… la mort éleva la pensée humaine du visible à l’invisible, du passager à l’éternel, de l’humain au divin. » (p 207)
« Si notre modernité tardive est devenue incapable de penser et de supporter la mort, à défaut de l’impossibilité de supporter la vie, si nous vivons dans une époque qui ignore la mort, au sens où ce temps prosaïque n’a rien à dire sur elle, rien d’autre que scientifique, que de la biologie, que de médical, rien d’autre à dire qui la refoule comme jamais… sans doute parce que nous n’avons plus accès à la face lumineuse de la mort… aussi parce que nous vivons un temps de désymbolisation. » (P 42)
Vivons-nous à l’ère du vide ?
Nous vivons à l’époque de la de la raréfaction du symbolique, de la prolifération de l’image qui n’est plus une porte ouverte sur le mystère mais sur la dictature de l’émotion. Cette avancée du désert instaure l’ère du vide. Cette affirmation demande des nuances.
Quand le peuple peut exprimer ce qu’il ressent, vit-il à l’ère du vide ? La célébration de l’enterrement de Johnny Hallyday à la Madeleine a permis à l’âme d’un peuple de s’exprimer. Le peuple français avait le regard tourné vers un cercueil avec l’envi de le toucher pour exprimer son sentiment. Ce qui a été émouvant, c’est le geste du prêtre qui encensait le cercueil et qui a donné l’ostensoir à la fille adoptive de Johnny. Qu’a-t-elle ressenti quand elle a encensé le cercueil dans lequel reposait son père ?
Octobre 2017 - R. Pousseur