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La Vie spirituelle renouvelée

Texte de référence

 

Pour une création nouvelle - © Virginie Lecomte

La culture d’aujourd’hui
influe toute vie spirituelle

Appréhender l’univers culturel de l’époque de Jésus s’avère essentiel aujourd’hui pour comprendre les évangiles. Sans cette connaissance, non seulement on risque de faire une lecture fondamentaliste de la Bible mais on risque aussi de perdre la liberté de créer sa propre réponse à l’invitation de Jésus à le suivre. Jésus est Juif, il fait partie d’une religion qui est sensible à l’histoire des Hommes car Dieu a fait une alliance avec son peuple en vue d’accomplir avec lui une œuvre mystérieuse ; ce peuple avait une relation exceptionnelle avec Dieu. Ce peuple chantait la création qui avait soif de Dieu et chantait sa relation originale avec Dieu (cf. Psaume 62). La culture du temps de Jésus était structurée notamment par trois valeurs. La religion vécue en société était l’horizon de la vie personnelle… alors qu’aujourd’hui, la religion est largement reléguée dans le privé. La réputation comptait plus que la propriété… alors qu’aujourd’hui, l’épanouissement personnel et la propriété sont des signes majeurs de réussite. Enfin, les gens avaient conscience que les biens étaient un cadeau et qu’ils étaient limités, donc il fallait les respecter, les économiser, ne pas gaspiller… alors qu’aujourd’hui, il faut produire et consommer. Les mots eux-mêmes n’avaient pas exactement le même sens. Le mot ‘courage’ était essentiellement physique et prenait toute sa valeur dans la guerre, du temps d’Aristote. Dans la lettre aux Ephésiens, le ‘courage’ prend une autre dimension : il est loué car il permet de lutter contre les Forces du Mal. (Éph. 10-12,13) Les textes évangéliques ne sont pas intemporels ; c’est un signe que Dieu s’engage vraiment dans l’histoire humaine, qu’il ne la survole pas. Il nous faut les recevoir dans leur contexte si nous ne voulons pas risquer de gros contresens.

 Il en va de même pour notre propre vie spirituelle. Si nous ne sommes pas conscient de l’univers culturel dans lequel nous baignons, nous risquons de nous fourvoyer. Pour  l’illustrer, nous décrirons rapidement quatre évolutions marquantes qui influent très fortement toute vie spirituelle : la notion du temps qui change notre façon d’appréhender la vie, la cohabitation des religions qui pose des questions sur le vivre-ensemble et la conscience de la mort qui enferme le regard sur terre ou l’élargit sur un au-delà.

L’accélération du temps humain, liée aux moyens de déplacement et de communication, est une des caractéristiques majeures de l’évolution culturelle actuelle. Depuis le milieu du XIXe siècle, nous vivons une rupture avec la culture des siècles précédents. Au Moyen-âge, par exemple, l’expérience de la lecture silencieuse a valorisé la vie intérieure. La vie émotionnelle comme la prière et la méditation échappaient au regard des autres pour mieux s’offrir à Dieu. Cette vie intérieure a construit le moi profond, libéré du bruit du monde. Malgré tout le chemin déjà accompli quant à la condition féminine, la rupture actuelle risque de mettre sous le boisseau l’apport spécifique des femmes dans la vie de la société. La femme a une autre expérience du temps que les hommes car elle doit attendre neuf mois pour pouvoir prendre dans ses bras son bébé. D’autre part, les intellectuels et les spirituels ont-ils encore une place privilégiée dans une société où le temps s’accélère, alors qu’ils ont besoin d’un long temps de mûrissement et de réflexion, d’un temps pour aller au fond d’eux-mêmes, pour écouter leur voix intérieure et ce qui bouillonne dans le cœur de leurs contemporains ? Le succès du film Des hommes et des dieux a mis en pleine lumière le besoin qu’ont nos contemporains de mûrissement, de silence, d’écoute de la voix intérieure pour dominer la violence et vivre en communion avec d’autres, avec Dieu. La vie spirituelle, force intérieure et affective de transformation lente, peut être source d’une remise en cause d’une société de consommation.

La mondialisation entraine une présence de religions inculturées différemment sur le même territoire. Elle provoque chacune d’entre elles à préciser son originalité ; non pas pour se comparer aux autres, mais pour s’enrichir mutuellement et enrichir la vie de la société. Cette façon de cohabiter ne va pas de soi : par exemple, toutes les religions ne donnent pas le même contenu au mot ‘sacré’. Pour les unes, ce mot recouvre un temple, un lieu cultuel, un livre, un lieu de pèlerinage, un territoire… alors que pour les disciples de Jésus, et pour certains humanistes, c’est toute personne humaine qui est ‘sacrée’. Ces visions ont des conséquences sur le vivre ensemble car la notion de sacré façonne notre vision de la terre. L’existence/présence de lieux sacrés distincts les uns des autres peut amener à trier entre les hommes ‘les fidèles’ et ‘les autres’. Un lieu de culte sacré donne aussi naissance à une hiérarchie cléricale, souvent garante de la vérité. Ce pouvoir clérical peut devenir dangereux: quand Jésus a proclamé que son corps était le nouveau Temple de Dieu (Jean 2), il a signé son arrêt de mort. Les prêtres et les gardes du Temple de Jérusalem ont compris non seulement que cette affirmation mettait un voile sur l’identité de leur peuple mais qu’elle mettait en cause leur fonction, leur état social.

La mort taraude l’homme d’aujourd’hui. « Notre civilisation est la première, semble-t-il, dans toute l’histoire, qui s’efforce d’ignorer la mort et, par là, peut-être, en dévoile l’essence. Les rites funéraires sont accélérés à l’extrême ou disparaissent. On ne sait plus quoi dire, quoi faire», écrit Olivier Clément dans L’autre soleil (p.60). Il est vrai que les sociétés primitives ont intégré la mort à la vie, la mort étant perçue comme un passage ; alors qu’aujourd’hui, on vit au présent, ou même on s’étourdit dans des plaisirs éphémères, pour échapper à cette issue inéluctable. Combien de nos contemporains se mettent un voile devant les yeux pour ne pas voir que leur propre corps marche à grands pas vers la mort ? Le philosophe Fabrice Hadjadj s’est posé cette question dans Réussir sa mort, paru aux presses de la Renaissance : à quoi bon réussir sa vie si, à la fin, tout doit se réduire à rien ? « La fuite devant la mort produit ‘une culture de mort’, l’accueil de la mort engendre une culture de vie…»   (p.27) Sans avoir réfléchi sur la mort comme une donnée incontournable de la vie de la société, comment avoir des points de repères éthiques sur la bioéthique ? Si nous n’avons pas conscience de la culture ambiante qui met un voile sur la mort, comment croire en Jésus ressuscité annonçant son retour ? Comment concevoir la mort comme ‘un passage’ si cette mort est occultée par la culture ambiante actuelle ?

L’individualisme est une des traits marquants de l’évolution culturelle actuelle. Historiquement, elle s’enracine dans une originalité de Jésus. Ce qu’on pourrait appeler son individualisme a été une des causes de la rupture de Jésus avec le peuple juif. Jacob Neusner, appartenant au judaïsme réformé et dont les études sur le judaïsme ancien font référence, a souligné cet aspect du comportement de Jésus dans ‘Un rabbin parle avec Jésus’ (cf. sur notre site, la recension dans ‘Littérature’) : « Moïse a parlé au nom de Dieu. Jésus, lui, ne parle pas comme un sage ni un prophète mais parle en son nom propre : ‘Moi, je vous dis… » Il parle pour son propre compte : « Je n’ai jamais entendu que Jésus ait parlé d’alliance, d’Israël, d’une obligation pour Israël à tenir tous ensemble et au même moment. Il a toujours parlé de moi, jamais de nous, il a parlé de quitter, jamais de tenir, d’un immédiat et jamais d’une réalité à long terme… La Torah enseigne aux gens comment construire ce royaume-là où ils sont et tels qu’ils sont… Il parle des Cieux, pas de la terre… Dieu au Sinaï nous a dit qu’il n’y a pas de royaume de Dieu sans maison, sans famille, sans village et sans communauté, sans pays et sans peuple. » (p. 194-195)
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Avoir conscience de l’influence de la culture ambiante sur sa vie spirituelle permet d’avoir une certaine liberté de création dans sa vie spirituelle. Avoir conscience de l’univers culturel des maîtres spirituels permet de mieux comprendre leur démarche et ainsi d’être plus fidèle à leurs intuition. Cette liberté est importante car l’inculturation appelle une démarche spirituelle nouvelle, nourrie et interrogée par les bouleversements culturels actuels. Le théologien K. Rahner nous ouvre une voie de réflexion en prédisant que le Chrétien de demain « sera un mystique, c’est-à-dire quelqu’un qui aura expérimenté quelque chose… »

 


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