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Visionnaire de l'invisible
La littérature

'Retour au Cambodge'
Claire Ly
Editions de l’Atelier - 2007

 

L’annonce de l’Evangile ne peut se passer
d’un dialogue exigeant



Claire Ly, bouddhiste a vécu avec sa famille l’enfer allumé au Cambodge par les Khmers Rouges. Elle est chargée de cours à l’Institut de science et théologie des Religions de Marseille.  25 ans après avoir fui son pays, elle y retourne par fidélité à elle-même, à son histoire, à son identité à mi-chemin entre la française et la cambodgienne : « Immergée par les circonstances dans le brassage de la mondialisation, je n’éprouve pas une perte d’identité, mais une identité perpétuellement en devenir m’habite, dans laquelle la culture asiatique vient enrichir la culture française et réciproquement… » écrit-elle dans Retour au Cambodge (Editions de l’Atelier  2007)  

Le récit de Claire Ly est donc une invitation à découvrir avec le cœur d’une femme et d’une mère ce que sont devenus les Cambodgiens après cette traversée de l’enfer, à goûter la sagesse de ce peuple façonné par une culture imprégnée de bouddhisme. Durant ce voyage, grâce à ses réflexions, Claire Ly dévoile son dialogue intérieur entre la bouddhiste et la chrétienne catholique qu’elle est devenue.

Ce livre est passionnant car non seulement le lecteur pénètre avec beaucoup de délicatesse dans le cœur d’un peuple, mais aussi il apprend à goûter la sagesse bouddhiste à travers des événements de la vie. Ainsi, le lecteur peut communier au travail approfondi que Claire Ly a été amenée à faire sur elle-même.

Cette réflexion interroge le lecteur. En France, chacun côtoie des personnes venues d’ailleurs. Il serait suicidaire de penser que, pour ces personnes, une bonne insertion est réussie quand elle est résolue sur le plan économique ou sentimental. Une véritable intégration n’existe que quand la vie ensemble permet a chacun d’avoir son espace de liberté, de création et de prise de parole : « Ceux qui n’ont aucune expérience des cassures sont pleins de théories, de conseils, de recettes de bonne femme qu’il distribuent à tout vent. Mais quelle théorie tiendrait devant l’ouragan du dépaysement, de l’isolement psychologique, de l’inconnu que l’on doit apprivoiser à tout prix pour survivre, pour vivre ! » (p. 61) … et aussi ne rien oublier du pays d’où l’on vient. 

En retournant au Cambodge, Claire Ly accepte d’écouter son passé. Rencontrer les cambodgiens bouddhistes alors qu’elle est chrétienne lui fait prendre encore plus conscience combien il est urgent de dire Jésus-Christ dans la culture khmère avec sa pensée, avec sa philosophie, avec son histoire. Il ne suffit pas de venir comme missionnaire au Cambodge pour dire une ‘bonne parole’. « Je sais par expérience combien il est traumatisant de se percevoir comme objet de charité. Beaucoup de chrétiens de bonne foi ne réfléchissent pas assez à cet obstacle de taille à l’annonce de l’Evangile. Avec une naïveté désarmante, ils rabaissent l’autre par leur générosité bienveillante. »  (p.159) C’est au cours de son troisième séjour que Claire Ly a compris qu’il existait en elle des failles l’empêchant de tenir un discours absolument ‘certain’ sur la foi chrétienne. Ces failles lui ont permis non seulement de retrouver l’amitié des cambodgiens mais d’avoir avec eux et avec elle-même des partages d’une profonde vérité. « L’échange continuel entre la bouddhiste et la chrétienne m’a guérie d’une maladie occidentale assez grave pour le dialogue entre les peuples et qui consiste dans la volonté de toujours donner. » (p.204)   Si l’annonce de la Bonne Nouvelle de l’Evangile était réellement un temps de dialogue et de partage en vérité, combien cette parole serait plus riche et plus exigeante.

Certains lecteurs de Claire Ly la trouveront trop exigeante pour ceux et celles qui se donnent du mal pour accueillir les émigrés ou pour partir annoncer la Bonne Nouvelle. Il est vrai que ce livre est dérangeant car il interroge la façon dont les occidentaux se veulent généreux, ouverts, accueillants, ne laissant guère d’espace de liberté et de créativité à ‘l’autre’ surtout si à leurs yeux d’occidentaux, il est un ‘pauvre’. Dans un dossier Hommage amical à Claire Ly édité par Chemins de Dialogue, le Père Jean-Luc Brunin, évêque d’Ajaccio n’écrit-il pas : « L’appartenance de Claire à la tradition bouddhiste a fait d’elle une femme capable de détachement. Sa terrible épreuve a fait d’elle une femme profondément libre. Cela explique aussi sa liberté à l’égard de son Eglise, de la communauté des chrétiens et des règles qui la régissent. Claire a découvert l’Esprit du Christ comme Celui qui l’a conduite à travers ses épreuves. Elle n’est pas prête à lâcher la docilité à l’Esprit pour se soumettre à l’indiscuté de l’institutionnel. Elle a gardé une méfiance à l’égard de tout comportement autoritaire qui se rapprocherait de celui des khmers rouges. »  (p.13) ?

Claire Ly nous fait pénétrer dans la richesse de son peuple Khmer qu’elle qualifie de pauvre mais en fait qui est tellement riche que l’on ne peut qu’entrer humblement en dialogue avec lui.   

 

 

R.P.

 

Le site de Claire Ly

 

 

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Illustration de © Robert de Quentin